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Qui décide de nos peurs ?

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Jamais sans doute société n’avait tenté de taire ses peurs en gérant l’atmosphère anxiogène qu’elles produisent en faisant appel soit à la justice soit à une sorte de mise en scène manichéenne des bonnes et des mauvaise peurs, des peurs interdite et de peurs encouragées.

C’est devenu un truisme de dire que nous nous trouvons dans une société de plus en plus violente. Qui dit violence dit peur de la violence. De même que, dans les sociétés occidentales, la violence est partout : elle est dans un regard échangé, dans un cambriolage en pleine après-midi, dans une manière de conduire sa voiture… De même la peur, qui anticipe sur la violence, se nourrit de ces violences quotidiennes elle croît de cette insécurité chronique et se niche comme à demeure au creux de nos ventres.

Peur du progrès

Le célèbre historien Jean Delumeau disait « Dans l'histoire des sociétés les peurs évoluent mais la peur reste » Le progrès n’est pas parvenu à éliminer la peur du cœur de l'homme, pas même à la diminuer, malgré les anxiolytiques. Au contraire, il suscite toujours de nouvelles raisons d'éprouver une insécurité nouvelles épidémies, destruction de la nature et pollution, malbouffe et produits cancérogènes, génocides et guerres totales sans cesse renaissantes dans certains coins du monde. La peur se porte bien ! Elle a toujours été le ressort le plus important dans les comportements humains, puisque c'est au fond la mort qui est crainte et que la mort, certes évitable, reste inéluctable. Elle était portée autrefois par les forces de la nature, tremblements de terre, épidémies, dérèglements climatiques et famines. Elle vient aujourd'hui de ce progrès qui devait faire le bonheur de l'humanité et dont on se demande s'il ne risque pas d'ouvrir en réalité sur la fin du monde.

Le progrès a rendu les communications de plus en plus faciles entre les hommes sur notre Planète. Chacun peut se féliciter, en son for intérieur, d'une telle ouverture et de la suppression des frontières qu’elle semble indiquer. Voilà un fruit du progrès qui honore l'homme et manifeste sa grandeur, dit-on ! Hélas, il faut y regarder de plus près. Un Georges Valois entre les deux guerres, avait largement annoncé ce monde sans frontière que nous sommes en train de vivre. Il y voyait non pas un fruit de je ne sais quel avenir radieux, mais la principale occasion de craindre l'avenir « Supposez les frontières abolies, disait-il, en vertu des conceptions mercantiles du monde Que se produit-il ? Par un mouvement lent ou rapide, individus, familles et peuples tendent à se porter vers ces régions tempérées du globe où leurs efforts reçoivent le bienfait quotidien de la lumière et de la chaleur En quelques années, toutes ces régions seront surpeuplées Qui cédera la place à l'autre du nouveau venu ou de l’ancien occupant ? On se battra sur place pour en décider et l’on se battra selon la règle hideuse des guerres de peuples à peuples qui sont sans merci » C'est le vieux syndrome de Babel qui est ici décrit. Ce mécanisme n'a pas encore donné lieu - Dieu merci ! - à de véritable guerre, mais les migrations transcontinentales existent, le malaise est palpable dans tous les pays où elles ont lieu (voir les 3,5 millions de Syriens en Turquie), avec l'inquiétude que cela suscite fatalement chez ceux qui doivent servir d'hôtes à des populations de plus en plus importantes.

Peur multiculturelle

La cohabitation pacifique entre les peuples est un événement qui, malgré feu la SDN et malgré l'ONU d'aujourd'hui, n’a jamais eu lieu dans l'histoire de l'humanité. Le mélange n’est pas un bon carburant social. Il peut exister des sociétés mélangées, comme le Brésil. Malgré les chiffres épouvantables de la violence dans ce pays (plus de 60 000 homicides par an), c'est une société qui n’est pas vraiment mise en danger dans son existence. Mais l'immigration incontrôlée qui permet à des populations de reformer leur solidarité de l'autre côté de la mer, comme nous le constatons dans notre pays, promet de plus graves déséquilibres encore. L’ancien président de la République François Hollande a parlé, on le sait, d'un risque de partition. L'ancien ministre de l'Intérieur du président Macron a parlé des dangers d'un « côte à côte » qui devient un « face à face ». La République a montré qu’elle savait absorber les individus. Elle n'a jamais su absorber les peuples comme le montre l’absurde départementalisation française de l’Algérie.

Le paradoxe est saillant lorsque l’on se rend compte que ceux qui revendiquent une culture islamiste (femmes voilées, gandouras, heures de prières, non mixité des relations sociales sont statistiquement d’abord des immigrés de la troisième génération, qui voient croître leur mal-être existentiel. N'étant au fond d'aucun pays, ils trouvent refuge dans un islam politique, social et spirituel, qui comble leur sentiment de vide et leur absence de repère. Ils ne sont plus de leur pays d'origine, qu'ils n'ont pas connu ils ne sont pas du pays dans lequel ils vivent parce qu'ils n’ont pas voulu en adopter les standards de vie ou parce que la machine scolaire dysfonctionne depuis le début de leur cursus. Ensuite, le chômage de masse, qui touche d’abord les classes moyennes ne facilite pas les choses, pour ces fils d'immigrés qui auraient dû s'intégrer.

