En France, on ne cesse de dénoncer avec raison le conformisme idéologique des médias et de ces pseudo intellectuels qui font régner un climat délétère qui n’est pas sans rappeler les belles heures du stalinisme. Il en va de même aux Etats-Unis comme en atteste ouvertement Donald Trump. Cette « cancel culture » comme on la dénomme débouche en France sur une abstention massive des citoyens aux élections, ce qui ne manque pas de poser la question de leur légitimité démocratique.
SN
Source : Le Monde 26/7/2020
Le 3 juillet, devant les visages des quatre présidents sculptés sur les flancs du mont Rushmore, Donald Trump a rompu avec l’esprit consensuel qui accompagne ordinairement la célébration de la fête nationale américaine. Il a en effet dénoncé « un nouveau fascisme d’extrême gauche » qui se développe notamment, selon lui, « dans nos salles de rédaction ».
« Si vous ne parlez pas sa langue, n’exécutez pas ses rituels, ne récitez pas ses mantras et ne suivez pas ses injonctions, vous serez alors censuré, banni, inscrit sur une liste noire, persécuté et puni », a assuré le président des Etats-Unis.
Mise en garde apocalyptique
Au cours des dernières semaines, les faits ont conforté la mise en garde apocalyptique de Donald Trump. Le 7 juin, le directeur des pages éditoriales du New York Times, James Bennet, a été contraint à la démission et son adjoint, Jim Dao, écarté de son poste après la publication d’une tribune du sénateur républicain de l’Arkansas, Tom Cotton. Dans cette dernière, l’élu proche de Donald Trump plaidait pour la militarisation de la répression des manifestations déclenchées par la mort d’un AfroAméricain, George Floyd, aux mains de la police de Minneapolis. Le choix de cette tribune avait suscité la révolte d’une partie de la rédaction du New York Times. Aucune voix ne s’était élevée au sein de l’institution newyorkaise pour défendre publique ment la liberté de diffuser un texte rédigé par une figure publique et influente.
Un mois plus tard, le 7 juillet, le Harper Magazine publie une tribune signée par une pléthore d’universitaires, d’auteurs et de journalistes, couvrant un large spectre politique, du linguiste Noam Chomski, figure de la gauche, au plus centriste Mark Lilla, et au conservateur tempéré David Brooks, du New York Times. Les noms de J. K. Rowling, autrice de la saga Harry Potter, mise en cause pour des propos considérés comme transphobes, et de Salman Rushdie, condamné à mort en 1989 par l’Iran pour ses écrits, y figurent également.
Les signataires y dénoncent la menace d’un « conformisme idéologique » perçu comme mortifère : « Les forces de l’illibéralisme gagnent en intensité dans le monde entier et ont un puissant allié en Donald Trump. Mais il ne faut pas laisser la résistance à ce courant se durcir pour produire son propre dogme ou sa propre forme de coercition, que les démagogues de droite exploitent déjà. L’inclusion démocratique à laquelle nous aspirons ne peut être réalisée que si nous nous prononçons contre le climat intolérant qui règne de tous côtés. »
« Tribalisme »
Ils s’inquiètent de la montée, à gauche, d’« une intolérance à l’égard d’opinions opposées, une vogue pour la dénonciation publique et l’ostracisme, et la tendance à dissoudre des questions politiques complexes dans une certitude morale aveugle », une pratique qualifiée de « cancel culture ». L’une des signataires de la tribune, Bari Weiss, débauchée du Wall Street Journal par le New York Times après la victoire surprise de Donald Trump pour élargir la palette des pages « Opinions », l’illustre en démissionnant le 14 juillet de ses fonctions.
Dans une lettre accablante publiée sur son site Internet personnel, elle regrette l’incapacité du quotidien de « résister au tribalisme ». « Des éditoriaux qui auraient facilement été publiés il y a seulement deux ans mettraient aujourd’hui leur auteur en sérieuse difficulté, voire conduiraient à son renvoi. Si un papier est perçu comme susceptible d’inspirer un backlash en interne ou sur les réseaux sociaux, on évite de le proposer », poursuit elle avant de dénoncer le « nouveau maccarthysme » qui a pris racine dans le journal, en référence au harcèlement dont elle assure avoir été la victime en interne.
Les déboires du quotidien newyorkais enchantent le camp républicain mais l’enfermement idéologique ne concerne pas que la presse de gauche. Le sectarisme des titres principalement numériques favorables au président l’atteste, tout comme l’expression de « fascisme d’extrême gauche » qu’il a utilisée le 3 juillet.