Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rome n'est plus dans Rome

1.jpeg

Pour expliquer la chute de l'Empire romain, on recourt habituellement à une explication externe : les invasions barbares. Un Empire affaibli, progressivement enfoncé par des barbares venant mordre son limes jusqu'à renfoncer. Le problème, c'est que lesdits barbares vivaient déjà dans l'Empire. C’est ce que vient rappeler un livre, fraîchement traduit en français, Barbares, immigrés, réfugiés et déportés dans l’empire romain, dans lequel l'auteur, Alessandro Barbero, n'hésite pas à parler de politique d'immigration romaine. Laquelle différait en un point de la nôtre l'immigration n'y était pas tant un phénomène individuel que collectif, Rome accueillant des tribus entières. À partir de Caracalla et son édit (212), par lequel l'Empire concédait à tous la citoyenneté romaine, le gouvernement impérial ne va plus se définir que comme orbis pacificator, « pacificateur du monde entier ». La politique officielle consiste alors à faire bon accueil aux étrangers au nom de la Roma felicitas. C'est l'institution militaire qui permit largement cette assimilation (comme l'institution scolaire pour nous). Fabuleuse machine qui finira par se gripper. Mais avant d'en arriver là et tout au long des IIIe et IVe siècles, l'administration impériale généralisera les procédures d’intégration. À l'époque de Valentinien (364-375), apparaît même un discours humanitaire. Les barbares ne sont-ils pas des hommes ? Ce qui va tout changer, c'est la catastrophe d’Andrinople (376). Sous la pression des Huns, les Goths affluent massivement jusqu'aux rives du Danube. Après quelques tergiversations, Rome se résout à les laisser traverser le fleuve. Mais les réfugiés sont si nombreux que la situation devient rapidement intenable. Suivront deux années de troubles, conclus par la défaite de Valens. Ce n'était pas la première fois que des barbares dévastaient l'Empire, mais c'était la première fois que Rome s'avouait impuissante à les contenir. Dès lors, le rapport de force va s'inverser. Croyant poursuivre une politique d'immigration ancienne, les Romains en viennent à faire des concessions qui s'avéreront catastrophiques, installant sur leur territoire des groupes de mercenaires placés sous l'autorité des seuls chefs barbares, prélude à l'établissement de royaumes romano-barbares autonomes. En attendant, les barbares deviennent la principale force d'appoint militaire, à telle enseigne qu'à partir de 396, en syriaque, « soldat » se dit « goth ». Les problèmes d'indiscipline et de désertion se multiplient Les Romains sont d'autant plus surpris que les Goths avaient donné jusque-là l'impression de s'être parfaitement intégrés. Comme le fait remarquer Sulpice-Sévère, historien et ecclésiastique, parlant de ces barbares résidant « dans nos années et nos vies », ils « vivent parmi nous, [mais] nous ne voyons pas qu’ils s'adaptent à nos coutumes ». Ça ne vous rappelle rien ?

François-Laurent Baissa Le Choc du mois mai 2010

Alessandro Barbero, Barbares, immigrés, réfugiés et déportés dans l'Empire romain, Taillandier, 352 p., 23 €.

Les commentaires sont fermés.