Résultat ? Ces chiffres hallucinants parus dans Le Monde peu après l'attentat de Nice et qui disent avec éloquence ce que Laurent Bouvet appelle l'insécurité culturelle 68 % des Français et 75 % des Allemands pensaient à l'époque que les musulmans ne sont pas intégrés dans les sociétés occidentales. Il n’est pas sûr que ces chiffres seraient très différents aujourd'hui, surtout après le nouvel attentat au cœur du système de sécurité nationale, à la Préfecture de police, dans les services voués au renseignement intérieur.

Peur fantasmée

Le modèle multiculturel tant vanté est d'ores et déjà un échec, tout le monde le sait, tout le monde le sent, même si personne n’ose trop le dire, pour ne pas attenter à un ordre public déjà branlant et qu'un rien peut mettre en cause jusqu'à son fondement. La peur véritable, peur de parler, peur de ne pas parler, peur mutuelle, des autochtones aux allogènes et des allogènes aux autochtones, elle est dans cette nouvelle mixité sociale obligatoire. Le paradoxe est le suivant tout système social a pour but la sécurité de ses membres, c'est ce qui fait que les uns acceptent l’autorité des autres. La sécurité est la valeur sociale numéro 1, il suffit de lire Thomas Hobbes pour le comprendre, comme le fit Bossuet. Mais nous ne sommes plus au temps de Bossuet et de Hobbes. Cette fois, avec l’extension du multiculturalisme, le danger vient de la société elle-même. Cet ordre social aurait dû fournir la paix aux hommes qui lui ont fait confiance.

apparaît de plus en plus comme structurellement fauteur de tensions, de luttes, de guerres internes peut-être. Pour s’excuser de ne pas savoir unifier les cœurs, il reste à un Etat décrédibilisé l’argent du contribuable, cette redistribution économique les hommes politiques font semblant de croire que cette manne va suffire à tout. Elle laisse dans les cœurs une frustration profonde : celle de n'avoir jamais assez, et donc de n'être pas en paix, avec les autres, et finalement souvent avec soi-même.

Que faire d'une peur aussi irrationnelle et aussi réelle en même temps ? Que faire quand la peur naît de la société, qui devrait être la source de la paix ? Il faut interdire de penser à toutes ces raisons de l'insécurité culturelle, pour ne pas aggraver la peur. C'est ce que nous montre bien dans ce dossier Maître Belmont. Mais il est difficile de s’en tenir pour quitte avec la peur. Comme dit Delumeau « Dans l'histoire des sociétés, les peurs évoluent, mais la peur reste ».

Il faut donc inventer des peurs, qui permettront de défouler des peurs réelles dans des peurs fantasmées. Comme tout fantasme, l’objet de ces peurs nouvelles n’est pas complètement illusoire. Mais l'imaginaire n’est pas le réel. Le stade du miroir dont parle Lacan, ce blocage de la psychologie au stade infantile de l’autoadmiration, ou plutôt de l'autoémotion, n’est pas forcément dans l’erreur complète. Mais il est issu d'une psychologie narcissique, qui met l'image du moi au-dessus de tout. Louis Lavelle parlait de l’erreur de Narcisse. On pourrait parler aujourd'hui, parce que cela rejoint le même processus psychologique de l’erreur de Greta et de toute cette jeunesse qui a peur pour l’avenir du monde, dans une sorte d'emballement terrorisé.

C'est ainsi qu’on entend les politiques dire : il ne faut pas jouer avec les peurs, tout en étalant complaisamment la peur écologique, peur permise, peur bénéfique, peur qui fixe les peurs en dehors du jeu dyssocial dans lequel, pourtant, on trouve évidemment leur origine, peur à laquelle on peut enfin se livrer, peur qui délivre de cette peur d'avoir qu’engendrerait un seul regard objectif situation sociale actuelle.

Où aboutissent ces peurs autorisées ? Parce qu’elles relèvent avant tout de l'imagination elles font flirter ceux qui s'y adonnent avec le néant. Dans une sorte de démarche religion inversée, à l'image de ces religions païennes qui jouaient tant sur la peur de leurs membres, ces mouvements spirituels écologistes évoquent la fin du monde toute proche (selon eux, au moins si l’on ne passe pas la marche arrière de la décroissance). Ils enseignent le refus des enfants à naître (autant d'empreintes carbones supplémentaires !) et la rébellion contre la société, parce qu’elle protège mal les citoyens. L'une des sectes écolos les plus connues, lancée en Grande Bretagne en 2018, mais qui a désormais une extension mondiale, répond au doux nom d'Extinction rébellion. Sa devise ? « L’espoir est mort, l’action commence ». Fondé sur cet effroi que Greta (l’une des cofondatrices) donne à voir au monde entier, ce mouvement exprime parfaite l’angoisse qui tenaille des intellectuels et des jeunes, qui n’ont plus droit à la peur réelle et pratiquent à cet égard une scrupuleuse autocensure, mais qui peuvent rêver leur peur, en faisant un théâtre d'horreur aux dimensions de la planète.

Je précise pour terminer que je ne mets pas en cause le changement climatique. Le climat change au cours de l'histoire. Au Moyen-Âge, on a donné au Groenland ce nom de « terre verte » qu'il reméritera sans doute un jour. Mais comment prouver l’origine anthropique de ces changements ? Même les  savants stipendiés du GIEC n'y parviennent pas.   

Guillaume de Tanoûarn monde&vie  24 octobre 2019

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