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Irak 2003-2008 : un déni d'holocauste

Le bilan « excède même le million de victimes, un chiffre bien supérieur aux 800 000 victimes du Ruanda voici treize ans et cinq fois celui du Darfour. Un autre déni d'holocauste a lieu sans qu'on y prête attention : l'holocauste de l'Irak » (Docteur Mark Weisbrot, de l'université du Michigan).

Certains l'apprennent à leur dépens nier l'Holocauste ou simplement douter est source d'interminables et pénibles poursuites. En revanche d'autres génocides ne semblent incommoder personne. Conditionné par le silence des média et une politique gouvernementale des plus opaques, l'Américain moyen estime que 10 000 Irakiens seulement auraient été tués depuis mars 2003, date de l'invasion états-unienne. Pourtant, comme l'indique une étude réalisée il y a plus d'un an par des médecins irakiens et des épidémiologistes américains de la John Hopkins University of Public Health, la réalité est tout autre. Publiée dans le prestigieux journal médical anglais The Lancet, cette étude faisait mention de 655 000 victimes (certificats de décès à l'appui) en date de juillet 2006 601 000 de mort violente, le reste en raison d'épidémies, pénurie de médicaments, coupures d'électricité, etc. Les enfants en particulier paient un lourd tribut plus de 260 000 décès.

Corroborant ce rapport, ce sont « 1 220 580 victimes [de mort violente] depuis 2003 » que confirmait à son tour l'agence anglaise Opinion Research Business (ORB) Bien qu'alarmant, ce nombre ne semble pas émouvoir média et politiciens - généralement si prompts à s'étendre sur les conflits africains, du Darfour en particulier - et continue d'être réfuté par les gouvernements états-unien et britannique qui lui préfèrent les chiffres du Iraq Body Count (organes de la coalition) donnant un total variant de 73 305 à 84 222.

L'évidence n'est sans doute qu'un élément trop révélateur de ce carnage, comme le fait remarquer l'Américain Juan Cole, spécialiste du Moyen-Orient « La mésaventure US en Irak est responsable [en un peu plus de trois ans] d'un massacre de civils dont le nombre est deux fois celui des victimes que Saddam est parvenu à éliminer en 25 ans ». Qu'à cela ne tienne ! Toute déclaration est finalement oblitérée par des démentis officiels comme en témoignait récemment le titre d'un article de la BBC : « Forte augmentation du nombre de morts en Irak » complaisamment suivi d'une longue déclaration publique de George Bush dans laquelle il affirme que « cette méthodologie est totalement discréditée, ces supposés six cent mille et plus... ce n'est pas crédible ».

Ces statistiques sont d'autant plus choquantes que le pourcentage de victimes le plus élevé est attribué à l'armée américaine. D'après des informations recueillies auprès des familles endeuillées - et jamais mentionnées par les média états-uniens - 83 % des morts doivent être imputés aux membres de la coalition et à leurs alliés (dont 56 % auraient été tués par balles, 13 % par bombardements aériens et 14 % par artillerie) : 13 % attribués aux insurgés par voitures piégées (source la plus facile à identifier) ainsi que règlements de comptes entre factions 4 % seraient d'origine inconnue.

Comme le dit avec raison Richard Horton, directeur du Lancet : « Ces révélations soulèvent d'importantes questions, notamment pour les gouvernements des USA et de Grande-Bretagne qui ne peuvent ignorer l'impact de leurs actions sur les civils. Les armées d'occupation ont des responsabilités devant la Convention de Genève... »

La gravité de la situation réside essentiellement dans le fait de ne pouvoir justifier ces morts civiles par l'occupation armée d'un pays souverain. Des prétextes ont fourvoyé l'élan patriotique de jeunes Américains qui se sont retrouvés confrontés à un scénario pour lequel ils n'étaient nullement préparés. Leur connaissance culturelle et historique de l'Irak est pratiquement inexistante, ce qui engendre une perception caricaturale de ses habitants et accentue cruellement l'incompréhension et le manque de communication entre occupants et autochtones. Ainsi n'est-il pas rare que des voitures civiles aux occupants présumés menaçants soient prises pour cible par des convois militaires qu'ils tentaient tout simplement de doubler ou d'éviter et que sur les routes poussiéreuses et normalement désertiques, des enfants se fassent écraser de même que leurs maigres troupeaux de chèvres..

La souffrance des innocents peut se résumer à ces quelques mots de désespoir « Qu'ils viennent et nous attaquent avec une bombe nucléaire qui nous tuera tous ! Ainsi pourrons-nous enfin nous reposer et que ceux qui veulent le pétrole - qui est au cœur du problème - viennent le prendre. Nous ne pouvons plus continuer à vivre ainsi, nous mourrons lentement chaque jour... »

Est-il étonnant dès lors qu'au vu d'un tel gâchis, l'état psychologique des troupes américaines soit devenu cause d'inquiétude, ce que le Pentagon tente encore de minimiser ? Le taux de suicides est en hausse, surtout depuis mai dernier, date à laquelle les combats ont doublé d'intensité. « Statistiquement, leur nombre [porté à 30] est déjà trop élevé, commente Steve Robinson, ranger en retraite qui tente de faire pression sur Washington, en s'appuyant sur le Congrès. Pourtant, il y a longtemps que certains, dans l'armée, avaient en vain tiré la sonnette d'alarme : il a fallu quelques 600 soldats évacués d'Irak pour troubles psychiatriques pour que la crise soit prise au sérieux. »

L'Irak est à genoux. 2,5 millions de ses habitants ont fui au-delà des frontières afin d'échapper à l'horreur des combats. Plus de deux millions d'autres restés au pays ont dû quitter leur foyer, leur région où ils étaient menacés de nettoyage ethnico-religieux. À des milliers de kilomètres de là, au Walter Reed Army Médical Center, deux vétérans de retour d'Irak, hospitalisés, se sont pendus, alors qu'au son de cette danse macabre, les magnats de l'Or Noir se frottent les mains devant d'engageantes perspectives. En effet, les nouveaux gisements de pétrole s'annoncent prometteurs.

Écrits de Paris Michelle Favard-Jirard

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