La démocratie est l’un des principaux dogmes de la Modernité : nous voulons ici montrer qu’à l’instar des autres « valeurs républicaines », elle constitue une illusion et une imposture.
La révolution de 1789, qui installe au pouvoir les tenants de l’idéologie des Lumières, met en avant dès l’origine la volonté populaire, laquelle doit venir encadrer la monarchie constitutionnelle qui se met en place dans un premier temps. La révolution « communiste » de 1792-1794 se fait également au nom du peuple : c’est en s’accusant mutuellement de trahir sa volonté et ses intérêts que les révolutionnaires s’éliminent les uns les autres. Depuis lors, la démocratie, ou « pouvoir du peuple », est devenue l’une des valeurs majeures de la république. Mieux, puisqu’elle est universaliste, l’idéologie moderne analyse le monde entier au travers de ce prisme : elle trace une ligne de partage absolue entre les pays démocratiques et ceux qui ne le sont pas et considère la démocratie comme un objectif à atteindre dans toutes les régions du monde.
Dans l’esprit des républicains, la démocratie va de pair avec les autres valeurs de la modernité, en particulier la liberté et l’égalité des individus. Les individus étant libres, ils doivent pouvoir décider eux-mêmes des lois qui s’imposeront à la société et choisir leurs dirigeants. Etant égaux, ils doivent détenir un droit égal de participer au suffrage.
Nous avons dit dans d’autres chroniques que ces valeurs de liberté et d’égalité sont des leurres, à l’image de tous les autres totems modernes : la laïcité, le progrès, l’universalisme. De même la démocratie, comme nous allons le voir, est, elle-aussi, dans la pratique, faussée et hypocrite. Plus fondamentalement, on peut considérer que la démocratie est par nature une impossibilité, une façade, une tromperie.
- La démocratie est une imposture puisqu’elle est le plus souvent représentative
On rappellera de prime abord que la démocratie ne sera longtemps que très partielle. Le suffrage que mettent en place les révolutionnaires dans la constitution de 1791 est un suffrage censitaire, réservé à ceux qui paient un impôt élevé. Le suffrage censitaire repose sur un double raisonnement. Il est fondé premièrement sur l’idée que le droit de vote doit être réservé à ceux qui contribuent le plus au fonctionnement de l’Etat et de la société. Il permet d’autre part de réserver le suffrage aux citoyens éduqués, qui disposent de l’instruction nécessaire pour pouvoir se prononcer de façon éclairée. Le suffrage ne deviendra universel qu’en 1848 et n’entrera en vigueur définitivement qu’après le second empire. Encore le suffrage restera-t-il réservé aux hommes jusqu’en 1945. On considère en effet jusqu’à cette date que, la femme ne disposant pas d’une indépendance économique et culturelle par rapport à son mari, chef de famille, elle n’est pas en état de participer au suffrage de manière personnelle et autonome.
Si, même accompagnée du suffrage universel, la démocratie est un leurre c’est d’abord, premier élément, parce qu’elle est, dans nos pays occidentaux, le plus souvent « représentative », et non « directe ». La démocratie directe est celle que le peuple exerce en votant les lois lui-même par référendum. La démocratie participative est celle où les lois et les décisions sont prises, non par le peuple, mais par des représentants qu’il élit. La plupart du temps, les démocrates refusent au peuple le droit de se prononcer par référendum et préfèrent la démocratie représentative. Ils mettent en avant un triple argument pour affirmer que le peuple n’est pas à même de se prononcer sur telle ou telle question particulière. Ils font valoir d’abord que les sujets en jeu sont le plus souvent trop techniques et complexes. Ils ajoutent que le peuple a tendance à se laisser emporter par ses passions et à répondre, dans le cadre d’un référendum, à une autre question que celle qui lui est posée. Ils expliquent enfin que le référendum est susceptible d’être utilisé pour déclencher un processus plébiscitaire et pour promouvoir un chef risquant de supprimer la démocratie et les libertés. Ces arguments des partisans de la démocratie représentative sont selon-nous tout à fait fondés et nous les partageons : mais il nous semble qu’ils condamnent non seulement la démocratie directe mais la démocratie tout court, nous y revenons plus loin.
Il existe tout de même dans les pays occidentaux aujourd’hui certains espaces de démocratie directe. C’est ainsi qu’en Suisse des référendums sont régulièrement organisés sur tous les sujets dès lors qu’un nombre suffisant d’électeurs en ont pris l’initiative. En France en revanche le référendum est soigneusement encadré par la constitution : le gouvernement ne peut pas y recourir pour faire approuver telle ou telle loi mais seulement les lois relatives au fonctionnement des institutions, à la politique économique et sociale et à la ratification des traités (article 11 de la constitution). De Gaulle avait utilisé le référendum à plusieurs reprises au-delà du champ prévu par la constitution, dans une perspective plébiscitaire. Depuis De Gaulle, les référendums organisés n’ont concerné que les institutions (statut de la Nouvelle-Calédonie, passage au quinquennat) et les questions internationales (élargissement de l’UE, Maastricht, TCE).
