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« Abolir l’Etat-Providence pour sauver l’Etat et libérer les hommes »

Pierre-Edouard du Cray est Docteur en droit, spécialiste des finances publiques. Il répond aux questions de Monde&Vie.

Pierre-Edouard du Cray, aujourd'hui l'État se constitue officiellement comme la providence des citoyens. Comment en est-on arrivé là ?

C'est le fruit direct de la Révolution. Tout d'abord, l'État (César) s est révolté, il a voulu se débarrasser de Dieu à jamais. Dans le champ social, cela a consisté à balayer la société traditionnelle telle qu'elle s’était forgée au fil des temps et qui était considérée comme le fruit de la loi naturelle, volonté de la Providence. La vie s’organisait autour de communautés naturelles familles, paroisses, villages, institutions confessionnelles, corporations, compagnonnages, etc. L'État, quant à lui, n'avait pas vocation à intervenir à tout bout de champ. Il n’était ni assureur, ni médecin, ni père et mère de famille, ni nounou. Il veillait avant tout au maintien de l’ordre et à la collaboration efficace des corps intermédiaires. Cette société était forcément imparfaite - comme toute société ici-bas - mais elle était construite à partir du réel et non pas sur une utopie. Les liens sociaux y étaient très forts. Enfin, la charité n’était pas considérée comme une notion surannée mais au contraire, comme une vertu la première des vertus.

Dans un deuxième temps - seconde moitié du XIXe siècle et début du XXe siècle - l'urgence a été de tenter de remédier aux dégâts causés par l’atomisation sociale causée par la Révolution en restaurant, sous la contrainte, des liens sociaux entre des individus affranchis, supposés libres et égaux en droit. En somme, l'État s'est donné pour mission d'imposer de nouvelles solidarités tout en cherchant à préserver les idées libérales et individualistes portées par la Révolution. Pas simple de marier les antagonistes… Nos libertés en ont pris un coup. Ce mouvement s'est définitivement imposé à la faveur du chaos, en 1945 avec l'apparition de la Sécurité sociale dans sa forme moderne.

Pour terminer, l'État est devenu Léviathan. Sa politique sociale ne consiste même plus à couvrir lui-même tous les risques par le biais d'une administration hyper centralisée, mais à corriger toutes les injustices sociales qui foisonneraient partout et qui violeraient le dogme de la sacro-sainte égalité. À fiscaliser et à redistribuer en veux-tu-en voilà, pour orienter nos vies vers la voie du « bonheur »

Vous déplorez l'intervention de l'État dans le champ social mais cette évolution n'est-elle pas naturelle et inéluctable ?

Le fait que l'État accapare et centralise tout le champ social n’est ni naturel, ni inéluctable. Deux puissants ressorts nous ont amenés à cet accaparement :

• L'idéologie certaines doctrines révolutionnaires, liées à l'idée de solidarité, ont eu un très grand impact dans l’évolution de la politique sociale de la France. Par exemple, Pierre Leroux, saint-simonien, écrivait en 1859 « J'ai (…) emprunté aux légistes le terme de solidarité pour l'introduire dans la philosophie c'est-à-dire suivant moi, dans la religion de l'avenir. J'ai voulu remplacer la charité du christianisme par la solidarité humaine ». Précurseur du socialisme moderne, il cherchait à rebâtir les liens sociaux en se basant sur les sciences. Il influencera Durkheim, Fouillé et surtout le solidarisme de Léon Bourgeois qui deviendra la doctrine quasi officielle de la IIIe République et de l'État-providence émergeant. Avocat, Président du Conseil, membre éminent du Parti Radical, il a développé une théorie « du quasi-contrat social » qui justifiera toutes les interventions unilatérales de l'État dans les relations sociales tout en ménageant, au moins « intellectuellement » les principes révolutionnaires de la liberté individuelle et de la  société contractuelle auxquels il était très attaché. Un tour de force nourri de sophismes qui fera que l'idéal de l'État républicain deviendra celui d'un État de services publics. Bourgeois sera le principal promoteur des premières lois d assurance sociale obligatoire, des droits de succession et de l'impôt progressif sur le revenu. En somme, c'est un grand précurseur du socialisme contemporain.

• La démagogie si les circonstances exceptionnelles des deux grandes guerres ont favorisé l'interventionnisme de l'État, le clientélisme électoral - beaucoup moins justifiable -a donné naissance à d'innombrables prestations sociales. La dépense publique atteint toujours des records les années d'élections.

