Franck Buleux cliquez ici
Dans la réforme des retraites, il est question d’universalité.
Bien entendu, l’universalité en France ne concerne que les personnes résidentes en France, ce qui n’est déjà pas si mal. On se demande parfois à quoi sert le critère de nationalité, mais c’est un autre débat.
Le critère d’universalité implique l’ensemble des personnes, comme le système d’indemnisation des frais de santé, mis à part, il est vrai, le système dit de droit local, qui concerne l’Alsace et la Moselle, soit trois départements du Grand Est.
Ce système universel permet à toute personne de bénéficier de la prise en charge de leurs frais de santé au seul titre de leur résidence stable et régulière en France.
En matière d’assurance vieillesse (lire « retraite »), il a été mis en place des systèmes différents au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. On peut s’interroger sur les deux systèmes de répartition et de capitalisation. Il est simplement nécessaire de rappeler, contrairement à ce qui se dit ou s’écrit ici et là, que la répartition n’offre aucun droit puisque les cotisations sociales de l’année en cours permettent de régler les prestations de cette même année. Il s’agit, purement et simplement, d’un système de solidarité intergénérationnel, sans pérennité garantie. Il n’y a donc aucun « droit acquis » en la matière.
À partir de ce système, inauguré le 14 mars 1941 par le régime de Vichy et repris par le Conseil national de la Résistance (CNR), l’après-guerre a vu l’éclatement des régimes. Chaque régime (quarante-deux) gère ses propres cotisations et verse les prestations dues aux personnes concernées.
La dérive apparaît, non pas dans la différenciation des régimes, mais dans leurs choix subjectifs. On peut, en effet, s’étonner du choix de certains régimes spécifiques. Le régime de la SNCF existait déjà avant 1945, sans doute existait-il un certain corporatisme dès 1909, date de l’entrée en vigueur du régime dit « spécial ». On le voit, rien n’est simple, et le plus souvent la date de 1945 ne sert qu’à sacraliser, qu’à sanctuariser des règles antérieures, du moins pour leurs principes. Il est nécessaire de le rappeler, les prestations sociales, même si elles ont été généralisées, ne sont pas nées à la Libération.
Le mot « corporatisme » employé il y a quelques lignes semble être un « gros mot », c’est-à-dire un mot qui ne doit pas être utilisé. Une corporation est un ensemble de personnes qui exercent la même profession, généralement regroupées dans une association et bénéficiant, comme ce fut le cas aussi bien dans l’Antiquité romaine que sous l’Ancien Régime, d’un ensemble de monopoles et de privilèges. Nous y voilà… « privilèges », c’est-à-dire un droit collectif reconnu par la loi en échange de services : protection d’une profession (numerus clausus) contre la concurrence abusive, voire déloyale, obligation à l’engagement militaire des nobles sous l’Ancien Régime en contrepartie du non-paiement de l’impôt… Un privilège peut donc être octroyé en contrepartie d’une obligation liée à la solidarité nationale comme l’ouverture de services publics tous les jours calendaires.
Vouloir à tout prix l’universalité des systèmes, c’est méconnaître les particularités, nier les particularismes. Que représente l’universalité face aux métiers ? En 1884, les syndicats professionnels ont obtenu l’abrogation de la loi Le Chapelier de 1791 visant à l’interdiction du régime général d’exercice collectif des métiers ouvriers, c’est-à-dire des corporations.
Les syndicats sont, pour la plupart d’entre eux, des confédérations, c’est-à-dire qu’ils représentent des fédérations représentant de nombreux métiers. Pourquoi ? Parce que les exigences des métiers sont différentes, les besoins des salariés aussi. Pourquoi ne pas les prendre clairement en compte ?
Deux systèmes me semblent abusifs : l’universalisme qui ne correspond en rien aux particularismes et l’individualisme qui ne revêt un intérêt qu’en cas de reconnaissance d’un préjudice direct et personnel par un tribunal compétent. Au-delà de l’universalisme et de l’individualisme, il existe le corporatisme, qui peut préserver des droits issus des particularités des métiers. Un « privilège », du latin privilegium (« loi concernant un particulier »), est à l’origine une disposition juridique conférant un statut particulier, statut lié à une situation.
La réforme des retraites nous est présentée comme une ode à l’égalité absolue, pour ne pas dire l’égalitarisme. La République en marche (LREM) comme la plupart des mouvements de droite libérale (la majorité des Républicains) se servent de ce concept pour s’appuyer sur cette réforme libérale. Mais ce n’est pas de libéralisme (système universel et impersonnel) dont nous avons besoin mais de conservatisme, au sens premier du terme. La conservation de notre identité, c’est aussi la préservation de nos métiers, le respect de nos spécificités face à un universalisme niveleur.
Non, il n’y a pas trop de régimes spéciaux, mais il n’y en a pas assez. Le statut des cheminots, longtemps profession réservoir des forces de gauche (voir les liens entre le PCF et la SNCF en 1947 lorsque les communistes ont quitté le gouvernement et l’explosion concomitante des émeutes sociales), est l’arbre qui cache la forêt. Qu’il faille refonder les règles concernant les cheminots, pourquoi pas ? Mais la question essentielle, globale est la mise en place de systèmes liés aux métiers, bref un système corporatiste. Recentrer les métiers (réserver la vente de pain aux artisans boulangers), octroyer des privilèges à certaines professions (le droit de stationner gratuitement en faveur des commerçants ayant pignon sur rue), conserver les trimestres sans cotisations aux mères de famille dans le cadre de la promotion de la natalité (qu’en sera-t-il dans un système dit « à points » puisque, par définition, s’il n’y a pas de revenus, il n’y a pas de points…) Qui évoque cette carence liée au nombre d’enfants ? (https://metainfos.fr/2019/12/24/noel-maternite-le-combat-oublie/ ) moins que nos dirigeants aient déjà décidé que l’immigration et la robotisation ne remplaceront, à court terme, les travailleurs nationaux ? C’est une optique, mais les députés LREM devraient nous le confirmer.
Confier l’expression populaire au législatif est une hérésie, compte-tenu de l’augmentation de l’expression du pouvoir exécutif avec, notamment, la mise en place par le président Chirac du quinquennat. Nous y reviendrons lors d’une prochaine chronique. Hérésie aussi quand on voit le nombre de Français qui ne s’expriment pas lors des élections législatives, dont l’existence ne sert qu’à valider le choix présidentiel du mois précédent : sans compter les bulletins blancs et nuls, plus de 51 % des Français inscrits ne se sont pas déplacés en juin 2017 pour participer à l’éclatante victoire sans appel (sic) des inconnus ou des recyclés (le plus souvent du PS) d’En marche ! Face à cette désaffection, un Conseil national des métiers serait le bienvenu qui permettrait de mobiliser les branches d’activités et le monde du travail.
Il est temps de revenir à une société utilitariste. La notion de corporatisme n’est pas surannée, elle représente l’essence de la nation, celle des intérêts (au sens positif) professionnels, intérêts qui permettent aussi de lier les employeurs et les salariés, hors lutte de classes.
Oui, le corporatisme est une option d’avenir. Il serait temps d’y réfléchir.
Lire sur le corporatisme : L'Etat corporatif de Bénito Mussolini cliquez là
http://synthesenationale.hautetfort.com/archive/2020/01/07/la-voie-du-corporatisme-6203594.html