Le productivisme, le gigantisme, l’instantané, le règne de la quantité, la vitesse et le nomadisme sont le carburant du capitalisme libéral moderne. La seule « troisième voie » révolutionnaire susceptible de lui briser les reins s'appelle la décroissance. Prenant en compte les impératifs écologiques et la volonté totale de réinventer une nouvelle société plus sobre, plus enracinée et plus conviviale, la décroissance s'avère comme le modèle économique et social révolutionnaire du XXIe siècle.
Pour le moment, comme l'avait bien vu Castoriadis, « un changement radical de la structure politique et sociale passent pour d'incorrigibles utopistes alors que ceux qui ne sont pas capables de voir deux ans plus loin que leur nez sont évidemment des réalistes. » Tant il est vrai que le monothéisme du marché, comme la pensée unique d'ailleurs, sont des dogmes absolus qui ne souffrent guère de contestation. Les contester en bloc faisant de vous des rêveurs doux-dingues au mieux, des personnes relevant de la psychiatrie au pire...
Qu'est-ce que la décroissance ?
C'est d'abord et avant tout un changement de posture, un moyen et non une fin. Face à la démesure capitaliste, il s'agit dans un premier temps de la freiner, de lui imposer des limites individuelles et collectives. Il est donc nécessaire de mettre en place une diminution régulière de la consommation matérielle et énergétique pour les populations qui consomment plus que leur empreinte écologique admissible (surface terrestre productive de sols et d'océans nécessaires pour fournir les ressources consommées par cette population et en assimiler les déchets et autre rejets), en évacuant en priorité le superflu matériel, au profit d'une croissance des relations humaines. Si l'on y réfléchit la décroissance n'est pas une croissance négative, c'est avant tout la sortie de la religion de la croissance dont l'étalon de mesure demeure le Produit Intérieur Brut, un indice vicié puisqu'il ne calcule que l'activité marchande. Une sortie de l'économisme de manière à rendre l'économie seconde, le primat devant revenir au Politique.
La décroissance exige aussi de se poser des questions sur l'utilité réelle de certaines productions et sur des concepts comme la rentabilité, nouveau totem qui entraîne cet esprit de compétition planétaire, de flexibilité au travail, d'augmentation de la productivité, de stress et de mal-être au travail devenu les nouveaux fléaux dénoncés comme tels par tous les derniers rapports de la Médecine du Travail... Enfin, les drogués de la consommation que nous sommes tous à des degrés divers doivent par une véritable cure de désintoxication, réapprendre la simplicité volontaire. En d'autres termes, il s'agit de travailler, de produire, de dépenser et de consommer moins en réaction à l'ultra-consumérisme une forme de limitation des besoins pour trouver le bonheur et un destin ailleurs que dans une galerie marchande.
La règle des huit "R"
Comment mettre en place une telle politique ? Il peut y avoir plusieurs voies. Celle qui intéressent les partisans de l'Identité pourrait être la suivante guidée au sommet par les États ayant retrouvé le rôle protecteur de leur peuple et non des outils oppresseurs aux mains des multinationales, un cercle vertueux pourrait peu à peu s'instaurer si était mis en place la fameuse règle des 8 "R" inventée par le professeur Serge Latouche :
- Réévaluer : les valeurs actuelles étant stimulées et suscitées par le Système qu'en retour elles contribuent à renforcer, il est nécessaire, sur la base d'une réflexion politique et philosophique radicale, de remettre en cause ce qui se tient derrière ce système porteur de valeurs négatives pour tous les peuples, à savoir le culte du progrès, la technoscience, la marchandise, l'argent.. Une révolution culturelle au vrai sens du terme.
- Reconceptualiser : sortir de l'impérialisme de l'économie et construire une société de décroissance comporte un versant théorique, un travail de délégitimation des valeurs dominantes et de la manipulation (sciences économiques, pub, média, éducation) et de décoloniser notre imaginaire de la croissance, du fric, de la consommation.
- Restructurer : adapter l'appareil de production et les rapports sociaux en fonction des changements des valeurs, notamment par la prise en compte de l'impératif écologique. C'est l'orientation vers une société de décroissance qui est ici en question. Sortir du capitalisme est donc nécessaire mais insuffisant. Il faut casser la société productiviste et industrielle, de la consommation... ralentir l'accumulation puis remettre en cause le concept pour l'inverser.
- Redistribuer : la redistribution concerne l'ensemble des éléments du système la terre, les droits du tirage sur la nature, l'emploi, les revenus, les retraites. "Euthanasier le rentier" selon l'expression de Keynes, prélude à la limitation des banques, des intermédiaires financiers, le démantèlement des firmes géantes.
- Relocaliser : vivre et travailler au pays et par conséquent "démondialiser l'économie" en n'acceptant plus les délocalisations et le démantèlement des services publics.
- Réduire la nécessaire réduction de notre empreinte écologique implique de redimensionner notre mode de vie, ce qui ne passe pas seulement par une cure d'amaigrissement mais aussi par un changement de nos besoins. Cette réduction recherchée amenant en échange un accroissement de santé, de bien-être, de joie de vivre.
- Réutiliser : à l'inverse de la société de consommation qui nous a habitués à bazarder des produits encore parfaitement utilisables sous prétexte qu'ils sont dépassés, il faut consommer avec respect, en traitant bien les objets pour les faire durer plus longtemps. La culture de la réutilisation doit surtout se répercuter sur les entreprises, qui devront renoncer à fabriquer systématiquement du jetable, source de gaspillage et d'inflation des déchets.
- Recycler : recycler nos déchets est une manière de payer notre dette à la nature, lui restituer ce qu'on lui a prélevé. C'est pourquoi les coûts du recyclage devraient être à la charge de leur responsable.
Une application concrète
En attendant une impulsion directe après une révolution politique et des mentalités, voici quelques conseils à un futur objecteur de croissance se désintoxiquer du prix le plus bas possible (acheter moins mais mieux), s'approvisionner le plus possible sur les marchés locaux (de produits fabriqués localement) ou adhérer à une AMAP consommer des produits de saison, bannir les préparations industrielles, privilégier la qualité sur la quantité, être vigilant sur les conditions de production des objets que nous achetons (accepterions-nous de travailler dans les conditions dans lesquelles a été produit cet objet ?), éviter les grandes surfaces, limiter notre consommation d'énergie et diminuer le nombre de nos appareils électriques, préférer les transports en commun, bouger... Une révolution comportementale pour nous autres aussi...
Eugène Krampon Réfléchir&Agir N°37 HIVER 2010