Il est encore temps de s'y rendre : depuis 1964, le salon de l'Agriculture de Paris reste l'occasion d'un immense rassemblement populaire, peut-être le préféré des Français. Et, comme chaque année depuis 56 ans il offre aux politiques et aux médias une occasion dont ils ne répugnent pas de se servir. On y ouvre, en effet en direction du public, et surtout le premier jour, une fantastique boîte aux mensonges et aux folies de l'hexagone.
Le marché reste significatif. Au tarif de 15 euros pour les adultes, 8 euros pour les enfants de 6 à 12 ans, le spectacle n'est évidemment pas donné. En 2019, le Salon accueillait à Paris 633 000 visiteurs soit 40 000 de moins que l'année précédente. Sans disposer à l'instant des statistiques relatives aux stands des exposants eux-mêmes, il reste clair qu'il s'agit toujours d'une matière profitable. Nous nous trouvons donc en présence, aussi, de ce que Fernand Raynaud appelait, sur un texte rédigé par le souvent génial Francis Blanche, un gala organisé au profit des organisateurs de gala.
En 1991 débutait l'installation de ces chroniques sociales sur internet, qui sont devenues depuis celles de L'Insolent. La première commença par notre participation syndicale au grand rassemblement de septembre effectué sur le thème "pas de pays sans paysans".
Ce slogan astucieux et mobilisateur avait été inventé par les communicants de l'insubmersible FNSEA. Ce réseau syndical s'était étendu depuis sa conquête par les anciens "jeunes agriculteurs" aux Chambres d'agriculture, aux instances professionnelles du Crédit Agricole, à la MSA et à ses pseudopodes types Groupama, au SAFER départementales exerçant une droit de préemption sur les exploitations, etc.
Toutes ces institutions fonctionnent dans le sens de la concentration foncière. Et donc, pour faire court, de l'éviction des petits paysans. Ainsi, comme la technocratie régnante et la fiscalité entravent la création d'entreprises individuelles et artisanales, et comme la grande distribution élimine le petit commerce, les villages deviennent les satellites dortoirs des villes moyennes.
Aujourd’hui encore le mécanisme infernal continue : grosso modo sur un million d'ha cultivables qui se libèrent chaque année, environ 500 000 sont absorbés par l'agrandissement des exploitations.
De longue date, la FNSEA et sa politique agricole se voyaient contestées, sur sa droite par la Coordination rurale, sur sa gauche par la Confédération paysanne et chez les communistes par le Modef, Mouvement de Défense des Exploitants Familiaux, sans qu'évidemment tout ce beau monde ait toujours la perception exacte de la situation.
Il leur était très commode de discourir contre ce qu'ils appelaient "l'Europe". Proches de la FNSEA les relais chiraquiens les y encourageaient. D'accord pour des manifs, pour montrer que les masses étaient contre le gouvernement socialiste. Mais aucune vraie solution à l'horizon.
À l'époque la fin du processus démographique d'exode rural se profilait et on s'inquiétait, notamment dans les rangs de la droite, de voir le nombre des exploitants agricoles, être passée au-dessous de la barre du million : cote d'alerte bien sûr. D'où le slogan rassembleur. La manif allait être sponsorisée par le Crédit Agricole et on distribuait des casquettes au logo de cet énorme réseau créé à la fin du XIXe siècle pour républicaniser les campagnes.
Très bien, dira-t-on. En réalité, le même jour, le même Crédit Agricole représenté par Yves Barsalou, un viticulteur des Corbières qui présidait la fédération depuis 1982 s'exprimait dans les colonnes du Monde. Et on apprenait que l’objectif des oligarques de l'agriculture était d'arriver dans les années à venir au nombre de 300 000 "agri managers" [c'est le mot qu'il employait] se partageant les terres. Ce qui advint, particulièrement dans les années 1990.
Avec des alliés comme ça, pas besoin d'adversaires.
Et si déplaisante que soit l'idéologie du camarade Plenel on peut comprendre aussi que Mediapart ait publié un dossier à charge contre le train de vie des dirigeants de la FNSEA.
Tous les Français semblent en effet prêts à développer une idée précise, parfois militante, de l'agriculture, toute en ayant perdu le contact avec un métier auquel se consacraient la majorité de leurs arrières grands parents.
Du haut des dicastères médiatiques, on nous parle, et on condamne en effet ce que la novlangue appelle l'agri-bashing, utilisant un suffixe à la mode indiquant le dénigrement. Pour imiter, sinon paraphraser le dictionnaire des idées reçues de Flaubert, il faudrait écrire ces temps-ci à la rubrique "agri-bashing" : tonner contre.
Ayant travaillé moi-même, pendant une dizaine d'années à la défense des libertés sociales dans le monde agricole, plus à l'aise lorsque mon écritoire se situait, alors, plus volontiers dans le Gers qu'à Paris, je serais le dernier à me livrer à cette tendance sans doute funeste.
Mais au fait de quoi parle-t-on ? Depuis longtemps la Corporation paysanne (1940-1944) a cédé la place à des organisations que l'on connaît mal en ville. Elles demeurent aujourd'hui encore dominées par les restes de l'idéologie progressiste chrétienne de gauche, productiviste. Nourrir l'humanité souffrante... Caziot, ministre de l'agriculture affirmait fièrement en 1941 : "Il faut oser proclamer la primauté de la paysannerie et la nécessité d'une politique donnant à la production agricole la première place dans l'économie de la nation."
On se demande si l'écho de son message ne sonne pas encore, alors que ce très beau métier n'occupe plus, hélas, aux dernières données Insee remontant à 2007, que 3,4 %, de la population active de notre pays.
On prétend sauver la Planète, mais on tue la terre de France.
JG Malliarakis