Toute la journée, ce dimanche 19 juillet, on aura vainement attendu les conclusions d'une prolongation commencée dès le matin à 9 h 30 après deux séances interminables les 17 et 18. Il s'agissait d'adopter un mirifique programme de dépenses publiques chiffré à 700 milliards. Ce devait ne représenter qu'une formalité puisque Paris et Berlin était d'accord avec les encouragements de Mme Lagarde à Francfort.
Eh bien non. Le discord l'a emporté au sein du Conseil européen. À l'avant-garde d'une presse subventionnaire hexagonale unanime, l'organe de la gauche caviar Libération de ce 20 juillet titre sans complexes : "Sommet européen : un coup de grippe-sous" et met sans hésiter "en cause notamment, l’intransigeance du club des radins".
Le groupe central de la résistance comptait d'abord quatre États-Membres. Conduits par le jeune premier ministre libéral néerlandais Mark Rutte, les Pays-Bas, l'Autriche, le Danemark et la Suède ont depuis été rejoints par la Finlande. Mais on doit savoir par ailleurs que la Hongrie, en pointe des pays conservateurs d'Europe centrale, menace de poser son veto au plan financier Merkel-Macron, et que dans divers pays à l'est du continent on gronde de plus en plus contre les oukases du vieux couple franco-allemand.
Aujourd'hui ces fameux frugaux ont en fait raison sur un point fondamental : ce n'est pas en augmentant durablement les dépenses sociales, ce n'est pas en travaillant moins sous prétexte de sauver l'emploi, ce n'est pas en spoliant l'épargne que l'on évitera la crise. Au bout du compte, la sanctuarisation de toutes les désastreuses interventions étatistes menace de nous précipiter dans le déclin et la stagnation. Des aides ponctuelles, des prêts raisonnables ciblées, oui. Un endettement structurel grandissant et systématique, une bulle monétaire artificielle, non.
On peut, certes concevoir que, finalement, sous quelques jours, ,es 27 chefs de gouvernements puissent trouver un point de convergence.
La raison du consensus et du compromis a généralement prévalu, depuis le 9 mai 1950, date du fameux discours de l'Horloge de Robert Schuman, point de départ de ce que l'on appelle habituellement construction européenne. L'appellation elle-même, quoique devenue incontournable prête d'ailleurs à confusion puisqu'il ne s'agit pas d'édifier notre vieux continent mais de lui donner, objectif final avoué, des institutions politiques confédérales.
Rappelons à ce sujet que le principe même en a été affirmé dès la signature en 1957 du traité de Rome. Celui-ci affirme, dans son préambule comme but des communautés qui allaient naître de cet accord entre les Six États fondateurs une "union toujours plus étroite". Cette formulation doctrinaire a toujours fait hurler tous les souverainismes. Mais elle n'a jamais été remise en cause, pas même par De Gaulle : c'est bien son gouvernement qui ratifia le traité. Plus tard, après une politique momentanée dite de la chaise vide, liée aux questions agricoles, il finit par accepter le compromis de Luxembourg de 1962. Et, dans les années suivantes, il scella le rapprochement franco-allemand par le traité fondamental de l'Élysée de 1963.
Cependant le chantier, depuis 70 ans de bons et loyaux services, reste tributaire d'un échafaudage, qui l'encombre et le rend largement incompréhensible pour le commun des mortels. Ni sur le terrain militaire, ni sur celui de la diplomatie, ni de l'industrie de défense, ni de la réglementation migratoire, ni, comme on vient de le mesurer sur celui, par exemple, de la santé publique, les États, encore moins les administrations, ne sont vraiment parvenus à se soumettre à une autorité commune.
De plus, en France, les institutions européennes restent ordinairement considérées comme le lieu de relégation des politiciens usagés. Les questions européennes, survolées et biaisées, figurent à la rubrique internationale des journaux, au même titre que les événements y compris dans les colonnes du quotidien Le Monde qui se gargarise toujours, dans ses éditoriaux, du point de vue inverse.
Il est temps de prendre en compte le retard résultant, désormais, de la persistance hors saison des idées planistes de Jean Monnet.
Sans doute, la stratégie consistant à mettre en commun des intérêts économiques, soit en 1951 ceux du charbon et de l'acier, a initialement permis au projet d'avancer. Aujourd'hui elles ont fait leur temps. Bien plus, elles sont devenues largement contre productives. La volonté de libre échange au sein d'un marché commun de 1957, l'acte unique de 1985, positif mais purement commercial, la monnaie commune voulue à Maastricht en 1991 sous l'influence de Helmut Kohl et de Jacques Delors se sont transformés, au contraire, au fil des années, en autant de pommes de discorde plutôt qu'en facteurs de rapprochement.
L'Europe, famille de nations se divise, comme le font trop de familles, sur des questions de gros sous, en l'absence d'une véritable conscience de notre communauté de destin et d'identité culturelle.
C'est à cela qu'il faut travailler, c'est cela qu'il faut défendre.
JG Malliarakis
https://www.insolent.fr/2020/07/en-realite-les-frugaux-ont-raison.html