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Ce que démontre le débat britannique

6a00d8341c715453ef0240a4464c20200c-320wi.jpgLe 12 mars, M. Gilles Le Gendre, président du groupe La République en Marche à l'Assemblée nationale, administrait une nouvelle fois la preuve de son étonnante ingénuité. Il déclarait ce jour-là que le débat sur le Brexit à la chambre des Communes démontre que "si on fait de l'Europe un otage de politique intérieure, on va à la catastrophe".

Or, cet éminent représentant de l'actuelle majorité parlementaire macronienne devrait savoir que l'Europe, conçue comme une union d'États, n'est jamais sortie, depuis le traité de Rome de 1956, de ce genre d'interférences. Le mélange n'a jamais cessé entre les considérations politiques intérieures propres à la scène politique de chaque pays et les décisions prises dans le cadre des réunions intergouvernementales, au mépris bien souvent des votes du Parlement européen.

Et, aujourd'hui, tous les subtils méandres de la politique de Londres devraient aussi nous éclairer sur divers aspects de la crise des démocraties, y compris dans la patrie du parlementarisme.

Le régime britannique n'a en a guère connu d'une semblable ampleur, même dans les périodes antérieures de "parlement pendu". Par cette expression – "hung parliament" – on désigne outre Manche l'absence de majorité en faveur de l'un des deux partis dominant la vie politique, pratiquement de façon alternative, depuis ce que les Anglais appellent la Glorieuse Révolution de 1688[1].

La question irlandaise a certes pu, à plusieurs reprises, déstabiliser le système, y compris à l'époque des guerres napoléoniennes[2].

Puis, les conservateurs incorporèrent les libéraux unionistes etc.

En 1910, le rejet du budget par la chambre des Lords provoqua un imbroglio qui a conduit depuis par la domination des Communes.

C'est dans les années 1920, que les travaillistes se substituèrent aux anciens whigs et devinrent la principale force d'alternance. Conduits par Ramsay McDonald, éphémère premier ministre en 1924, ils arrivèrent en tête en 1929 avec 287 sièges, une majorité relative contre 260 aux tories, qui disposaient de 412 députés dans la chambre sortante, les libéraux n'en obtenant que 59. Travaillistes et libéraux consolidèrent ainsi une alliance dite lib-lab[3], aux racines très anciennes.

En Angleterre comme dans tous les pays démocratiques le système ne fonctionne correctement que sur une base bi-partisane de fait. S'il est aujourd'hui perturbé c'est tout simplement que la manœuvre de David Cameron, d'absorber l'électorat UKIP, a échoué sur le référendum promis aux eurosceptiques et perdu, de justesse.

Le pari s'était révélé gagnant en 2015. Aux élections législatives UKIP fut réduit à un seul député.

Un jeu analogue avait été remporté par les conservateurs dans le cadre de leur alliance avec les libéraux-démocrates lors de la législature précédente entre 2010 et 2015.

Las, le pari gagnant de la veille a pris les apparences d'un "pari stupide" en 2016. Et aujourd'hui, tout le monde croit de bon ton de ne parler qu'avec condescendance de ce Premier ministre, au bilan pourtant si remarquable entre 2010 et 2016, et qui avait réussi à redresser, en particulier sur le terrain du chômage, la situation plus que médiocre laissée par son prédécesseur Gordon Brown.

David Cameron était persuadé, comme l'étaient aussi, dans la période précédant le vote, la plupart des commentateurs agréés, et notamment les fameux marchés financiers, dont on dit toujours qu'ils ne se trompent jamais, que le référendum se traduirait par une majorité favorable au maintien de la Grande Bretagne dans l'Union européenne.

La victoire inattendue du Brexit le 23 juin 2016 – si facile à "prévoir après coup" – ne peut pas vraiment lui être imputée.

La principale leçon à tirer du débat britannique c'est qu'en démocratie ce ne sont pas les bureaux qui décident, mais les urnes, c'est-à-dire le peuple dans sa diversité.

On peut trouver compliquée la marche actuelle d'une opinion partagée entre plusieurs partis, et pas seulement deux, et divers courants, entre Londres et le reste de l'Angleterre, mais aussi, ne l'oublions jamais, entre plusieurs nationalités, le vieux royaume d'Écosse et les six comtés de l'Irlande du nord.

On ne devrait pas, en France, ricaner mais plutôt admirer la résilience de ces institutions britanniques défiant à nouveau les siècles.

L'Histoire recommence toujours... Elle frappe à nouveau, insolemment, à la porte.

JG Malliarakis  

Apostilles

[1] cf. "Les deux révolutions d'Angleterre" par Edmond Sayous
[2] Face à la révolution française, à partir de janvier 1793, une partie importante des anti-révolutionnaires, ralliés à la lutte contre le jacobinisme, se sont opposés aux discriminations anti-catholiques en Irlande. Ralliés au groupe conservateur, sans pour autant se dire tories, c'était la position de Burke et de William Pitt le Jeune. Celui-ci démissionna de 1801 à 1804, en raison de l'opposition de la Couronne à toute remise en cause de la religion d'État. Pitt envisageait de supprimer certaines restrictions légales frappant les catholiques. Le très pieux George III considérait que leur émancipation aurait violé son serment de maintenir l'Angleterre protestante.
[3] Plus tard, en 1977 une situation analogue de hung parliament se reproduisit : elle conduisit au catastrophique ministère Callaghan. En 1979, celui-ci fut balayé par Margaret Thatcher.

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