À l’heure où j’écris, difficile de dire où va la polémique sur les retraites, et les grèves qu’elle a provoquées. Mais ces difficultés sont l’occasion pour revenir sur le grand dessein macédonien et sur les nombreux ratés qu’il a subi.
On peut prendre l'affaire Benalla, hors contexte, pour une malheureuse gaffe présidentielle dans le choix de son homme de confiance. Mais le problème, c'est que dans cet autodécrété « nouveau monde » où tout ne devait être que bienveillance et partage entre les Français, on s'aperçoit que le nouveau régime, en place depuis 2017 est sans doute le plus corrompu de la Ve République.
La démission de Jean-Paul Delevoye ex-haut-commissaire à la réforme des retraites, quelques jours après avoir été nommé secrétaire d'État en charge des retraites, est le nouvel emblème de ce désordre ! Le voilà, Delevoye, obligé de jeter l'éponge, pour treize mandats non déclarés (« un oubli ») et une déclaration fiscale incomplète (faute à sa femme ne se gêne-t-il pas pour dire). On hésite sur le diagnostic phobie administrative ou dissimulation ? Difficile de trancher en tout cas, c'est une pièce importante du dispositif, qui tombe au plus mauvais moment, alors que les syndicats bombent le torse et refusent la traditionnelle trêve de Noël. Cette étourderie revendiquée commence fâcheusement à évoquer le quinquennat Hollande.
Les syndicats, qui ont senti l'odeur du sang s'en pourlèchent déjà les babines après Delevoye, qui ? Edouard Philippe, le premier ministre droit dans ses bottes, qui ne négocie ni sur l'âge pivot ni sur la retraite à points, qui explique impavide son nouveau dispositif, qui répète posément quand on lui réclame des explications, mais qui ne change rien à ses papiers et au nouveau système qu'il a décrit ? Je m'avance sans doute un petit peu, mais il ferait une très présentable deuxième victime. La Présidence de la République vient de déclarer, par la bouche de Sibeth Ndiaye, qu'il ne fallait se crisper ni sur l'âge pivot, ni sur les régimes spéciaux. Est-ce le début de la fin pour l'ancien maire du Havre ?
Ministre ? Ce n'est pas un métier !
On aurait presque oublié qu'Emmanuel Macron a beaucoup vu couler le sang de ses amis politique, sans paraître s'en formaliser outre-mesure. En deux ans et demi, seize ministres ont démissionné, soit pour incompatibilité d'humeur (Nicolas Hulot, Gérard Collomb, deux mentors déçus), soit pour ambition personnelle (Benjamin Grivault, Mounir Majoubi, qui se sont sentis appelés à la mairie de Paris, Nathalie Loiseau, désormais tête de la liste Macron comme députée européenne) soit par le fait du Prince (Jacques Mézard, reclassé au Conseil constitutionnel, Stéphane Travert : ce socialiste de gauche est jugé responsable du départ de Nicolas Hulot à cause de déclarations malsonnantes sur le glyphosate; Delphine Gény-Stéphann : elle a été jugée par l’Obs « ministre la plus riche du gouvernement », mais ce n'est pas une raison ?). Ce qui frappe dans cette première partie de la liste, c'est que manifestement les raisons profondes des uns et des autres ne sont pas dites et que chacun est parti avec rancune ou (c'est pire) indifférence. C'est ainsi qu'il se murmure que Didier Guillaume pourrait quitter le gouvernement en janvier pour se préparer pour les élections municipales à Biarritz. Histoire d'être plus utile ailleurs ?
J'ouvrirai une deuxième catégorie, assez personnelle, elle aussi, celle dans laquelle je fais rentrer Françoise Nyssen (la ministre de la Culture est obligée de partir pour travaux non-déclarés à Paris et en Arles) et surtout l'ineffable François de Rugy, qui, on s'en souvient, a démissionné pour un homard de trop). Les autres sont l'objet d'enquêtes préliminaires ou de mises en examen, ou comme Jean-Paul Delevoye, ils sont coupables de faits possiblement délictueux. Richard Ferrand (qui n'est plus ministre mais occupe toujours le Perchoir de l'Assemblée nationale demeure mis en examen dans l'affaire des Mutuelles de Bretagne), Sylvie Goulard (dont la Commission européenne ne voulait pas), François Bayrou, qui fut chargé de la moralisation de la vie politique et dut s'éclipser pour une affaire d'assistants parlementaires utilisés par le Modem, Marielle de Sarnèze (pour les mêmes raisons que François) et Laura Flessel (l'épéiste aurait « oublié » certaines déclarations fiscales), autant de taches dans l'histoire des gouvernements macroniens, avec pour chacun des épisodes médiatiques plus ou moins longs.
Beaucoup d'accidents de la politique, quelques incidents, la macronie n'a pas vu naître le monde nouveau qu'elle promettait. Macron ? Rien de neuf.
Voilà une raison pour ne pas perdre de temps avec ce conflit au sujet des retraites. En 2024, doivent être réaffectés les 24 milliards annuels de la Caisse d'Amortissement de la dette sociale (dont 9 milliards de Crds). En effet, on aura achevé de rembourser les dettes de la Sécurité sociale. Ces 24 milliards suffiront bien à éponger les déficits de certains régimes spéciaux (sur les 42 en vigueur beaucoup sont bénéficiaires. Le déficit énorme des retraites à la SNCF est dû au fait qu'il y avait 500 000 chemineaux et qu'il en reste à peine 150 000 beaucoup plus de retraités que d'actifs !). En revanche l'hôpital et l'école sont de grands malades et c'est là qu'il importe de commencer un traitement contre les déserts médicaux. Contre les sous-effectifs à l'hôpital et pour le sauvetage du système d'éducation français.
Alain Hasso monde&vie 26 décembre 2019