De nombreux historiens, moins sages analystes que propagandistes, ont souvent cantonné l'étude de la contre-révolution à l'éloge des vertus religieuses de la chouannerie ou à l'exégèse des maîtres de la théocratie. Cela a longtemps suffi à la droite « catholique et française toujours », cette ancienne droite de Mac Manon annexant les réactions au despotisme révolutionnaire à sa propre défense du trône de droit divin et de l'infaillibilité pontificale. Comme cela confortait l'histoire jacobine, trop heureuse d'assimiler l'opposition intellectuelle à la Révolution à de l'obscurantisme clérical ou à de l'illuminisme providentialiste, tout en réduisant les révoltes populaires contre l'absolutisme républicain à n'être qu'un combat d'arrière-garde livré par une coalition d'hobereaux et de paysans fanatisés.
En étudiant les idées, les doctrines et les stratégies du parti aristocratique (le « Parti noir » entre 1789 et 1791, La Première contre-révolution de Jacques de Saint-Victor vient réviser judicieusement cette vision étroite de la résistance à la Révolution et ouvre un champ d'explorations intellectuel fertile pour qui veut dépasser l'horizon politique républicain. Cet essai nous révèle un continent méconnu de la pensée politique française aux racines vénérables et aux intuitions souvent lumineuses, un courant d'idées aussi éloigné de l'économisme libéral que du fétichisme de l'Etat et du volontarisme jacobin.
Loin d'être en effet le parti de l'absolutisme ou de la défense frileuse des privilèges, le programme aristocratique se fonde sur la volonté de rénover « l'antique contrat conclu entre le roi et la nation », de ressusciter les libertés médiévales et le droit des provinces. Les « Noirs » vont ainsi se livrer à une critique de la domination politique dont les accents semblent parfois annoncer le meilleur de la pensée proudhonienne
et de la défense personnaliste des communautés humaines. Outre cela, ils défendent souvent une vision terrienne et paysanne de la société. Contre une bourgeoisie éclairée qui rêve déjà de République universelle et se sent plus nomade qu'enracinée, contre la propriété financière et l'argent anonyme, le Parti noir cherche à retrouver les vertus de la propriété familiale et locale et des devoirs qui lui sont attachés. Ils tentent aussi de renouer avec l'esprit de la noblesse et contestent les prétentions au pouvoir de la bourgeoisie. En 1791 et dans les années qui suivirent, ces hommes quittèrent une France qui se transformait en République une et indivisible. Quelques-uns d'entre eux retrouvèrent à la Restauration une situation ou une charge, sans éviter malheureusement parfois d'épouser les passions de la réaction blanche. Héritiers de la Fronde et défenseurs d'une monarchie tempérée par les libertés des peuples du royaume de France, ces hommes furent vaincus. Mais leur défaite temporelle n'est pas une condamnation de leurs idées et si, comme l'écrivait Maurras, « il n'y a point de futurisme qu'un passéisme ardent n’ait d'abord animé », cherchons à leur exemple, à renouer avec le plus vénérable passé contre le temps présent, mais en faveur d'un temps à venir.
Olivier François Le Choc du Mois février 2011
Jacques de Saint-Victor, La première contre-révolution, Puf