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Du palais d'Hiver à Porto Alegre Les idiots utiles du mondialisme

Les idiots utiles du mondialisme.jpegLes altermondialistes rêvent d'une nouvelle Internationale, la Ve du nom. Beaucoup d'entre eux viennent d'ailleurs de l'extrême gauche et espèrent trouver dans les forums sociaux le ferment d'une nouvelle révolution. De l'internationalisme à l'altermondialisme, histoire d'une greffe réussie.

Vu de droite, l'altermondialisme fait parfois figure de simple avatar du bon vieux bolchevisme d'antan. Il est vrai qu'à certains égards, il constitue une idéologie de substitution pour tous ceux qui, après la chute de l'URSS, se retrouvent en manque d'utopie. L'altermondialisme, méthadone des vieux drogués du marxisme ? Ce serait trop simple. D'autant que les principaux leaders du mouvement affirment avoir changé de dope et de trip. « À Seattle, se réjouit José Bové, personne ne brandit le drapeau rouge de la révolution chinoise, ni le portrait du Che, ni la victoire révolutionnaire dans un pays devant bouleverser les autres; c'est bien fini et c'est porteur d'espoir. »(1)

Difficile en effet de voir dans les foules bigarrées des contre-sommets altermondialistes une réédition du Komintern. Que l'on sache, ce dernier se fichait bien de la malbouffe et, même dans sa version chinoise, n'aurait pas eu l'idée saugrenue de voir dans la bicyclette un moyen de sauver la planète. Si l'altermondialisme est l'enfant du communisme d'antan, il s'agit alors d'un rejeton génétiquement modifié pour survivre à l'heure du capitalisme mondialisé. Car ce mutant n'est pas né tout à fait spontanément. Il a été concocté comme un Golem dans l'arrière-cuisine du gauchisme trotskiste et libertaire où mijotait depuis longtemps une haine recuite du capitalisme, mais aussi du communisme orthodoxe.

« Changer le monde sans prendre le pouvoir »

Essayons alors de définir l'ADN de ce mutant idéologique ! Tout d'abord, à l'inverse du militant révolutionnaire classique, l'altermondialiste ne rêve plus du Grand soir. Depuis qu'il a lu John Holloway, il estime qu'il vaut mieux « changer le monde sans prendre le pouvoir »(2) Revenu des vieilles lunes révolutionnaires, Holloway constate que celui qui prend le pouvoir se laisse toujours corrompre par lui. Comme dans Tintin et les Picaros, le colonel Alcatraz remplace le général Tapioca, mais cela ne change rien ! Dès lors, que faire ? Renoncer au pouvoir, du moins au « pouvoir domination » pour lui préférer le « pouvoir action », répond cet admirateur du sous-commandant Marcos. Dans une veine anarchiste, il s'agit de mettre en œuvre l'utopie, ici et maintenant, non plus par le haut, mais par le bas et par l'action directe occupations d'usine, happenings écolo, squats communautaires, communautés rurales autonomes, etc.

Stratégie de l'impuissance ? Pas si sûr ! D'autres théoriciens du courant altermondialiste estiment - non sans raison - que si impuissance il y a, elle frappe plutôt l'État devenu gestionnaire. L’objectif n'est donc plus tant de prendre le pouvoir que de s'ériger en contre-pouvoir, ou plutôt en « pouvoir contre »(3). C'est là un second trait génétique de l'altermondialiste : il proteste et dénonce, mais se garde bien de proposer un véritable modèle alternatif. D'où son goût prononcé pour les groupes « anti » anti-nucléaire, anti-pub, anti-vivisection, anti-déforestation, anti-bagnoles, anti-OGM, etc. L'altermondialiste est un peu comme « la poupée » de Michel Polnareff. Il dit « non, nooon, nooooon » !