Les gouvernements ont prétendu mettre en place un système d’initiative citoyenne, en réformant la constitution à cet effet en 2008. En réalité le dispositif adopté n’a rien à voir avec le référendum de type suisse. Il s’agit d’une initiative avant tout parlementaire plutôt que citoyenne puisque le projet doit être présenté par un cinquième des membres du parlement, soutenus par au moins un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Surtout le projet ne peut déboucher sur l’organisation d’un référendum mais seulement sur l’examen d’une proposition de loi. Depuis cette date, le processus n’a jamais été mis en place. L’UE a également institué en 2007 un dispositif d’initiative citoyenne (article 11 du TUE) : si un projet réunit un nombre suffisant de suffrages, la commission européenne doit l’examiner, tout en restant libre des suites à lui donner. Là encore ce dispositif n’a donc rien à voir avec le référendum d’initiative populaire et la démocratie directe.
Pour encadrer la démocratie représentative, certains théoriciens ont pu imaginer un système de « mandat impératif », pouvant déboucher sur la mise en cause ou la destitution des élus ne l’ayant pas respecté. Ce type de dispositif, hybride de la démocratie directe et de la démocratie représentative, n’a jamais été mis en place dans les pays occidentaux. Revendiqué par l’extrême-gauche, il renvoie au fonctionnement qui a été celui des gouvernements révolutionnaires après 1789, contrôlés et censurés par les clubs politiques de gauche.
Il faut relever également, sur ce point de la démocratie représentative, que les différents modes de scrutin choisis pour désigner les représentants présentent tous des inconvénients sérieux. Si le mode de scrutin est majoritaire, il peut déboucher sur la victoire d’un camp avec une avance très faible. Certains mode de scrutins (par circonscription) peuvent même aboutir à la victoire du parti ayant recueilli moins de voix. A l’inverse, le système proportionnel engendre deux inconvénients majeurs. Il peut déboucher sur l’instabilité gouvernementale, l’impuissance et des élections à répétition. Il suppose également une négociation des partis après l’élection, de sorte que la majorité gouvernementale qui se constitue après l’aboutissement des tractations peut n’avoir aucunement été souhaitée par l’électorat.
La démocratie représentative présente également cette autre caractéristique négative : par nature, les élections amènent à choisir des personnalités qui sauront déployer des capacités de séduction ou de démagogie, sans nécessairement disposer de qualités en rapport avec l’intérêt général. Les campagnes électorales américaines, qui avantagent les plus riches ou ceux qui sont capables de mobiliser les fonds les plus importants, illustrent la nocivité même du système représentatif.
Dernier point à mettre au débit de la démocratie représentative : la fréquence des élections, inhérente au système démocratique, conduit inévitablement les politiciens à adopter un comportement électoraliste en vue de l’élection suivante, en usant de mensonges et de fausses promesses, sans prise en compte de l’intérêt général et de l’avenir à moyen et long terme.
Ces différents éléments peuvent expliquer qu’un nombre croissant de personnes ne se sentent pas représentées de façon satisfaisante. Une partie choisissent de ne pas s’inscrire sur les listes électorales. Une autre partie de l’électorat s’abstient ou vote blanc ou nul. Le phénomène est particulièrement prégnant aux Etats-Unis, où le taux de participation est faible (56 % à l’élection présidentielle de 2016). En France également le phénomène n’est pas négligeable. En prenant pour base l’élection présidentielle et en ne tenant pas compte des gens qui ne sont pas inscrits, les chiffres de l’élection de 2017 rendent compte de l’ampleur du phénomène. Sur les 47 millions d’inscrits, les abstentions et votes blancs et nuls ont représenté au second tour 16 millions de voix soit 34 % des inscrits. Autrement dit un tiers des électeurs ne se sont pas déplacés ou ont voté blanc ou nul. Autre chiffre : compte-tenu de l’importance de l’abstention et des votes blancs et nuls, M. Macron au second tour n’a réuni que 20 millions des suffrages soit moins de la moitié des inscrits (43 %).
- La démocratie est une façade parce que l’électorat est manipulé
Qu’elle soit représentative ou directe, la démocratie est de toute façon faussée : elle se traduit en effet en pratique par une mainmise de la classe dirigeante, qui manipule l’opinion.
