De la CFTC de la métallurgie des Yvelines :
Lors du réveillon du jour de l’an, deux amis et moi avons eu une belle discussion sur la finalité de l’entreprise. Pour eux, cette finalité est de faire du profit pour rémunérer le risque pris par les propriétaires, et les hommes sont les ressources nécessaires pour atteindre ce but. Discours classique, étonnant de la part de chrétiens très convaincus et engagés, et qui pose fondamentalement la cause racine du problème des retraites, qui est en réalité celle du sens du travail humain et du sens de la vocation de l’Homme. C’est ce que souhaite montrer l’article ci-dessous, dont le lecteur voudra bien pardonner la longueur.
En effet, les travailleurs et une grande partie de la population souhaitent avoir une retraite tout en étant encore dans la force de l’âge, et craignent pour leurs droits du fait de la réforme du système. Pourquoi les gens veulent-ils partir en retraite ? Parce que leur travail ne les comble pas et leur prend de la vie plus qu’il ne peut leur en donner.
Ici, il faut faire la distinction entre plusieurs types de travailleurs. Premièrement, il y a les patrons, les vrais, les entrepreneurs. Ceux-là n’ont généralement pas envie de quitter leur bébé trop tôt, au point qu’ils ont du mal à organiser leur succession. Parfois même, ce « bébé » meurt avec le départ du créateur,, ce qui est le type même de la symbiose existentielle.
Deuxièmement, il y a les salariés de PME, qui sont en prise directe avec les décisions, l’avenir de l’entreprise, le produit, le client. Ils savent pour qui ils travaillent, il y a une inhabitation du travailleur dans l’entreprise elle-même : il en est une partie, et la finalité de l’entreprise est une part de sa finalité personnelle. Dans ces situations, bien souvent, l’effort est réel, mais la peine est atténuée par la liberté du don de soi.
Il y a enfin les salariés des grands groupes et des administrations, qui sont loin des lieux de décision et qui vivent leur travail de façon partagée entre l’intérêt pour les tâches ou le service accomplis – se sentant utiles, ils sont contents de leur travail et le disent dans les sondages – et le non-sens d’une finalité à laquelle ils n’adhèrent pas : souvent, la génération de profit pour des actionnaires invisibles, ou la génération d’économies pour un Etat par ailleurs dispendieux et des donneurs d’ordre parfois peu exemplaires, qu’ils soient de haut niveau de fonctionnariat ou le petit chef de service qui exerce de façon peu vertueuse une autorité viciée. Ici, l’effort est faible mais la peine est grande, ce qui est le type même du non-sens.
Mettons de côté pour l’instant toutes les formes de travail non professionnel et pourtant bien réel : le travail parental, associatif, ecclésial, toute forme de services non marchands que nous nous rendons les uns aux autres. Il faudra y revenir.
Petit rappel au passage sur le sens du travail humain : dans le récit biblique de la Genèse, avant la chute, c’est-à-dire avant la perte de l’harmonie avec le créé, l’Homme devait s’efforcer de travailler pour jardiner la création, la soigner : là était sa vocation à la communion avec la créature et le créateur. A la chute, l’effort de ce travail s’est transformé en peine, en souffrance. Ce n’est pas tant une punition qu’un constat, et, partant d’un nouveau réel, le travail désormais accompagné de souffrance devient le moyen pour cheminer vers plus d’humanité, pour retrouver sa vocation. En discours chrétien, ce moyen d’humanisation est la nouvelle voie de salut offerte par Dieu aux Hommes. Le travail, et la peine qu’il donne lorsque celle-ci provient de la loi naturelle, sont des chemins de perfectionnement de l’humain en l’Homme (en discours chrétien : de sanctification).
Attention : il existe une peine dans le travail qui ne vient pas de la loi naturelle mais de celle des hommes, une peine pathologique et pathogène qui est générée par l’avidité et l’esprit d’accumulation, qui n’est pas vertueuse et contre laquelle il faut évidemment lutter : c’est là le travail du syndicalisme.
Dans le monde d’aujourd’hui, la perspective d’humanisation et de sanctification se sont éloignées avec le principe même de dignité humaine, de vocation humaine. La souffrance, d’où qu’elle vienne, n’a plus de sens, sauf, peut-être, dans le sport, parce qu’elle a un but librement choisi.
Le travail est une aliénation acceptée, nécessaire, comme le service militaire romain et la perspective de la retraite est une libération pour ceux qui vivent le travail comme une souffrance et un non-sens.
Si l’on veut réellement résoudre le conflit social qui est né avec le projet de réforme des retraites, il faut d’abord redonner du sens au travail professionnel, intégrer dans la reconnaissance des efforts personnels toute forme de travail, y compris le travail associatif, le travail parental, le travail grand-parental (qui n’est pas le même, il a une mission propre d’aide logistique, de transmission de la mémoire et de valeurs, d’expérience de vie).
La réforme des retraites telle qu’elle est présentée actuellement nous met dans deux impasses : l’une est existentielle parce qu’elle contribue à dynamiter la solidarité familiale (point 5 de l’article précédent), l’autre parce qu’elle entérine l’Homme et son temps de vie comme l’outil de la production et de la vie économique au sens étroit du terme : elle augmente en réalité les causes de la crise.
Redonner du sens à la vie professionnelle, c’est remettre de l’ordre dans les finalités de la vie, de l’entreprise, c’est arrêter de considérer les personnes comme des ressources humaines mais comme des cause médiates de leur propre finalité qui est d’être pleinement humanisé (les chrétiens diraient « en Dieu », à la suite de St Augustin). C’est donc de considérer l’entreprise non pas comme une finalité – alors prédatrice des personnes- , mais comme le moyen de leur vie communautaire qui permet cette humanisation par l’exercice quotidien des vertus cardinales : justice, prudence, tempérance, force de caractère, auxquelles ont peut ajouter les vertus théologales de foi, d’espérance et de charité. Avec cette perspective d’humanisation par le moyen de la vie professionnelle et l’intégration dans la reconnaissance publique des travaux masqués, le désir de la retraite comme événement libérateur de l’aliénation par le boulot s’estompera, et avec lui, l’urticaire du fameux âge pivot.
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