Suite de l’entretien débuté hier avec Bruno Riondel sur le bilan du communisme, à propos de son dernier livre: L’effroyable vérité.
4) Vous évoquez l’esprit de repentance comme séquelle de l’influence communiste. Pourriez-vous expliquer davantage ce que vous entendez par là ?
L’instrumentalisation de la mémoire est l’un des outils fondamentaux de l’ingénierie sociale contemporaine, puisqu’elle permet la culpabilisation des masses en sollicitant l’affectif au détriment du cognitif, avec pour effet la perte du sain discernement. Les communistes ont toujours été des experts en ce domaine, dans les pays soumis à des dictatures marxistes-léninistes, comme dans les démocraties occidentales, en France, notamment, où le PCF a toujours eu ses experts en manipulation mentale. (Qui sait que dans les camps de prisonniers français capturés par le Viet Minh, à l’issue de la bataille de Diên Biên Phu, les méthodes de lavage de cerveau utilisées par les communistes vietnamiens avaient été mises au point par des experts du PCF ?) Ainsi, en contrôlant les réseaux de diffusion du savoir et le façonnage du discours historique officiel, les communistes (et aujourd’hui les réseaux progressistes d’inspiration marxiste) ont pu créer et entretenir une mémoire collective à géométrie variable, fondée sur le relativisme moral qu’induit la conscience de classe assumée.
« Venu de l’Est, le syndrome totalitaire communiste a constitué en France une perversion de la démocratie » écrivait Marc Lazar. Cette perversion affecte encore profondément, de nos jours, la mémoire française et occidentale et pour bien comprendre le cheminement de l’esprit manipulateur, il nous faut remonter aux années 30, lorsque les communistes déployèrent la stratégie dite « antifasciste ». En se posant en défenseurs de l’humanité menacée pour mieux dissimuler leurs propres crimes, à l’heure où s’affirmait la terreur stalinienne et où l’extermination par la faim de cinq millions d’Ukrainiens soulevait l’indignation dans les démocraties occidentales, ils usurpèrent stratégiquement la posture morale humaniste. Dans les années 50, les grands rassemblements pour la Paix fomentés en Occident par les partis communistes avaient le même objectif, au moment où le transfuge soviétique, Viktor Kravchenko, rappelait l’étendue des crimes communistes dans J’ai choisi la liberté. Par cette stratégie d’usurpation du sens moral et d’indignation surjouée, les marxistes-léninistes créaient, à leur profit, le clivage manichéen, « camp du bien/camp du mal », qui allait ensuite influencer la mémoire collective désormais instrumentalisée.
Celle-ci le fut d’autant plus par le fait que l’URSS avait acquis un brevet de moralité, lors du procès de Nuremberg, alors que ses juges, après avoir pris soin d’amputer la définition du crime contre l’humanité (définie par Raphael Lemkin en 1943) de la cause d’extermination liée à l’appartenance à une classe sociale, y rendirent la justice, avec la présence très symbolique d’Andreï Vychinski, le maître d’œuvre des grandes purges staliniennes qui avaient causé la mort de 700 000 Soviétiques, entre 1936 et 1938. Certains s’en offusquèrent, tel le sénateur américain, Robert Taft, qui dénonçait l’esprit stalinien d’un procès qui attribuait une gravité relative aux crimes en fonction de l’idéologie à laquelle adhéraient ceux qui les avaient commis. Et c’est cet esprit stalinien de Nuremberg qui se perpétua dans la politique mémorielle occidentale, fondant l’hémiplégie mémorielle observable dans un monde contemporain qui minimise, et surtout n’enseigne pas, la mémoire des crimes générés par le marxisme-léninisme.
Cette situation de déséquilibre mémoriel fut en France gravée dans le marbre, en 1990, par la loi Gayssot, du nom d’un ministre communiste, laquelle visait à condamner le « négationnisme » (terme issu du registre lexical des marxistes-léninistes) portant sur la Shoah, à l’heure où l’effondrement du bloc soviétique laissait espérer la mise en œuvre d’un « Nuremberg du communisme ». Cette loi d’exception ne concernait pas la négation des autres crimes génocidaires, secondarisant ainsi les cas ukrainien et cambodgien, et créant de facto un hiatus dans la conscience mémorielle, entre victimes sacralisées et victimes banalisées, au mépris de la conception universaliste de la personne humaine. Cette loi dont le principal mérite fut de détourner les regards des horreurs commises par le communisme avec la complicité morale d’une partie importante de l’intelligentsia française, ne fut contestée que pour la forme par des historiens, la plupart marxistes, qui incarnèrent alors cette « opposition contrôlée » prônée par Lénine pour simuler le débat démocratique.
