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Constater la hausse de la criminalité sans penser : la démission analytique de la presse bourgeoise

Constater la hausse de la criminalité sans penser : la démission analytique de la presse bourgeoise

Sous le titre « En France, une année 2025 marquée par la violence et les homicides »Le Figaro a publié une enquête ample et minutieuse signée Jean-Marc Leclerc. Le travail impressionne par la rigueur de l’inventaire et la précision des séries statistiques mobilisées. Il dresse un tableau sombre de l’état sécuritaire du pays. Il révèle toutefois, par ses silences mêmes, l’incapacité persistante de la presse dite de référence à produire une analyse à la hauteur des faits qu’elle expose.

Les chiffres parlent avec une brutalité froide. 1 268 homicides sur douze mois glissants, soit un meurtre ou un assassinat toutes les huit heures, en hausse de 8 % sur un an et de plus de 43 % depuis 2017. Des pics mensuels inédits, 125 faits en mai, 123 en novembre. Les tentatives d’homicide suivent une trajectoire plus alarmante encore, 2 259 faits en 2016, 4 290 en 2024, soit près de 90 % d’augmentation en moins d’une décennie. À cette violence létale s’ajoute une violence diffuse devenue quotidienne, 250 000 violences intrafamiliales, 210 000 violences hors cadre familial, 130 000 violences sexuelles, toutes en progression. Dans le même temps, la capacité de l’État à répondre s’érode, les taux d’élucidation chutent de 80 à 65 % pour les homicides entre 2017 et 2023.

Tout est dit, ou presque. Lorsque l’article aborde des éléments plus sensibles, le ton se fait soudain feutré. La surreprésentation des étrangers parmi les mis en cause est mentionnée puis aussitôt enveloppée de précautions rhétoriques. 18 % des auteurs d’homicides sont de nationalité étrangère pour environ 8 % de la population. 9 % sont ressortissants de pays africains pour 4 % de la population résidente. Pour les tentatives d’homicide, la part des étrangers atteint 20 %. Ces chiffres apparaissent comme des anomalies statistiques, jamais comme des faits appelant une interprétation.

Cette retenue n’est pas fortuite. Elle procède d’un cadre idéologique intériorisé par la presse bourgeoise. Certaines hypothèses sont réputées illégitimes avant même d’être examinées. Le lien entre immigration massive, désorganisation territoriale et montée de la violence relève du non-dit. Le grand remplacement est disqualifié comme thèse raciste, donc exclu du champ du pensable. L’immigration est postulée comme intrinsèquement enrichissante, donc structurellement innocente.

Cette cécité est d’autant plus frappante que des travaux académiques solides ont depuis longtemps fissuré ce dogme. Le sociologue et criminologue Hugues Lagrange rappelait, dans Le déni des cultures, que « s’il y a bel et bien aujourd’hui, dans les quartiers d’immigration, un problème culturel, celui-ci résulte moins d’un irrédentisme des cultures d’origine que d’une déstructuration de ces cultures dans le contexte de l’immigration et de la relégation urbaine ». La violence n’est pas un simple effet de pauvreté abstraite. Elle s’enracine dans des normes familiales, éducatives et symboliques fragilisées par le déplacement des populations et leur concentration dans des territoires disloqués.

Lagrange souligne également que « l’immigration, c’est le déplacement de populations qui ont des modes de vie, des normes familiales et éducatives différentes, et que cela peut générer des conflits dans les sociétés d’accueil ». Cette évidence anthropologique éclaire la physionomie concrète des violences décrites par Le Figaro. Les rixes de masse, les homicides entre jeunes hommes, les guerres de quartiers traduisent la coexistence forcée de normes incompatibles sur un même territoire.

D’autres chercheurs convergent. Philippe Lemoine rappelle que si « les ressortissants de pays africains sont mis en cause dans les affaires de vols à un taux plus de six fois supérieur à celui des Français, ce n’est pas parce que les forces de police et de gendarmerie sont biaisées contre eux ». Cette remarque invalide l’explication commode par le soupçon systématique de racisme institutionnel et oblige à interroger les causes réelles.

Les économistes du CEPII constatent de leur côté que « les immigrés et les étrangers sont effectivement surreprésentés dans les statistiques de délinquance de nombreux pays d’accueil » et qu’en France « les étrangers représentent 17 % des personnes mises en cause alors qu’ils ne constituent que 8 % de la population ». Ils observent aussi une corrélation spatiale nette, les territoires les plus violents étant ceux où la population immigrée est la plus importante. La corrélation ne suffit pas à établir seule une causalité, elle interdit toutefois le déni.

Lemoine ajoute avec justesse que « le fait que beaucoup d’études ne trouvent aucun effet de l’immigration sur la délinquance n’est pas une raison de conclure que cet effet n’existe pas ». Cette phrase résume l’impasse actuelle. Une partie du monde académique et médiatique préfère l’absence de preuve définitive à l’examen honnête d’indices convergents. Le confort idéologique l’emporte sur le risque intellectuel.

Ce refus de penser la violence comme phénomène enraciné relève d’une anthropologie implicite. Pierre Manent a montré comment les sociétés modernes ont renoncé à se comprendre comme des communautés historiques pour se percevoir comme de simples espaces de coexistence procédurale. Dès lors, toute interrogation sur les mœurs, les normes ou les formes de vie est disqualifiée. La criminalité devient un dysfonctionnement technique, jamais l’indice d’une désagrégation du lien civique.

Cette dépolitisation conduit à ce que Marcel Gauchet a décrit comme la sortie de la structure collective de la société. Lorsque l’autorité symbolique se dissout et que l’État n’incarne plus une norme commune reconnue, la violence cesse d’être une transgression. Elle devient un mode d’expression ordinaire, particulièrement dans les territoires où l’intégration s’est limitée à une juxtaposition administrative.

À cet égard, les chiffres livrés par Le Figaro ne décrivent pas seulement une hausse de la criminalité. Ils signalent une mutation de la conflictualité sociale. Ernst Jünger pressentait que lorsque les formes traditionnelles d’autorité s’effondrent, la violence ne disparaît pas, elle se diffuse et se banalise. Elle devient endémique, quotidienne, presque anonyme.

Ce que la presse dominante refuse encore de voir, c’est que cette violence est révélatrice. Elle dit l’échec d’un modèle d’intégration fondé sur le déni des différences culturelles réelles et sur l’illusion d’une neutralité axiologique de l’espace public. Les statistiques ne sont pas de simples indicateurs sécuritaires, elles sont des symptômes civilisationnels. Raymond Aron rappelait qu’une société qui se prive volontairement des catégories nécessaires pour se comprendre s’expose à subir les forces qu’elle refuse de nommer.

Comme l’a souvent souligné Alain de Benoist, une société qui interdit certaines questions se condamne à l’impuissance politique. L’enquête de Jean-Marc Leclerc documente une réalité alarmante tout en illustrant la démission intellectuelle de ceux qui devraient en tirer les conséquences. Constater n’est pas comprendre. Comprendre suppose aujourd’hui de briser les tabous que la presse bien comme il faut continue de sacraliser.

Balbino Katz – balbino.katz@pm.me
26/12/2025

https://www.polemia.com/constater-la-hausse-de-la-criminalite-sans-penser-la-demission-analytique-de-la-presse-bourgeoise/

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