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Rien n'est plus actuel que les traités de 1920

6a00d8341c715453ef0263e9615a87200b-320wiLes anniversaires pleuvent en cette année 2020 et on doit s'interroger : pourquoi telle date et pas telle autre ?

C'est ainsi, curieusement, le président français qui se rend à Beyrouth. Il enjoint aux Libanais d'abolir leur désastreux statut politico-confessionnel. Hélas, c'est bien notre  troisième république, pourtant furieusement laïciste chez elle, qui l'avait institué, il y a exactement 100 ans. Elle agissait au nom du mandat, reçu des traités de la première guerre mondiale. En 1943, le fondateur des quatrième et cinquième républiques décidait d'abandonner sans guère s'en préoccuper aussi bien le Liban que la Syrie, elle même déchirée par un découpage de même nature. C'est largement ce qui a produit dans le premier pays la guerre civile de 1973 et la paralysie institutionnelle qui aujourd'hui encore le rend tributaire de la pression du Hezbollah ; quant au pouvoir contesté depuis 2011 des alaouites à Damas, il a été engendré par l'éclatement si mal géré de ce mandat. Qu'on relise les Mémoires de Guerre de l'illustre général et la phrase fameuse où "vers l'Orient complique, il s'envolait avec des idées simples" pour comprendre combien cette inadvertance, et cette irresponsabilité de nos dirigeants a produit de conséquences.

Les traités de la première guerre mondiale furent tous désastreux. Le diktat de Versailles faisait office de clef de voûte du système.  Et la manière dont il a été débattu et ratifié au parlement français en 1919 indique assez combien le régime d'alors, guidé par Clemenceau, Klotz, Tardieu, ou Loucheur, se montrait incapable, en Europe et plus encore en Orient, de gérer sa victoire[1].

On se demande comment Marie Jégo et Allan Kaval ont osé publier, leur article pédant du 31 juillet dans Le Monde. A les en croire, on assisterait "cent ans après,[à]la revanche d’Erdogan sur le traité de Sèvres"car, expliquent-ils à leur lecteurs : "le dépeçage de l’Empire ottoman reste une humiliation pour la Turquie. Le président Erdogan, en déployant ses troupes en Syrie et en Libye, entend rétablir la puissance de son pays."[2]

Cette thèse doit être dénoncée comme totalement fausse et absurde, au regard de l'histoire : le traité de Sèvres n'a, non seulement jamais été appliqué ; mais, bien plus, un certain Mustafa Kemal l'a balayé. Et le cruel traité de Lausanne qu'il a su imposer en 1923, après sa propre victoire militaire de 1922, en a balayé certaines dispositions de justice et de bon sens, lesquelles attendent toujours, telle la création d'un État kurde.

A l'inverse, cette présentation de l'organe parisien Le Monde se révèle parfaitement conforme aux besoins de la propagande d'Erdogan. Le pouvoir islamo-nationaliste d'Ankara s'emploie en effet à liquider systématiquement l'héritage du kémalisme dans son pays.

Or, c'est centralement contre la paix de Versailles, et contre ce traité en particulier qu'avait été réuni du 1er au 8 septembre 1920, le Congrès de Bakou.

Et sans doute le centenaire de ce que le Komintern baptisait pompeusement Premier Congrès des peuples de l'Orient, – il n'y en eut pas de second – passera-t-il relativement inaperçu.

Je ne puis donc à cet égard que recommander le petit livre que j'ai consacré à ce sujet sous le titre "La Faucille et le Croissant".

Il est vrai que si un certain Erdogan agite désormais le souvenir du traité de Sèvres de 1920, instrument diplomatique qui n'a jamais été appliqué, si tous les utiles idiots, complices de l'islamisme, relayent sa propagande ou manifestent de la complaisance à l'égard de ses provocations, l'ignorance demeure sa meilleure alliée.

Pendant l'été 1920, en effet la révolution bolchévique a enregistré un échec international aux conséquences incalculables. Ce fut sa défaite devant Varsovie, appelée en Pologne le miracle de la Vistule du 15 août 1920. La dictature révolutionnaire moscovite mit un demi siècle à se relever et à se venger. Certes l'année suivante, elle parvint à liquider l'insurrection des armées blanches, abandonnées de l'occident, vaincues en 1921. Mais pendant 20 ans, l'URSS allait se trouver cantonnée, certes dans son immense territoire, hérité des Tsars, disposant de ses ressources naturelles colossales, mais aussi tout de même réduite à construire "le socialisme dans un seul pays" sous la férule abominable du stalinisme, traquant les partisans de la révolution mondiale théorisée par Trotski.

C'est dans un tel contexte qu'elle conçut une stratégie de revanche et de revers dirigée contre les puissances victorieuses de la première guerre mondiale, d'abord contre l'Angleterre et la France, et contre la paix de Versailles.

Vaincue à l'ouest en août, en Pologne d'abord, puis en Allemagne et en Hongrie, la Russie des Soviets chercha donc à s'allier, sous l'instigation de Lénine et de son commissaire aux nationalités, son plus implacable disciple, son futur successeur, l'ancien terroriste caucasien Joseph Staline, aux forces clairement les plus obscurantistes et les plus arriérées de l'Orient musulman. C'est ainsi qu'elle réunit, sous l'égide du Komintern et de son président le délirant Zinoviev, à Bakou capitale de l'Azerbaïdjan, cette assemblée de quelque 2 000 agitateurs et guérilleros.

Il ne s'agissait nullement alors, comme on l'a prétendu plus tard, de soutenir le combat des nations du futur Tiers Monde. L'Inde, la Chine, l'Égypte avait en effet, elles-mêmes, entrepris des soulèvements nationalistes dès 1919. Les porte-parole de ceux-ci furent pratiquement écartés, ou carrément ignorés.

La principale décision directe prise à Bakou soutint concrètement Mustafa Kemal, y compris contre son rival Enver Pacha lequel devait mourir un peu plus tard les armes à la main. Et ceci permit en 1921 la signature du traité soviéto-turc de Kars, se traduisant par le partage du Caucase liquidant l'indépendance de l'Arménie, de la Géorgie et de l'Azerbaïdjan.

Et en 1922 c'est avec des armes livrées par Lénine que Kemal parviendra à expulser d'Asie mineure des millions de chrétiens, aussi bien les populations majoritairement grecques de villes millénaires comme Smyrne ou Trébizonde, que les survivants du génocide arménien de 1915.

Rien n'est donc plus actuel à de nombreux égards que le centenaire du congrès de Bakou.[3]

JG Malliarakis

Apostilles

[1] cf. "La Ratification du Traité de Versailles" par Emmanuel Beau de Loménie.
[2] cf. leur contribution à "La mémoire vive des traités de la Grande Guerre"
[3] cf. "La Faucille et le Croissant" islamisme et bolchevisme au congrès de Bakou présenté par Jean-Gilles Malliarakis.

https://www.insolent.fr/2020/09/au-centenaire-des-traites-de-1920.html

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