Vous parlez du solidarisme de Léon Bourgeois, mais un auteur comme René de La Tour du Pin place lui aussi à l'origine d'un ordre social chrétien l'idée (chrétienne) de fraternité et trois autres idées qui en découlent, dit-il : les idées de charité, de solidarité et de liberté. Il ne répudie donc pas la solidarité de la cité chrétienne...

Le terme de solidarité a été utilisé par plusieurs auteurs d'horizons différents, sans pour autant recouvrir les mêmes réalités. Pour les contre-révolutionnaires, elle signifie l'interdépendance des générations et le fait que la vie en société soit une institution naturelle, voire même divine. Dans ce sens, il n’est pas surprenant que la solidarité ait sa place dans un ordre social chrétien, elle semble même y être indissociable. Pour les socialistes et les radicaux, la solidarité est l’ensemble des liens sociaux sur lesquels ils envisagent de construire la société nouvelle. Puis beaucoup plus récemment, solidarité est devenu synonyme de redistribution des revenus dans une perspective égalitariste. Il est vrai que le terme est souvent mal défini et qu'il suscite de nombreuses confusions et de fâcheux malentendus.

L'État-Providence prétend être le protecteur des Français, notamment à travers un système assurantiel. La Sécurité sociale en est l'expression la plus familière et la plus évidente. L'un des arguments majeurs de ses promoteurs consistait à permettre à tous les citoyens, pauvres ou riches, d'être soignés et de bénéficier d'une retraite pour assurer ses vieux jours. Le principe de l'assurance ou celui de la mutualité des risques vous paraît-il critiquable ?

Les principes de l’assurance et de la mutualité des risques sont excellents. Mais ce n’est pas l'État contemporain qui les a créés. Ils se sont très bien développés au sein des corporations et d’entreprises privées. Mais l'État ne cesse de les accaparer :

_obligation de s'affilier à la Sécurité sociale, sous peine de sanctions pénales :

_obligation de s’affilier à des régimes de retraite dont nous n’avons pas le choix et quel que soit le niveau de revenu :

_main-basse sur les caisses d allocations familiales et détournement de la politique familiale.

En fait, les enjeux politiques et financiers sont considérables aujourd'hui, les dépenses sociales des seules administrations publiques représentent pas moins d'un tiers de la richesse nationale (32 % du PIB), 730 milliards d'euros. À titre de comparaison, l'État consacre 32 milliards d'euros (plus de vingt fois moins) à la Défense et 7 milliards d'euros (cent fois moins) à la Justice qui sont des fonctions régaliennes. 730 milliards d'euros, cela permet de rendre un peuple dépendant et docile.

Vous accusez l'État révolutionnaire de s'immiscer dans tous les secteurs de la société, à commencer par les familles où il se substitue volontiers aux parents. Mais, dans un contexte où un grand nombre de familles sont aujourd'hui éclatées, en raison des divorces, mais aussi de la dispersion géographique liée au travail et aux moyens de transports modernes, la famille peut-elle encore remplir le rôle qui était le sien autrefois ?

La famille est la cellule de base sur laquelle est fondée la société et non l'inverse. Or, les principes relativistes et libertaires lui portent des préjudices qui sont funestes. Il n'y a par exemple jamais eu autant de divorces, près d'un mariage sur deux débouche sur une séparation. Résultat l'État développe tout un programme d’allocations à destination des « parents isolés », alors que dans un même temps il réduit les allocations familiales classiques. Or, verser des allocations aux parents divorcés est un pis-aller. Par ailleurs, il y a une véritable schizophrénie à promouvoir des principes qui favorisent l’éclatement des familles et, ensuite, à vouloir les indemniser ou les assister. La seule façon de sortir de ce cercle vicieux est évidemment de restaurer les valeurs familiales.

Faut-il abolir l'État-Providence ?

Oui, pour sauver l'État et libérer les hommes. En intervenant à tout bout de champ, l'État est devenu un sujet de droit, il a considérablement perdu en souveraineté. De surcroît la dépense sociale est devenue hors de contrôle et nourrit grandement les déficits publics. Aujourd'hui, la dette publique atteint plus de 2 200 milliards d'euros. Or l'État ne rembourse rien. Il ne paie que les intérêts et renouvelle ses emprunts dans des proportions toujours plus importantes. Il a donc de moins en moins d autonomie budgétaire et développe une dépendance très nette vis-à-vis du monde financier. La facture est de plus en plus lourde pour le contribuable. Les prélèvements obligatoires ont très fortement augmenté en 2017 (45,4% du PIB) et la France est définitivement devenue le pays le plus fiscalisé au monde.

Entretien par Hervé Bizien monde&vie 19 avril 2018

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