Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

La République et la Question ouvrière : IV. Les Syndicats domestiqués

IV. Les Syndicats domestiqués

Quelque haine sanglante que M. Clemenceau ait vouée à la Confédération générale du Travail, il ne la dissout point ; s'il s'arrange pour qu'on lui en prête le désir, il n'y viendra qu'à la dernière extrémité. La facilité relative de l'opération, son éclat même ne le tentent point. Personne ne croira que l'objection légale l'arrête. L'influence Viviani ? L'influence Briand ? Ces messieurs ont les mêmes intérêts que lui dans l'affaire.

Quelque haine sanglante que M. Clemenceau ait vouée à la Confédération générale du Travail, il ne la dissout point ; s'il s'arrange pour qu'on lui en prête le désir, il n'y viendra qu'à la dernière extrémité. La facilité relative de l'opération, son éclat même ne le tentent point. Personne ne croira que l'objection légale l'arrête. L'influence Viviani ? L'influence Briand ? Ces messieurs ont les mêmes intérêts que lui dans l'affaire.

M. Clemenceau ne dissout pas la Confédération parce que, cet organisme prolétarien qui lui cause aujourd'hui une gêne cruelle, il compte bien l'utiliser dès qu'il sera sûr de l'avoir en main. Il ne lui serait pas facile de reforger à neuf un instrument révolutionnaire de cette précision, de cette portée, de cette puissance. En se bornant à lui donner des chefs plus dociles, il tiendra le plus merveilleux outil de domination politico-sociale qui se puisse rêver.

La République a brisé les associations religieuses parce que, en leur principe, elles lui échappaient. Par des subventions, des palmes et des croix, elle mène les associations bourgeoises, elle en fait de véritables officines électorales, dépendantes du Juif, du huguenot et du métèque, de simples antichambres de la maçonnerie. Dans le monde ouvrier, où le Juif circule à l'état de simple unité, où l'influence maçonnique, encore que réelle, est souvent combattue, où les décorations n'ont guère cours, on usa jusqu'ici d'un système un peu différent : dès qu'un meneur syndicaliste faisait acte d'indépendance, on l'absorbait, à la vieille manière indiquée par Sieyès, en lui donnant une bonne place. Ce système a cessé d'agir quand l'intéressé vit combien le métier de meneur était plus directement productif que toute prébende.

Tous ceux qui se sentaient les reins solides résistèrent, dès lors, à toutes les avances, ils se tinrent dans l'âpre raccourci des révolutions, où cheminaient naturellement les esprits sincères, dogmatiques et fanatiques. La Confédération générale du Travail dut englober dès lors les appétits les plus féroces, les plus farouches convictions. Le problème était donc de la décapiter afin de la capter : maintenir l'organisation confédérale en la remettant sur la pente où roulaient les syndicalistes du temps de Combes ou de Waldeck.

Convenons-en. C'est la solution éternelle. Transformer les braconniers en gardes-chasses, métamorphoser les chemineaux en soldats, les bandits en soutiens de l'ordre est un des a b c de la politique. Seulement, ici, l'ordre à soutenir est un ordre démocratique et républicain. En 1899, cet ordre préposait les révolutionnaires au département de l'outrage à l'autorité militaire : ils la conspuaient de leur mieux. L'ordre républicain consistait, en 1901, à conspuer le clergé, les congrégations, et ce furent encore les révolutionnaires qui tinrent, à la haute satisfaction du gouvernement, cette partie tumultueuse, mais non sans harmonie, du chœur officiel. Ces anciens collaborateurs une fois ramenés par M. Clemenceau à leur premier office, à quoi seront-ils employés, ou plutôt contre quoi ? Il est intéressant de savoir qui ils conspueront.

Cela peut se calculer. On sait très bien à qui le tour. C'est le tour des industriels et des commerçants. C'est le tour des propriétaires.

On a vu se soulever l'étonnante multitude des intérêts particuliers que l'impôt sur le revenu épouvante. Avec son innombrable petite bourgeoisie, sa petite industrie, son immense petit commerce, la France n'ira jamais de plein gré 3 ni à l'inquisition fiscale, ni à la déclaration du revenu personnel. Eh bien ! on l'y fera aller de force. Les protestataires se verront assiéger, qui dans son hôtel, qui dans son magasin ; on cassera quelques carreaux, on démolira quelques glaces, on secouera quelques voitures et, dans cette terreur savamment dosée par le ministre et la police, le contribuable laissera les Quinze mille 4 voter tout ce qu'il leur plaira. Le nouveau pressoir financier une fois construit, le taux de son exigence pourra être exhaussé à plaisir : un petit flot révolutionnaire, bien dirigé et fonctionnant sous les yeux de l'autorité, suffira à faire consentir et payer. Jusqu'à l'épuisement matériel et moral du pays, jusqu'à l'invasion et la dépossession générale, ce concours de l'Émeute et du Gouvernement viendra à bout des résistances et des murmures. Par la guerre au syndicalisme, chère au cœur des conservateurs, ils auront obtenu le régime fiscal qui leur cause le plus d'horreur.

Il ne faut jamais dire aux vaincus, même fous de sottise, que c'est bien fait. Mais il importe de féliciter une fois encore ceux de nos amis qui ont su conserver leur tête sur leurs épaules et, devant les menaces, devant la grève, devant le sang, se souvenir, penser, prévoir.

L'Action française, 11 août 1908.

Charles Maurras
  1. La C.G.T. avait décrété la grève générale de 24 heures et Paris fut à peu près privé de lumière. Les typographes en grande partie avaient suivi l'ordre de grève et les journaux eurent le plus grand mal à paraître le lendemain. [Retour]

  2. Le 3 août dans l'après-midi, à la Bourse du travail, rue du Château d'Eau, d'une fenêtre du 3 étage descendit un drapeau noir aux plis duquel était attaché par le cou un buste de la République peint en rouge. La même cérémonie recommença quelques instants après avec un drapeau rouge.

    Gueuse 1908

    [Retour]

  3. Elle n'y est allée qu'à la faveur de la guerre. [Retour]

  4. C'était alors le surnom donné aux parlementaires qui s'étaient voté une augmentation de traitement annuel de six mille francs (de 9 000 à 15 000). [Retour]

http://maurras.net/textes/9.html

Les commentaires sont fermés.