La classe dirigeante dispose en effet de toute une palette de moyens de propagande et de manipulation qui lui permettent d’orienter l’opinion : médias, publicité, sondages, pouvoir des juges, programmes scolaires… C’est le mot de Montesquieu qui notait en substance : « on peut leur donner le droit de vote : il nous suffira de leur dire pour qui voter ». On illustrera ce propos avec l’exemple de l’élection de M. Macron.
Macron pour différentes raisons (voir cette chronique) était le candidat choisi par le Système, de préférence à F. Fillon, pourtant large favori des sondages. C’est pourquoi les médias et les juges, au service du Système, ont détruit la candidature de F. Fillon, et ce de façon doublement non démocratique. D’abord parce que l’esprit de la démocratie voudrait que les juges s’abstiennent d’intervenir au cours d’une période électorale. D’autre part parce que les accusations portées contre Fillon étaient très faibles. Quel politicien par exemple et quel parti n’ont pas recours à des collaborateurs qui occupent par ailleurs un emploi partiellement ou totalement fictif, par exemple au sein d’une collectivité locale ? La candidature de Fillon a été sabotée alors même que le financement de la campagne de son concurrent Macron a de toute évidence donné lieu à des irrégularités d’une autre ampleur. Quelles ont été ainsi les sources de financement de la campagne de Macron, qui n’avait pas encore de parti politique et donc ne bénéficiait pas de financement public… ?
Dans ce contexte, la candidature de Macron a été soutenue pendant des mois par la totalité des médias, propriété des milliardaires qui l’avaient choisi. C’est ainsi par exemple que Macron et sa femme ont fait 31 fois, selon M. Endeweld (voir plus loin), la Une des magazines comme Match, Gala ou Closer. Les JT ont été également pendant des mois des moments de propagande macroniste intenses. On citera par exemple cette adresse de Mme Coudray interrogeant E. Macron au cours de la campagne dans le cadre du JT de TF1 et lui lançant complaisamment cette tirade : « Vous avez été ministre de l’économie, donc vous connaissez très bien l’économie »…
Relevons que l’élection de Macron a inauguré une nouvelle ère dans la manipulation de l’opinion. Jusque-là, depuis des décennies, le Système organisait une fausse opposition entre deux forces, la gauche et la droite, qui, du moins depuis le début des années quatre-vingt, étaient en réalité d’accord sur l’essentiel. Cette fausse opposition débouchait sur une fausse alternance entre deux blocs qui appliquaient en réalité une politique identique. Avec l’élection de Macron, la classe dirigeante a opéré un changement de stratégie : le caractère factice de l’opposition gauche-droite apparaissant désormais avec trop d’évidence, le Système a préféré promouvoir un candidat et un nouveau parti du centre, autour desquels pouvait se réunir la bourgeoisie de gauche et celle de droite. Ce faisant, le Système a tiré parti de deux phénomènes. La puissance de l’extrême-droite depuis une quinzaine d’années, premièrement. Et le fait deuxièmement que l’arrivée du parti d’extrême-droite au pouvoir est impossible : en raison de la personnalité de ses chefs successifs ; et du fait que le Système a réussi à discréditer définitivement le Front national devenu RN en le présentant depuis quarante ans comme un parti raciste ayant partie liée avec Vichy et le nazisme. Cette situation de tête-à-tête avec l’extrême-droite devrait permettre désormais le maintien durable de la classe dirigeante au pouvoir sans qu’elle ait à recourir au système de fausse alternance.
Au-delà du cas du RN, il faut insister sur le fait que la classe dirigeante n’acceptera jamais l’arrivée au pouvoir d’un parti hors Système, quel qu’il soit. Elle dispose pour ce faire d’une série de moyens, qu’elle pourra utiliser graduellement : propagande, harcèlement des opposants et le cas échéant interdiction du parti anti Système s’il devenait trop puissant. Si le risque existait malgré tout d’une victoire d’un parti anti Système, la classe dirigeante a à sa disposition les leviers nécessaires (contrôle des opérations de vote par les partis du Système, services des préfectures aux ordres du gouvernement…) et mettra en œuvre une fraude électorale suffisamment massive pour pouvoir le conjurer.
- La démocratie est un leurre parce que les pouvoirs élus ne respectent pas les vœux des électeurs
La démocratie est un concept bidon pour encore une troisième raison, la plus décisive : une fois élus, les dirigeants ne respectent pas les vœux des électeurs.
Les pouvoirs élus ont de toute façon une prise limitée sur la décision
Il faut d’abord mettre en évidence ce phénomène : les pouvoirs élus ont une prise limitée sur les décisions, ce qui réduit d’autant la portée de la démocratie. Cette situation, que nous décrirons essentiellement à partir du cas de la France, résulte de plusieurs facteurs : l’affaiblissement de l’Etat ; le poids des groupes de pression ; les principes républicains de l’Etat de droit.
À suivre