Étant dépourvu de vrai projet, le courant altermondialiste est par nature diversifié, voire hétéroclite. Cela lui permet de ratisser large autour de quelques slogans à prétention philosophique tel le fameux « le monde n'est pas une marchandise ». Toutefois, la vraie stratégie n'est pas tant l'édulcoration que la coagulation de revendications radicales disparates, au moyen des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Dépourvues de tête et de hiérarchie, les structures du courant altermondialiste épousent celle du Web. Elles favorisent les rassemblements éphémères pour réagir à des situations ponctuelles jugées emblématiques de l'injustice globale du capitalisme. Comme le note François-Bernard Huyghe, « il est fréquent de voir des écologistes urbains aux côtés de paysans rejoints par des militants supposant aux inégalités nord-sud pour critiquer une multinationale. »(4)

Le règne de la « Multitude »

C'est là un autre trait constitutif du courant ses attaques ne visent pas tant les États jugés moribonds que les grandes entreprises mondialisées qui mènent le monde en s'abritant derrière le paravent des organisations internationales. D'où l'importance prise, dans la mythologie militante altermondialiste, par la perturbation des sommets économiques OMC, G8, G20, etc. Pour autant, même si leurs banderoles proclament à cette occasion que « nous sommes les peuples de la Terre », ce n'est pas la cause des nations qu'ils viennent ainsi défendre. Ce qu'ils entendent mettre en scène, c'est, au contraire, la naissance d'une sorte de « société civile mondiale » libérée de toute attache, de toute racine et de toute identité. « Notre combat ne vise pas à établir une nouvelle identité, proclame John Holloway, mais à intensifier une anti-identité; la crise d'identité est une libération qui libère une multitude de résistances et une multiplicité de cris. »(5)

Le terme de « multitude » exprime bien ce fantasme de l'indifférenciation qui taraude les penseurs de l'altermondialisme. Ancien théoricien de la gauche radicale italienne - il fut même suspecté d'être le cerveau des Brigades rouges - Toni Negri incarne mieux que quiconque cette contradiction. Il a donné l'une des meilleures définitions du pouvoir mondialisé : « appareil décentralisé et déterritorialisé de gouvernement qui intègre progressivement l'espace du monde entier à l'intérieur de ses frontières ouvertes et en perpétuelle expansion »(6) Il a parfaitement perçu que cet ensemble totalitaire « génère des identités hybrides, des hiérarchies flexibles et des échanges pluriels », si bien que « les couleurs nationales distinctes de la carte impérialiste du monde se sont mêlées dans l'arc-en-ciel mondial de l'Empire. » Mais, comme antidote à ce processus délétère, il en appelle, lui aussi, à la « Multitude », réclamant notamment l'établissement d'une « citoyenneté mondiale », passant notamment par « la suppression générale des frontières ».

Salutaire précision : l'altermondialiste est bel et bien un mondialiste partageant avec les capitalistes mondialisés une même aversion pour les nations, les frontières et les identités. En mobilisant la « Multitude », l'altermondialisme ne prépare pas tant la révolution qu'une sorte de gestion paritaire de la gouvernance mondiale, par-dessus la tête des nations et des peuples. Cela crée de belles convergences d'intérêts. Lors du débat sur le Traité constitutionnel européen, Toni Negri ne s'y était pas trompé, soutenant le « oui » pour, disait-il, « faire disparaître cette merde d’État-nation »(7). La grossièreté en moins, on ne parle pas autrement dans les cénacles mondialistes.

Xavier Van Lierde Le Choc du Mois octobre 2009

1) Cité par http://communiste17.canalblog.com.

2) Changer le monde sans prendre le pouvoir. Le sens de la révolution aujourd'hui, John Holloway, Syllepse, 2008.

3) cf. Du contre-pouvoir, Miguel Benasayag, Diego Sztulwark, La Découverte, 2003.

4) Contre-pouvoirs - De la société d'autorité à la démocratie d'influence, Ludovic François et François-Bernard Huyghe, Éditions Ellipses, 2009.

5) Changer le monde sans prendre le pouvoir, op. cit.

6) Voir notamment Empire, 10-18, 2004 ; et Multitude. Guerre et démocratie à l'âge de l'Empire, 10-18, 2006. Tous deux co-écrits avec Michael Hardt.

7) Libération, 13 mai 2005.

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