Éos, déesse de l'aurore, par Arno Breker, 1941 [photo : Charlotte Rohrbach]. Un hommage à cette divinité indo-européenne en plein XXe siècle. D'après Richard Stoneman (Greek Mythology : An Encyclopedia of Myth and Legend, Harper-Collins, 1991), Éos est sœur du Soleil et de la Lune. Parmi ses enfants, on dénombre plusieurs vents et l'étoile du Matin. Parmi ses amants, on dénombre Cephalus et Orion. Mais l'amour le plus tenace, le plus long, fut celui qu'elle éprouva pour Tithonus, un prince de la famille royale de Troie. Elle obtint même de Zeus qu'il accorde l'immortalité à Tithonus, mais elle oublia de demander d'accorder aussi à son favori l'éternelle jeunesse. Au bout d'un millénaire, Tithonus se rabougrit à l'extrême et devint une lamentable épave, sans plus aucune vigueur physique, ne cessantplus de pousser cris et gémissements. Eos l'éloigna pour ne plus entendre sa voix et, à la fin, le transforma en cigale. De Tithonus elle eut deux enfants, Memmon et Emathion.
♦ À côté du dieu du soleil, les Indo-Européens avaient une déesse de l'aurore. Les attributs de l'un et de l'autre s’échangeaient assez facilement, mais, malgré cela, l'aurore avait son caractère propre.
Elle s'appelle Ushas dans le Rig-Veda et les hymnes les plus poétiques de ce recueil lui sont dédiés. Cela est d'autant plus naturel que le chantre qui offrait son sacrifice de grand matin voyait se dérouler devant lui toutes les splendeurs de la divinité qu'il célébrait dans ses vers. Ushas est jeune, belle et bonne, elle charme toute la nature de son réveil. Comme le soleil, elle apparaît sur un char brillant aux cavales blanches. Elle est plus essentiellement femme que le soleil. Elle sourit à l'homme et lui présente son sein brillant. Aussi les poètes védiques la comparent-ils à une femme légère, à une aventurière. Cela était d'autant plus naturel qu'elle était une bayadère, une danseuse. Ce dernier trait est fort ancien.
Les Slaves et les Lithuaniens aimaient à parler de la danse du soleil levant : « Le soleil qui danse sur les monts d'argent a aux pieds des souliers d'argent », chante-t-on chez les Lettons (1). Aussi dansait-on un peu partout le jour de la fête du printemps, du « nouveau soleil », par ex. chez les Germains à la fête d'Austrô, «le levant, l'est». Cette particularité, qui a intrigué beaucoup les mythologues, semble assez naturelle à quiconque a observé un lever de soleil dans un ciel clair. Pendant un instant, le disque rouge, avant de se détacher de la ligne de l'horizon, paraît osciller et se balancer.
À l’Ushas indienne, à l’Austrô teutonique correspond l’Auszra des Lettons. Chez les Lithuaniens, le soleil levant est un dieu mâle dont le nom Uhsing est apparenté aux précédents. Il est célèbre comme Ushas par ses chevaux qui dansent comme la déesse Aurore. Uhsing, du reste, danse aussi lui-même dans les couplets lithuaniens : «Uhsing dansa, Uhsing sauta derrière mon étable à chevaux. Saute, Uhsing, aussi haut que tu le peux, danse dans le jardin des petits chevaux » (2).
Eôs (c'est-à-dire : Ausôs) chez les Grecs est, au contraire, féminine et, conformément aux tendances de ce peuple, est nettement anthropomorphisée. Elle ouvre le ciel le matin avec ses « doigts de rose ». Elle tient à la main une cruche d'où elle répand la rosée. Elle étale la lumière de ses bras ou de ses ailes rubicondes. Elle traverse le ciel sur un char. Elle séduit le beau Tithônos (= cigale). Les Romains, au lieu de vénérer Aurora, s'adressaient à la Mater Matuta dont le rôle était d'étaler la lumière du jour.
L'usage de saluer le soleil à son arrivée et spécialement au printemps se retrouve encore chez beaucoup de peuples d'Europe. On monte sur une cime et l'on salue l'aurore de cris aigus et de claquements de main souvent accompagnés de danses. Naturellement, ces usages se sont en bien des cas compliqués de superstitions tendant à favoriser la végétation, dans lesquelles de grands feux, des lustrations, des guirlandes jouaient un rôle prédominant. L'arbre de mai était un complément non moins nécessaire et non moins fréquent de cette fête du printemps où dans des bals populaires on célébrait la bienfaisante influence du soleil sur la végétation et sur toute fécondité. Un des plus anciens usages paraît avoir été celui de joncher le sol d'arbres, de branches, de fleurs. Cela portait bonheur et constituait un élément important des cérémonies et des sacrifices. C'est notamment le harkis des Indiens et le baresman des Iraniens (dont la nature changea plus tard). Beaucoup de ces coutumes ont naturellement survécu dans nos réjouissances populaires modernes et dans les usages entourant nos fêtes religieuses, si différentes qu'en puisse être l'inspiration. Beaucoup de folkloristes et d'ethnographes ont étudié ces restes du passé et particulièrement Mannhardt dans son livre : Wald- und FeldkîiUe (2® éd. Berlin, 1904).
◘ Notes :
- 1. V. Schröder, Arische Religion, II, pp. 71, 199.
- 2. V. Schröder, ibidem, II, p. 54.