Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Alain de Benoist vous empêchera de vous endormir ! 1/3

Alain de Benoist vous empêchera de vous endormir !.jpeg

Un livre sur l’évolution du christianisme, un essai sur l’identité, plus les deux volumes de « C’est-à-dire », qui réunissent des entretiens et des témoignages sur les grands enjeux théoriques, politiques et culturels de la fin du deuxième millénaire… Alain de Benoist est entré en 2007 avec une brassée d’analyses et de réflexions propres à nous laisser pour de longs mois l’esprit en éveil. Nous en aurons besoin ! Invitations à la lecture par Paul Masquelier

Si Critiques-Théoriques, par son ampleur, sa profondeur de vue et sa richesse philosophique, restera probablement comme l'ouvrage théorique majeur d'Alain de Benoist - et comme son opus de référence, où l'auteur synthétise le mieux les différents aspects de sa pensée et en explicite les fondements premiers -, les deux épais volumes de C'est-à-dire (350 pages chacun !) en constituent quant à eux l'incontournable pendant journalistique et politologique. Ce monumental recueil rassemble une quantité exceptionnelle d'entretiens, de témoignages et de débats, publiés essentiellement entre le début des années 1990 et le milieu des années 2000, dans des revues françaises, mais aussi très souvent dans des revues étrangères. Une bonne partie des textes est donc inédite en français - et certains d'entre eux sont même inédits tout court, puisque destinés à des publications collectives qui n'ont pu voir le jour, ou se sont vus finalement censures par les revues qui les avaient commandés (sous la pression inquisitrice de la police médiatique de la pensée ou tout simplement par dogmatisme idéologique). Quand on voit la qualité des textes qui se sont ainsi trouvés relégués au fond d'un tiroir, soustraits à la lecture du public pour des années, et qui nous seraient même restés définitivement inconnus si la parution de ce livre n'était venue leur donner enfin une première vie, on ne peut que désespérer de l'incurie de tous ceux qui directement ou indirectement, ont choisi par bêtise ou par confort de renoncer à ces publications dans leurs colonnes...

C'est-à-dire est fascinant à plus d'un titre. D'abord, il dresse un panorama général des idées de leur auteur, dans un style libre et agréable - celui de l'entretien -, qui permet au grand public et aux lecteurs éclairés de rentrer d'une façon particulièrement intime dans une argumentation forgée par plus de quarante années de réflexion, de recherches et d'écriture. Le livre s'impose à cet égard comme l'indispensable introduction à la pensée d'Alain de Benoist, ou encore comme son inépuisable somme, en forme de magistral symposium accessible à tous, y compris à ceux qui n'étaient pas encore tout à fait familiers de ses vues. On y retrouvera donc les principaux thèmes de son œuvre : la critique de l'idéologie libérale, la déconstruction de l'imaginaire marchand, l'écologie, le passage des religions anciennes aux religions révélées, le désenchantement du monde, l'expansion planétaire de l'individualisme après l'effondrement du bloc communiste, l'impérialisme, le fédéralisme, la souveraineté, la démocratie, la théorie de la justice et du droit, la construction de l'identité, la reconnaissance des différences, l'intégration, etc. Mais, au-delà de ces questions générales, c'est aussi l'actualité qui se trouve passée au crible d'une plume pénétrante. L'auteur y prend en effet position sur le foulard islamique et la laïcité, l'affaire des caricatures de Mahomet, le prétendu « choc des civilisations », les émeutes en banlieue et l'invasion de l'Irak, et il évoque le référendum autour de la Constitution européenne, revient sur l'élection présidentielle de 2002, défend sa conception du clonage, etc.

Ce livre est l'occasion de mesurer, s'il en était encore besoin, combien Alain de Benoist a pu évoluer au cours des années, du point de vue de ses idées, mais aussi au fond combien il est resté le même, du point de vue de ses préoccupations et de sa rigueur. Voilà un homme qui n'a jamais eu le souci de plaire, de briguer des postes ou de renforcer son magistère ! Il est écrit dans l'introduction du livre : « Un entretien est un dialogue : on y répond à des questions, dont certaines surprennent parfois celui à qui elles sont posées. Mais c'est une formule appréciable, je dirais même irremplaçable, car tout à fait complémentaire des articles et des livres. Elle permet de dire, sous une forme vivante, ce que l'on croit nécessaire d'être dit. D'où le premier sens du titre : C'est à dire. Mais elle permet aussi de répondre aux objections, de développer sa pensée, d'expliciter ce qu'on a peut-être exprimé ailleurs de façon trop allusive ou lapidaire. D'où le second sens, lié à la locution conjonctive : C’est-à-dire. » Et, de fait, Alain de Benoist explicite dans ce livre ses idées sur des sujets sensibles, sur lesquels il a parfois été critiqué, suite notamment aux travaux publiés dans la première partie de sa carrière, comme par exemple autour de la question des races ou de l'évaluation du QI. Or, on constate que, si les positions ne sont sans doute plus tout à fait les mêmes qu'à ses débuts, chez lui, les questions, elles, demeurent.