De nos jours, le négationnisme concernant les crimes communistes prospère par l’action d’un révisionnisme universitaire actif mis au service, moins de la vérité historique que de la sauvegarde d’un pouvoir intellectuel marxisant acharné à conserver une posture morale lui permettant d’actionner le levier de la culpabilisation, moyen du maintien d’une politique de repentance collective aux effets aujourd’hui délétères sur la société.
5) A quoi pourrait servir un procès du communisme ?
« Du vivant même de Lénine, il n’y a pas eu moins d’innocents massacrés dans la population civile que sous Hitler, et pourtant, les écoliers occidentaux qui donnent aujourd’hui à Hitler le titre de plus grand scélérat de l’Histoire, tiennent Lénine pour un bienfaiteur de l’humanité », écrivait Alexandre Soljenitsyne. Là est le problème, car, ce que Soljenitsyne écrit à propos de Lénine et d’Hitler est transposable sur le plan idéologique où triomphe encore actuellement un différentiel de perception entre communisme et nazisme, au profit du premier. Ainsi, à tort, beaucoup croient que le communisme était un idéal qui a mal tourné, sans comprendre que le mal était au fondement d’une idéologie fondée sur le ressentiment, la haine de soi et appelant à une lutte de type darwiniste.
Un procès du communisme pourrait ainsi montrer combien une idéologie fondée sur la lutte des classes conduira, inévitablement, ses partisans à mener une lutte à mort contre d’autres classes sociales mises en position d’ennemi radical, impliquant que, toujours, génocides et camps de concentration en seront les résultats épouvantables. Un procès du communisme pourrait aussi permettre de révéler comment le vice peut se dissimuler au cœur d’un discours progressiste et combien des groupes mal intentionnés peuvent, par ce biais trompeur, commettre les pires exactions, avec bonne conscience, à l’instar de Lénine déclarant, en 1918, pour justifier l’instauration de sa dictature sanglante que « pour nous, tout est permis car nous sommes les premiers au monde à lever l’épée non pour opprimer et réduire en esclavage, mais pour libérer l’humanité de ses chaines ». Ce procès du communisme, dont la finalité serait hautement pédagogique, pourrait, en conséquence, permettre de dire combien la tenue d’un discours progressiste se doit d’être inséparable, chez le locuteur, d’une très haute conscience de la dignité humaine, ce qui, jamais, ne fut le cas chez les thuriféraires de la révolution prétendue prolétarienne.
Malheureusement, l’influence des réseaux marxistes demeure forte, dans les pays occidentaux, comme dans les pays apparemment libérés du communisme, comme l’ont appris, à leurs dépens, nombre de chercheurs polonais, albanais ou roumains qui ont subi des intimidations ou perdu leur poste, suite aux révélations gênantes qu’ils faisaient dans leurs travaux, sur leurs anciens dirigeants. Car souvent, dans ces pays, les pouvoirs aujourd’hui démocratisés sont encore tenus par les réseaux ex-communistes qui ont fait peau neuve en se débarrassant de leurs représentants les plus impliqués dans les crimes passés, mais sans faire leur mea culpa. Il en est de même au niveau européen où ces réseaux bloquent toutes les initiatives à caractère mémoriel, ainsi, en 2006, un projet de résolution déposé à l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et visant à condamner officiellement les crimes du communisme, fut rejeté, ses opposants justifiant leur vote par un refus d’établir « un signe d’égalité entre le communisme et le nazisme ».
L’enjeu d’un procès symbolique du communisme est pourtant bien celui-ci, si l’on veut assainir la conscience collective des miasmes bolcheviques qui la contaminent encore, et promouvoir une mémoire lucide à l’heure où une oligarchie mondialisée avide de pouvoir serait susceptible de fonder un néo-totalitarisme. Le procès du communisme permettra au final de fonder une mémoire historique globale réellement objective, patrimoine commun de l’humanité, qui, dans ce but, devra être sanctuarisée pour ne pas être détournée par des clans mal intentionnés.
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