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Les Européens doivent se considérer comme une puissance réémergeante (2011) 1/2

Entretien avec Jean-Claude Empereur

Vive la crise ! Elle oblige les Européens à reconsidérer une vision du monde qui avait évacué le sens du tragique au profit de la norme juridique et de la gouvernance. Elle les contraint à la lucidité, à la créativité politique et à la volonté. Vice-président de Pan Europe France, Jean-Claude Empereur esquisse ce qui pourrait être un chemin vers une réémergence européenne, entre chaos et labyrinthe.

Alain de Benoist: Quelle est votre analyse de la crise de la dette publique, qui a déjà abouti à la quasi-faillite de la Grèce et menace d'autres pays. La situation se présente-t-elle de la même manière en Europe et aux États-Unis ?

Jean-Claude Empereur: Les États sont de moins en moins capables de dominer les marchés. C'est en particulier le cas en Europe, et notamment dans la zone euro. C'est le résultat d'une « volonté politique » exprimée dès la création de l'Union économique et monétaire (UEM), volonté paradoxale et finalement perverse. Elle consistait précisément à retirer aux politiques toute possibilité d'action dans le domaine financier. La finance était une chose trop sérieuse pour la confier aux politiques...

La convergence naturelle des économies devait être imposée par la vertu de marchés autorégulés. Le souverain devait s'effacer devant le financier, en abdiquant l'élément essentiel de sa souveraineté, à savoir la maîtrise de ses finances et de sa monnaie. Le général de Gaulle avait défini la souveraineté comme la « puissance de gouverner ». On mesure aujourd'hui les résultats de l'impuissance organisée : confiance illimitée accordée aux financiers et aux mécanismes, défiance généralisée à l'égard de politiques jugées irresponsables, surtout en matière monétaire. Certains observateurs considèrent que ce basculement de l'opinion s'est effectué il y a une trentaine d'années lorsque, sous l'influence des théories et des pratiques anglo-saxonnes, on a privilégié le mode dette sur le mode inflation, s’engageant alors dans la déréglementation à tout va. On trouve aujourd'hui encore cet état d'esprit dans la campagne orchestrée dans l'ensemble de l'Europe, et pas seulement en France, en faveur de la « règle d'or », sorte de principe de précaution appliqué à la sphère financière, pour la préserver de décisions politiques considérées comme irresponsables ou intempestives par nature.

La crise actuelle annonce vraisemblablement un retour au mode ancien, sinon les responsables politiques auront bien du mal à expliquer comment ils pourront allier l'austérité à la relance. On aurait pu imaginer qu'en retirant aux Etats membres leur souveraineté monétaire, on se hâterait de créer une souveraineté européenne surplombante. Il n'en a rien été. Le double refus du fédéralisme budgétaire et fiscal, et de la solidarité automatique entre États, ne pouvait conduire qu'aux plus grandes difficultés en cas de crise. Ajoutons que pour être crédible, un budget européen devrait s'élever au moins à 10 % du PIB de l'Europe. Il n'est que de 1 % aujourd'hui (dont 0,4 % consacré à la PAC). Dans la situation actuelle de fléchissement du sentiment européen, il faudra de très nombreuses années pour atteindre un tel niveau. Ceci relativise beaucoup la perspective d'un gouvernement économique européen, voire d'un simple ministre européen des finances, dont on voit mal devant qui il serait responsable, ou même celle de l'émission d'eurobonds authentiquement européens.

Le choc de la crise financière globale, dont on ne rappellera jamais assez l'origine américaine, est venu frapper une zone économique très hétérogène aux fragilités multiples, voire masquées, obligeant les États à prendre en charge les dettes, et en particulier les dettes privées, faisant ainsi exploser la dette publique. Les événements boursiers de début septembre ne font que confirmer l'ampleur de la dette privée représentée par les actifs toxiques détenus par les banques européennes, actifs dont le volume général et le périmètre ne sont toujours pas connus.

Au-delà d'une crise financière d'une ampleur inégalée, c'est un problème politique majeur qu'il va falloir résoudre. Quelles explications les dirigeants politiques vont-ils donner à leurs opinions en ces périodes de fortes pressions électorales, en particulier en France et en Allemagne, lorsqu'il sera patent que les mesures qu'ils annoncent n'auront rien réglé ? Quelles justifications donner aux inégalités qui se creusent chaque jour et comment s'enthousiasmer autour d'un projet politique basé sur le remboursement des dettes du système financier occidental ? Les classes moyennes ne vont plus accepter très longtemps d'être considérées implicitement comme les coupables d'une crise, dont elles sont en réalité les victimes. Ce ne sont pas les déclarations de quelques milliardaires en mal de rédemption médiatique qui vont les convaincre. Le risque d'explosion politique et sociale est imminent. Les conséquences des atteintes portées à la souveraineté monétaire et de celles portées au modèle de solidarité sociale européenne fondé jusqu'à présent sur une alliance subtile entre cohésion sociale et efficacité économique vont se révéler politiquement insupportables. Peu à peu, l'indignation fera place à la révolte.

À côté de ce risque interne s'en profile un autre, la dégradation des relations avec le monde anglo-saxon dans son ensemble. S'il n'y avait eu la crise financière américaine, les difficultés européennes seraient bien moindres et l'euro, malgré son incomplétude, infiniment moins menacé. En réalité, le monde anglo-saxon n'a jamais admis l'existence de l'euro. Les vieux démons se réveillent depuis qu'il constate que le maintien de l'euro passe nécessairement par un renforcement du pouvoir et de la puissance continentale européenne, avec son extension possible et sans doute souhaitable à la Russie. Tout doit être mis en œuvre pour casser l'« île du monde » que préfigure le partenariat euro-russe, ensemble géopolitique aux richesses illimitées, quasi inexpugnable, décrit par l'Anglais H. J. Mackinder ou l'Américain Nicholas Spykman, et dont Zbigniew Brzezinski, resté proche du président Obama, est le fidèle épigone.

À suivre

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