Communautarisme et quotient intellectuel

Il écrit ainsi notamment : « Ce qu'on appelle "multiculturalisme" est [...] souvent considéré en Europe comme une sorte de variante du "melting pot" américain. C'est le contraire qui est vrai. Aux États-Unis, le multiculturalisme est né de l'échec du "melting pot". Les Américains se sont progressivement rendus compte qu'il était illusoire, et finalement peu souhaitable, de viser à la "fusion" de toutes les communautés représentées sur leur sol. Je pense moi aussi que les communautés d'origine étrangère doivent pouvoir conserver leur personnalité, non pour s'isoler les unes des autres, mais au contraire pour dialoguer et s'enrichir mutuellement de leurs différences. Le dialogue avec l'Autre implique en effet qu'il continue d'exister en tant qu'Autre, et ne se réduise donc pas au même. C'est pourquoi je suis plutôt favorable à un système social d'inspiration communautarienne, qui rejette d'un même mouvement l'assimilationnisme et l'apartheid. »

Sur la question du QI, Alain de Benoist précise encore sa pensée, et montre qu'on voit se développer depuis quelques décennies une véritable oligarchie de l'intelligence, qui tend à déprécier les vertus ordinaires, et en particulier celles du travail manuel : « La "force de travail" qui compte le plus de nos jours est l'intelligence. Il y a de ce fait une grande probabilité pour que l'on aille vers une société méritocratique largement fondée sur le quotient intellectuel (QI). Autrefois, même l'idiot du village pouvait jouer un rôle social. De nos jours, les individus à bas QI trouvent de moins en moins à s'employer, parce que les machines exécutent mieux qu'eux les tâches qui leur étaient auparavant dévolues, et parce qu'ils peinent à s'adapter aux techniques nouvelles. De plus en plus d'hommes deviennent ainsi superflus parce que leur force de travail est inemployable ou totalement dévalorisée. Dès l'instant où l'emploi cesse d'être la règle commune, alors que la logique du travail continue à régner dans les esprits (le statut de chômeur, par exemple, est toujours vécu comme une "honte"), la tendance à l'apartheid social ne peut que se renforcer. » À lire ces lignes, on est en droit de se demander si l'élitisme qu'on impute à Alain de Benoist, sous le seul prétexte qu'il a travaillé sur les questions relatives au QI - d'une manière qui, depuis longtemps d'ailleurs, est empreinte de modération et de prudence -, ne mériterait pas plus sûrement d'être imputé à ceux qui, tout en refusant hypocritement d'évoquer les recherches scientifiques menées dans le monde sur l'intelligence, et en les reléguant dans le no man's land de la pensée, n'en promeuvent pas moins dans les faits une société qui place tous les pouvoirs entre les mains de la nomenklatura intellectuelle, et qui rejettent systématiquement toutes les aspirations populaires comme « populistes » et « protofascistes » ?

Les précisions contenues dans le livre suffiront-elles à dissiper les malentendus et à prévenir les amalgames ? Il est à peu près certain que non, car, si les commentateurs avaient été de bonne foi, ils n'auraient certes pas eu besoin de ces deux volumes pour changer d'opinion, tant les œuvres précédentes abondaient déjà en mises au point on ne peut plus claires et explicites. Mais, grâce à la spontanéité de ton qu'autorise le genre de l'entretien, C'est-à-dire fait peut-être mieux sentir que tous les livres précédents, les convictions profondes d'Alain de Benoist, ses déceptions, ses espoirs, ses craintes et ses dégoûts, ou, si l'on préfère, la somme presque infraconsciente des orientations de caractère qui font qu'un auteur développe telle ou telle théorie plutôt que telle autre. Et l'on sent aussi, en l'occurrence, que l'auteur a d'abord pour désir et pour ambition de se poser sans concession les problèmes qui le préoccupent jusqu'à l'obsession, sans se formaliser de ce que l'humeur du temps juge acceptable ou

non. Car le paradoxe, en définitive, demeure que l'immense majorité des idées formulées dans ce livre n'auraient en elles-mêmes guère de raison de choquer qui que ce soit (à la limite, ce sont peut-être intrinsèquement le radicalisme de la critique du libéralisme économique et de la remise en cause de la logique marchande - toutes idées plutôt classées à gauche, la plupart du temps - qui revêtent la dimension la plus indéniablement polémique par rapport aux positions de la pensée dominante).

À suivre

Les commentaires sont fermés.