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Les nations ne meurent pas

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Les nations ne meurent pas 1.jpegJean-François Colosimo, le directeur des éditions du Cerf est un véritable spécialiste des rapports entre religion et politique. Il s'est attardé récemment sur plusieurs cas d'école en la matière : l'Iran, les États-Unis et la Russie. Le voilà qui s'attaque à la France, avec un objectif fracassant : la « religion française ».

L’ampleur du volume La religion française (presque 400 pages) peut inquiéter le lecteur. Cette ampleur est à la mesure d'une culture jamais prise en défaut, qui promène son lecteur parfaitement mis à l'aise, à travers « 1000 ans de laïcité ». Car la religion française, ne nous y trompons pas, c'est la laïcité telle qu'elle ressort non pas de la loi de 1905, pas non plus d'épisodes terrifiques de notre histoire comme la Révolution française ou, deux siècles auparavant, les guerres de religion. Jean-François Colosimo prolonge cette généalogie de la laïcité. Il ne va pas jusqu'au baptême de Clovis à la Noël 496 et s'arrête au sacre de Hugues Capet en 987. La laïcité est une invention des capétiens, que Louis XIV va encore exalter lorsqu'il parle de son droit divin : celui de l'État, car l'État, c'est lui. Autant comprendre tout de suite que la religion française n'est pas la religion de la France à tel ou tel moment, mais une manière française de penser l'homme qui a évolué, mais qui repose sur des constantes que l'on peut aller chercher à l'aurore de l'an 1000. Les Français ont, paraît-il, la mémoire courte. Mais pour Colosimo, l'être français est un être de longue mémoire !

Mais qu'est-ce que « la religion » ? Rien à voir avec quelque mystique que ce soit ! Rien de surnaturel ! Rien non plus d'idéologique pour Colosimo. C'est ce qui va synthétiser l'être français, selon un concept essentiellement latin, répond-il, concept dans lequel se mélange l'humain et le divin, ce qui produit un ensemble de règles, à travers une autorité qui transcende les différences. Il s'agit au fond de cette « religion civile », chère à Jean-Jacques Rousseau, et qui est intrinsèque à toute société. « Le dharma indien, le tao chinois, le shinto nippon, mixtes symphoniques d'entités providentielles, de pratiques coutumières et de normes comportementales reposent sur l'analogie d'organisation entre les mondes célestes et terrestres, que les rituels religieux et réglementaires dupliquent entre eux ». Eh bien ! L'analogie française, c'est ce que Colosimo a voulu nommer la religion française et cela pour indiquer, dans la dernière partie de cet ouvrage, que cette religion française devait être intégrée dans toutes les religions librement professées en France, au moins tant qu'être français ne sera pas facultatif pour qui veut être de France.

La neutralisation politique des religions

C'est bien sûr et une fois de plus l'islam qui est visé islam de France ? C'est l'Arlésienne. Il faudra bien plutôt qu'une fois de plus l'État impose la neutralité à l'islam comme il l'a fait aux différentes religions. Mais, dit Colosimo de manière sibylline, il n'y a pas de neutralité sans neutralisation, je crois qu'il s'agit non pas d'une neutralisation religieuse des religions ce serait un peu fort de café. Ce qui est en question, c'est la neutralisation politique des religions. L'actuelle guerre des ayatollahs montre que tous les cléricalismes peuvent s'enflammer politiquement, aujourd'hui encore. Cette modernisation que sonne la Révolution islamique prend les oripeaux du sacré comme armes de destruction ou de reconstruction massive. Que faire contre la tentation de la radicalisation ?  « Plutôt que de se référer à un improbable grand mufti de France qui serait dénoncé à peine nommé, prévaut l'idée [je ne l'avais jamais entendue nulle part, mais cela vaut la peine qu'on y réfléchisse] d'une assemblée conciliaire, pour réguler, à défaut de la régler dans l'instant, la question du voile ». Un Vatican II islamique ? Pas sûr que cela produise les mêmes dégâts que cela a produit dans les rangs des catholiques. L'idée est bonne, elle est réalisable, elle risque d'être fort instructrice. Elle permettrait peut-être de neutraliser l'islamisme en imposant « la religion française », car il est évident qu'un tel « concile islamique de France » ne pourra qu'être convoqué par l'État, seule structure neutre, capable de faire dialoguer les musulmans sur leur religion, au-delà de leurs origines.

Le livre de Jean-François Colosimo est une vive invitation à réfléchir sur notre passé pour que notre avenir ne soit pas invivable. J'ai été touché par trois mots qui méritent d'être les mots de la fin, à la dernière page du livre : « Les nations ne meurent pas ». Cette recherche de « la religion française » à travers les âges constitue sans le dire une quête d'identité culturelle, parmi les plus profondes, parmi les plus nuancées, parmi les plus efficaces qu'il m'ait été donné de lire. La quête finalement d'un bien commun français, au-delà de toutes les différences.

Jean-François Colosimo, La religion française, éd. du Cerf, 396 p., 20 €

Joël Prieur monde&vie 16 janvier 2020 n° 981

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