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Pour une autarcie économique des grands espaces

Tout se réduit en valeurs rentables et donc en profit. Le "Vendre! Vendre! Vendre !", cette injonction totalitaire si bien condamnée naguère par Maurice Bardèche, s'impose désormais partout.

La mondialisation en est son résultat géo-économique. Si le "village planétaire" d'humains numérotés ou l'État universel n'en sont qu'à leurs funestes prémices, il est encore possible d'arrêter l'expansion du nouveau credo, de la nouvelle foi mondiale qu'est le libre-échange économique des biens, des capitaux et des hommes hantés par la Crise de 1929, les vainqueurs occidentaux de 1945 appliquent grâce aux accords de Bretton Woods les théories libre-échangistes. Les taxes douanières diminuent régulièrement au fil des "Trente Glorieuses" ce qui stimule le commerce international, facilité par l'essor technique des moyens de transport. Au milieu des années 1980, le couple infernal atlantiste Thatcher-Reagan accélère le processus en "libéralisant" Les marchés financiers de toutes entraves. Sonne l'heure planétaire de l'économie spéculative rapace et vorace ! Aujourd'hui, la fin des frontières et les délocalisations font que les acteurs de l’économie sont contraints de jouer sur la seule variable d'ajustement possible (la main-d'œuvre), soit en diminuant les salaires et en augmentant le temps de travail, soit en recourant à une immigration corvéable à merci concurrente des bras autochtones. Par ailleurs, en spécialisant les zones de production, la thèse Libre-échangiste va à l'encontre de la biodiversité et favorise au contraire un gaspillage des ressources naturelles (surtout pour l’agriculture et le tourisme). Pendant ce temps, le non-libre-échange reste décrié.

Hors du libre-échange, le salut

Le "camp" anti-échangiste n'est pas monolithique traversé de courants parfois antagonistes ou contradictoires, mais toujours pertinents. Libéral convaincu à l’esprit social affirmé, le seul prix Nobel français d'économie, Maurice Allais, ne cessait jamais de critiquer le primat du marché. En Européen fédéraliste conséquent, il défendait la préférence communautaire naguère inscrite dans le traité de Rome de 1957 et supprimée par Maastricht en 1992 ! Ce serait déjà un grand pas si l’Union européenne (U.E.) la rétablissait…

Proche des thèses de Maurice Allais, le nationiste-républicain de gauche Emmanuel Todd soutient pour sa part le protectionnisme. Préfacier d'une nouvelle édition du Système national d'économie politique (1841) de Friedrich List, il estime que seul un protectionnisme raisonnable et continental permettrait à l'U.E. et à ses membres de contenir les chocs de la concurrence planétaire. Quand bien même il réclame des taxations sociales et écologiques aux frontières, Todd ne s'aperçoit pas que List suggérait un protectionnisme pour des États en cours d'industrialisation et non pour de vieux pays développés désindustrialisés... Principal penseur économique de l’Alliance sociale, Janpier Dutrieux suggère, quant à lui, le "mutualisme commercial". S'inspirant à la fois de la doctrine sociale de l’Église, de Maurice Allais et de Proudhon, il croit souhaitable l'établissement d'une juste coopération entre le Nord et le Sud pour laquelle il n'y aurait que des gagnants. Or toutes ces solutions ne sont que des pis-aller temporaires, car elles s'inscrivent encore et toujours dans le sens de la modernité et participent à l’idéologie développementaliste. Inciter à la relocalisation des biens et des hommes, vouloir effectivement la démondialisation, récuser le libre-échange et ses chimères implique la sortie du monde moderne, un abandon qui, en économie, s'appelle l’autarcie.

Le recours autarcique

Sous la Grèce antique, l'autarcie concernait essentiellement - mais pas toujours ! - la cité. Reprise au milieu des années 1930 dans une logique de grand-espace sous le terme de zonisme, défendu par André Mahé et Georges Soulès (futur Raymond Abellio) dans La fin du nihilisme, l'autarcie contemporaine ne peut être optimale qu'à l'échelle d'un ensemble cohérent de membres. L'Europe ne se fera vraiment que si elle devient autarcique ! L'approche autarcique remet en cause l’imaginaire économique de l'homme moderne. Exclure l'économie de sa tête passe par le réenchâssement de l'économique dans l'écologique, le social, le politique et le spirituel. Ce retour à un nouvel ordre non-moderne présuppose la réhabilitation de l'auto-suffisance et la restauration d'une souveraineté véritable dans les domaines agricole, alimentaire, industriel, technique et scientifique. Il découle de cet impératif l'urgence de fragmenter la "sphère" économique et de lui substituer une économie de puissance ultra-concurrentielle en prise avec l'extérieur, une économie sociale et solidaire d'échelle régionale (ou nationale) et une économie locale de subsistance. Cette révolution passe par la récusation totale du matérialisme et du fétichisme de la marchandise. Plutôt que produire un objet rapidement jetable et/ou obsolète, l'autarcie exige la réalisation d'un produit solide, fiable et durable, doté (pourquoi pas ?) d'une spécificité à la guise de son fabricant. Pas besoin d'avoir une existence envahie de gadgets insignifiants, de télés à écran plat de i-phones dernier cri, de téléphones nouvelle génération qui rasent et lobotomisent ! Hormis les secteurs stratégiques supervisés par L'État, l'autarcie préfère aux grandes usines massifiées et anonymes la petite unité locale (ou régionale) de production, des milliers d'ateliers disséminés dans les terroirs, dans lesquels les travailleurs-copropriétaires (principe coopératif) considèrent leur tâche non comme une manière pénible de gagner leur vie, mais comme une voie d'épanouissement personnel. Le travail ne doit pas être une valeur cardinale : par une activité régulière et choisie, la personne gagne plus qu'un salaire, elle œuvre au bien commun de ses communautés.

L'autarcie postule en outre l'arrêt net de la croissance et de la course au développement. En finir avec la société de consommation impose la redécouverte salutaire de l'autarcie qui, si elle s'applique à un grand-espace clairement défini (disons l'actuelle U.E), n'en garde pas moins un caractère éminemment localiste et personnaliste puisqu'elle s'adresse d'abord aux communautés et aux personnes (ré)enracinées.

La réduction draconienne du temps de travail s'inscrit dans le projet autarcique, non dans une perspective fallacieuse de société de loisirs, mais pour un retour aux principes européens d'identités, de puissance et de spiritualités. Redonner aux Européens une intense densité intérieure, une sensibilité nouvelle au tragique et une sociabilité civique effective, très loin du chant des sirènes de la marchandise, tel est finalement le but philosophique de l'autarcie des grands espaces.

Georges Feltin-Tracol Réfléchir&Agir N°37 HIVER 2011

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