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Dans Discrimination and disparities, l’économiste Thomas Sowell analyse le discours dominant sur les discriminations et la « justice sociale ». Il affirme qu’il produit des ravages dans l’éducation ou dans la délinquance.
Thomas Sowell est un économiste américain de la Hoover Institution à l’Université de Stanford qui se décrit lui-même comme un conservateur noir.
Il a placé son livre Discrimination and disparities sous le patronage de Patrick Moynihan – « Vous avez le droit d’avoir votre propre opinion, mais pas vos propres faits. » – et de Fernand Braudel – « Dans aucune société, toutes les régions ou parties de la population ne se sont développées également » – patronage qui dit tout de son ambition.
Les bons côtés de la discrimination
Avant qu’il prenne une connotation négative, discriminer consistait à discerner les différences et à choisir en conséquence. Cela revient, pour un employeur, par exemple, à juger d’après les informations dont il dispose sur les individus ou d’après des informations empiriques connues sur le groupe auquel ces derniers appartiennent. L’entrepreneur a tendance à jouer la sécurité, à défaut d’informations individuelles sécurisantes. Aussi, souvent, décide-t-il d’après les informations qu’il a sur le groupe. Il évalue son coût et se tromper peut être extrêmement pénalisant.
Quelles que soient les capacités et les opportunités, ceux qui n’essaient pas ont peu de chances de réussir. On ne peut pas faire comme si les bonnes choses se produisaient de manière automatique et comme si les mauvaises étaient la faute des autres!
Aujourd’hui les leaders intellectuels expliquent ces disparités entre groupes et entre individus par l’injustice sociale alors qu’au début du 20ème siècle, ils en tiraient des conclusions génétiques. Dans les deux cas, sans souci pour les preuves empiriques. Pourtant, les conditions familiales, la géographie et la démographie comptent aussi dans le destin des hommes.
C’est avec la seconde moitié du 20ème siècle qu’est apparue l’idée selon laquelle, sauf intention maligne, la situation des Noirs et des Blancs aux États-Unis aurait dû être en tous points identique, idée confirmée par l’arrêt de la Cour suprême Brown v. Board of Education en 1954. Les écoles ségréguées furent déclarées inconstitutionnelles car intrinsèquement inégalitaires. Pourtant, en 1954, les lycées Dunbar, entièrement fréquentés par des Noirs envoyaient un pourcentage de ses diplômés dans le Supérieur plus grand que toutes les écoles blanches de Washington. La croisade pour les écoles non ségréguées a provoqué la suppression des lycées Dunbar qui avaient pourtant si bien marché pendant 85 ans. Elles devinrent des écoles de ghettos et envoyèrent, en 1993, moins d’étudiants dans le Supérieur qu’en 1933. À la fin du 20ème siècle, le succès est un peu revenu dans de nombreux ghettos grâce aux Charter Schools qui sélectionnaient, par loterie, des élèves dont les parents avaient à cœur l’éducation de leurs enfants.
Croyances
On a trop tendance à supposer que la cause d’une disparité est localisée là où cette disparité a été mesurée. C’est ce qu’a supposé la Cour suprême avec l’introduction de la notion d’impact disproportionné (disparate impact). C’est aux employeurs qu’est revenue la charge de la preuve, sans qu’aucune plainte ne soit requise. Aussi, beaucoup d’entreprises ont préféré trouver des accords et éviter tout procès, même si elles ne sont coupables de rien. Il n’est pas venu à l’esprit des juges que ce qui est arrivé avant puisse avoir eu un impact disproportionné sur ce que sont devenues les personnes, leurs aptitudes, leurs valeurs, les habitudes qu’elles amènent sur leur lieu de travail.
Les modes verbales ont des conséquences non verbales. Elles créent une équivalence entre des conditions socio-économiques et la violence ; elles excusent le non-respect des lois et les désordres sociaux dont les principales victimes sont les personnes les plus démunies, du fait des répercussions à court et à long terme.
On dit ainsi que des gens ont été privés d’opportunités ou de droits d’après leur situation quand ils ont simplement échoué par rapport à ce qui était requis d’eux. En Malaisie, les Chinois qui ont des revenus supérieurs aux Malais sont dit « privilégiés » alors qu’ils pâtissent de la politique préférentielle en faveur des Malais à l’université et dans les emplois privés et publics. Si l’on accorde un peu de sens aux mots, ce sont les Malais qui sont privilégiés. « Quand les croyances sont ancrées dans une représentation sociale protégée par une redéfinition des mots, les preuves empiriques deviennent des finasseries superflues » (p. 123).
Une autre manigance consiste à déformer les propos des autres jusqu’à leur faire dire parfois le contraire de ce qu’ils ont dit. Ce n’est pas toujours parce que les gens mentent mais parce qu’ils ne cherchent pas à vérifier ce qu’ils propagent. Lorsque ce sont des enseignants, le pire tort est celui qu’ils font à leurs étudiants en leur donnant un très mauvais exemple.
Argumentaire déresponsabilisant
Thomas Sowell trouve très décourageant que des erreurs simples et évidentes soient admises dans les cercles intellectuels quand elles sont en faveur de la « justice sociale », au sens d’une égalité de situation, qui fait croire que si l’on éliminait les biais raciaux, sexistes ou autres, on aboutirait à des résultats égaux. Élaborée par les intellectuels, cette idée se diffuse bien au-delà de leur cercle et fournit un argumentaire déresponsabilisant et vindicatif à ceux qui échouent. Quelles que soient les capacités et les opportunités, ceux qui n’essaient pas ont peu de chances de réussir. On ne peut pas faire comme si les bonnes choses se produisaient de manière automatique et comme si les mauvaises étaient la faute des autres. Les empêchements qui offensent notre morale n’ont pas forcément plus de poids que ceux qui sont moralement neutres.
Aux États-Unis, l’intégration raciale, conçue comme un prérequis de l’égalité est devenu un but en soi. Qu’une politique cherche à prévenir les décisions biaisées fermant arbitrairement des opportunités à certains est un but compréhensible. Mais une politique qui cherche une identité des résultats implique la préemption des décisions des gens au sujet de leur propre vie.
Le dogme sous-jacent à l’idée de « justice sociale » est :
1) les différents groupes occuperaient les mêmes positions en l’absence de traitement biaisé ;
2) la cause des écarts doit être recherchée là où les statistiques indiquant ces écarts ont été collectées ;
3) le gouvernement produirait par son intervention des résultats supérieurs. Cette idéologie ne s’embarrasse pas de preuves et balaie les faits qui montrent pourtant que ce qu’elle prône n’existe nulle part.
Cette vision de la « justice sociale » est un obstacle à la mobilisation des forces pour améliorer le sort des plus démunis. Thomas Sowell regrette que l’histoire elle-même soit trop souvent enseignée sous la bannière de la « justice sociale » : « Mais que peut espérer gagner une société avec des bébés qui entrent dans le monde comme les héritiers de griefs préemballés contre d’autres bébés nés dans la même société le même jour ? » (p. 222). Nous ne pouvons, écrit Thomas Sowell, avoir une certaine influence que sur le présent et l’avenir, que l’on peut rendre pire avec des restitutions symboliques sur ce qui est arrivé à ceux qui sont morts. Si nous devons chercher à améliorer le monde, c’est en concentrant nos efforts là où nous avons quelque chance d’améliorer la vie des gens.
DISCRIMINATION AND DISPARITIES Revised and Enlarged Edition, Thomas Sowell, Basic Books, mars 2019, 308 p.