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Guillaume de Prémare Le christianisme, matrice de la liberté politique

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Pour avoir un éclairage concret sur la liberté chrétienne, nous nous sommes adressés à Guillaume de Prémare, délégué général d'Ichtus, cette organisation sociale chrétienne qui s'appelait naguère La Cité catholique. Notre question ? Elle ne porte pas d'abord sur l’organisation dont il s'occupe mais justement sur ce que signifie la « cité catholique » aujourd'hui… Ou, si nous acceptons le mot grec dont se pare son organisation, sur ce qu'est la marque du poisson dans la société française actuelle, et sur ce qui la rend absolument nécessaire à notre avenir.

Propos recueillis par l’abbé G de Tanoüarn

Guillaume de Prémare, que représente pour vous la liberté chrétienne ? Je parle du point de vue de votre expertise de formateur politique, à la tête du mouvement Ichtus...

Je ne suis ni philosophe, ni théologien, je vais donc répondre à la dimension civique de la question. La liberté chrétienne n'est pas particulière aux chrétiens dans la Cité, elle n est pas une liberté propre aux chrétiens, c est une liberté publique pour tous les citoyens. Ce qui est peut-être plus spécifiquement catholique, c'est de tenir la participation à la chose publique comme l'un des éléments fondamentaux qui constituent la dignité de tout homme. La personne trouve un élément fondateur de sa dignité dans le fait qu'elle apporte sa pierre à la construction commune et qu elle est reconnue dans son inscription sociale et politique. L'homme a des besoins matériels, des besoins spirituels et des besoins sociaux. Il a donc des droits matériels, spirituels et sociaux. La dignité de l'homme est donc également sociale et donc politique. Cela va bien au-delà du fait de mettre un bulletin dans l'urne.

La révolte des Gilets jaunes montre que c'est au contraire très concret. Parmi les éléments moteurs de cette crise, il y a certainement la revendication de vivre dignement du fruit de son travail, mais il y a aussi le sentiment d'être nié, de compter pour rien au plan politique, alors même qu'il y a une grave crise de la représentation politique et une défiance vis-à-vis du fonctionnement actuel de la démocratie. La France des ronds-points a exprimé une aspiration civique. Les gens ont créé leur propre agora populaire parce qu'ils ne croient plus à l'agora institutionnelle, qui est considérée comme confisquée par une oligarchie, notamment financière.

Est-ce qu'il ne faut pas reprocher aux catholiques leur servilité au cours de l'histoire, mais d'une manière particulière en ce moment, face aux sirènes de la Finance ?

Je ne dirais pas que les catholiques en général ont été et sont serviles. À plusieurs reprises, notamment dans les temps de crise, il y a eu des attitudes différentes des catholiques par rapport au pouvoir en place. C'est encore le cas aujourd'hui et cela ne tient pas d abord au fait d être catholique mais à la sociologie. Si des catholiques issus d'une sociologie urbaine aisée peinent à dénoncer le pouvoir de la finance et à comprendre les aspirations du peuple profond, ce n’est pas parce qu'ils sont catholiques mais parce qu'ils réagissent, de manière plus ou moins consciente, selon leur sociologie. Il n'y a donc pas de déterminisme historique d'un catholicisme français aux ordres du pouvoir, mais des dynamiques socio-historiques qui ont toujours existé et dans lesquelles une certaine dimension socio-religieuse s'exprime.

Comment caractérisez-vous alors le catholicisme français ?

Comme tous les catholicismes, le catholicisme français est à la fois universel et particulier. La personnalité de chaque catholicisme est d'abord essentiellement marquée par le cortège de ses saints successifs et l'aventure spirituelle qu'ils incarnent. Ensuite, chaque pays catholique porte un fait religieux catholique qui s'imbrique dans une histoire, une culture, pour manifester une coloration socio-politique particulière. Par exemple, en Pologne le catholicisme fournit l'essentiel de l'identité d'une nation et d'un peuple parce qu'il a été un ciment de résistance spirituelle et culturelle face à plusieurs oppressions successives. Si vous regardez le catholicisme en Irlande, il est également un élément fort d'identité face à l'oppression d'obédience protestante liée à la couronne britannique. En France, le catholicisme est un élément important de notre personnalité française parce qu'il a en grande partie façonné notre culture et nos mœurs, mais il ne fournit pas exclusivement la substance de notre identité. D'une part, nous sommes également héritiers du monde gréco-latin, d'autre part il y a aussi une histoire moderne de la France où la laïcité républicaine est entrée également dans notre tête, avec des éléments de continuité avec le passé puisqu'en France la distinction du temporel et du spirituel a toujours existé, comme le montre l'indépendance des rois capétiens par rapport au pouvoir religieux, notamment la papauté. D'une certaine manière, la République a remis à sa sauce, à l'époque contre l'Église, quelque chose de très français. Le catholicisme français me semble assez politique parce que notre pays est le fruit d'une volonté politique continue de la dynastie capétienne. Nous sommes marqués par cela une nation politique et non une nation ethnique ou ethno-religieuse. Les catholiques, comme tous les Français, aiment les passions politiques et n'hésitent pas à se diviser voire à s'affronter au plan politique. Il n'y a donc pas de parti catholique possible en France, ni même de communautarisme catholique. Au contraire, le catholicisme peut aider à empêcher la fracturation communautariste, comme l'a exprimé Pierre Manent. Celui-ci n'hésite pas à manier le paradoxe en insistant sur ce qui me paraît être le sujet de votre dossier. La liberté chrétienne face aux minorités : « La France pourra se sortir des communautarismes, lorsqu’elle réaffirmera sa marque chrétienne et même catholique ». Voilà la base sur laquelle nous sommes assis comme catholiques français le catholicisme civique, qui est un héritage de notre histoire et devrait nous rendre hermétique à la tentation communautaire.

Mais alors, s'il n'y a pas de catholicisme communautaire, que pensez-vous des chrétiens d'Orient ?

En Europe, dans le monde latin, le christianisme ne se pense pas comme une communauté politique de la même manière qu en Orient, où les communautés religieuses sont reconnues comme chrétiennes, druzes ou encore alaouites. Cela porte une signification dans leur participation à la vie politique. D'une certaine manière, ils sont citoyens, bien souvent de seconde zone quand ils sont en terre d'islam, par l'intermédiation de leur communauté religieuse. En France, et plus largement en Occident, le chrétien est directement citoyen, sans intermédiation de sa communauté religieuse.

Acceptez-vous l'idée que le catholicisme représente en France une minorité ?

Si le terme « minorité » désigne que nous sommes un nombre minoritaire à avoir la foi catholique et à la pratiquer, alors c'est un fait. Mais si le terme « minorité » désigne un mode d'inscription dans la vie civique, je le refuse. Je ne suis pas d'une minorité ou d'une communauté particulière fondée sur la religion, je suis Français dans un pays de marque catholique. Nous ne pouvons pas renoncer à la grande communauté civique, ou alors nous renonçons à nous-mêmes. Si nous les catholiques, nous nous prenions pour une minorité, ce serait une catastrophe pour tout le monde, parce que l'on pourra dire que la France n’est plus la France. Pour garder cette « chose fragile et précieuse » comme disait Michelet en parlant de la France, il ne faut jamais renoncer à la grande ambition de la communauté civique.

monde&vie 5 décembre 2019 n°979

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