Du symbolisme de la roue
Le terme “roue” (rota) est d’une lointaine origine indo-européenne. Il nous vient du latin rota, dont l’étymologie est particulièrement intéressante. La racine d’où provient rota est reth. Le substantif rota, nous explique le philologue italien Giacomo Devoto, en émergeant dans la langue, s’est comporté de la même manière que le mot toga (toge) par rapport au verbe tegere (signifiant “couvrir” ; ndt : d’où tegula, qui veut dire “tuile”) ; Devoto veut dire par là qu’il s’agit d’un substantif d’action dérivé d’un verbe de l’indo-européen commun des origines, disparu à l’ère historique, et qui a dû être retere, que Devoto traduit par “courir en rond”, ce qu’il faut probablement comprendre comme “se mouvoir autour d’un axe”. Cette interprétation nous semblera plus plausible, si on garde en mémoire que la racine reth a donné, dans les aires germanique et celtique, à côté du latin, rethim et roth en irlandais, rhod en gallois, rado (d’où Rad) en vieil haut allemand, tous mots qui signifient “roue” ; à la même époque lointaine, ce même terme nominal donne également les termes, qui, dans l’aire indo-iranienne signifient le “char” (en sanskrit : rathas ; en avestique : ratha-) et, qui, dans l’aire balte, désignent au singulier le “char” et, au pluriel, les “roues” (en lithuanien : ratas).
Le terme est absent dans les aires grecque, arménienne et slave. Mis à part cette absence, dans la plupart des langues européennes, le concept de “roue” s’exprime encore aujourd’hui par des termes apparentés : par ex., le roumain roata, le catalan et le portugais roda, l’espagnol rueda, le français roue et l’allemand Rad.
Pour ce qui concerne le symbolisme de la roue, on pense que la roue détient un rôle très important depuis les plus anciennes cosmogonies, notamment dans les mythes qui relatent la naissance de l’univers. À ce propos, reportons-nous à un passage fort important de l’œuvre de René Guénon : « on sait que la roue est, d’une façon générale, un symbole du monde : la circonférence représente la manifestation, qui est produite par l’irradiation du centre ; ce symbolisme est d’ailleurs naturellement susceptible de significations plus ou moins particularisées » [« Le Dôme et la Roue », 1938, in : Symboles de la science sacrée]. Ensuite, le métaphysicien français rappelle qu’en Inde deux roues associées, c’est-à-dire le char, correspondent à des parties diverses de l’ordre cosmique (ce qui est évident quand on se remémore ce que je viens d’écrire dans le présent article sur la signification de rathas dans la langue sanskrite). La forme circulaire de la roue — si nous continuons à suivre la pensée de Guénon — est le symbole des révolutions cycliques auxquelles sont soumises toutes les manifestations, qu’elles soient terrestres ou célestes ; ainsi les deux roues pourraient bien représenter l’univers dans ses parties.
Souverain universel et Seigneur de la Roue
Mais il y a encore un symbole archaïque particulièrement important associé à la roue et à la royauté : celui de Chakravarti ou du “souverain universel” ; étymologiquement, son nom signifie le “Seigneur de la Roue” ; il en est le seigneur parce qu’il la domine en maintenant l’axe immobile. Dans ce symbole, la roue qui tourne autour du moyeu est la manifestation, tandis que le souverain, immobile, rappelle l’image du “moteur premier” dans l’œuvre d’Aristote. La roue de l’existence dans le bouddhisme reprend une image similaire.
D’une certaine façon, les différentes “roues de la fortune”, présentes dans l’antiquité et aussi au Moyen Âge occidental, ont également une signification “cosmogonique”, archétypale et universelle. De même, le cas du “parasol” du Seigneur de la Roue se retrouve au sommet des grands arbres de Cocagne (Schlaraffenmast), où une grande roue trône, chargée de présents pour ceux qui parviennent à l’escalader complètement.
► Alberto Lombardo, Nouvelles de Synergies Européennes n°51, 2001.
(texte issu de La Padania, 10 septembre 2000)