C’est ce qui ressort d’une note publiée par la Fondation Jean-Jaurès, Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach dans Le Figaro, à propos de la dernière élection municipale à Marseille :
Parallèlement à la victoire de Michèle Rubirola, la perte par le Rassemblement national du 7e secteur (13e et 14e arrondissements), conquis en 2014 par Stéphane Ravier, a constitué l’autre événement marquant du second tour à Marseille. La situation du parti frontiste dans la Cité phocéenne est cependant contrastée. On constate une baisse tendancielle du RN dans tous les secteurs du centre de Marseille. Cette érosion est spectaculaire dans les 1er et 2e secteurs où, en vingt-cinq ans, son audience a été divisée par deux. L’augmentation significative du poids de la population issue de l’immigration maghrébine, africaine et comorienne sur les listes électorales y constitue un handicap structurel pour le RN. À ce facteur est venue s’ajouter la « boboïsation » de certains quartiers du centre de la ville, la combinaison de ces deux facteurs aboutissant à un environnement socio-culturellement de plus en plus réfractaire au RN. Cette double logique se retrouve également dans le 8e secteur qui comprend le 15e arrondissement avec de nombreux électeurs issus de l’immigration et le 16e, où c’est plutôt l’embourgeoisement qui y limite les performances du RN. […]
Le processus de gentrification/boboïsation ne concerne pas que les arrondissements du centre. On peut y ajouter le 16e arrondissement, avec le charmant quartier portuaire de l’Estaque. C’est ici que Le Printemps marseillais (PM) a percé, que la droite a subi un violent décrochage. La droite est nettement distancée au premier tour dans ces secteurs 7 et 8 (quartiers nord) où le RN recueille plus de 40 % des suffrages exprimés dans de nombreux bureaux de vote. Composés d’anciens noyaux villageois et de secteurs pavillonnaires, ces bureaux de vote se trouvent relativement proches de certaines cités connues pour le trafic de stupéfiants et les règlements de compte qui y sont liés. Ce sont ces cités qui ont forgé la réputation négative des quartiers nord. Dans ces cités, la population étrangère et issue de l’immigration est parfois majoritaire, ce qui donne corps, aux yeux de nombreux électeurs des quartiers voisins, au concept de « grand remplacement » théorisé par Renaud Camus. Enfin, dans les quartiers de pavillons et copropriétés, qui se trouvent à proximité des cités, la valeur immobilière serait incontestablement plus élevée sans « l’ombre » des cités voisines, ce qui participe d’une frustration certaine pour les propriétaires. Dans son secteur, Stéphane Ravier dépasse ainsi les 45 % au premier tour dans trois bureaux situés dans la partie est du quartier des Olives, à proximité des cités La Rose-Frais Vallon. Au sud du quartier du Merlan, proche des Flamants et de La Busserine, autres cités « chaudes » , le bureau n° 1 457 lui accorde 46,2 % des voix.
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En appliquant une grille d’analyse onomastique (sur les noms propres, NDLR) , nous avons pu évaluer le poids relatif de cette population parmi les inscrits. Ce poids varie d’un quartier à un autre avec toute une partie de la ville où cette présence est résiduelle (moins de 7 % de porteurs de prénoms arabo-musulmans dans le bureau de vote) alors que, dans d’autres quartiers, le taux atteint 35 %, voire 50 % des inscrits. Or, la carte du vote Ghali au premier tour épouse cette géographie dans ses moindres détails avec quelques îlots de vote élevés dans le sud de la ville, précisément là où la proportion d’électeurs issus de l’immigration est très significative. C’est le cas dans les cités Air Bel, Les Néréïdes et Le Bosquet (11e). Plus la proportion de porteurs de prénoms arabo-musulmans est élevée dans un bureau et plus le vote en faveur de la liste Ghali y est important.
La trajectoire du score du Printemps marseillais est moins linéaire. Il est faible dans les bureaux de vote où ces prénoms sont quasiment inexistants et qui votent fortement pour la droite. Le score du PM atteint ses niveaux les plus élevés (entre 27 % et 30 %) dans les bureaux où la proportion de prénoms arabo-musulmans oscille entre 7 % et 35 %. C’est dans ces quartiers (1er, 2e, 3e, 4e, 6e et 16e arrondissements) caractérisés par un certain degré de mixité ethnoculturelle que le discours et le projet du PM ont rencontré le plus d’écho. L’audience décline ensuite là où la population issue de l’immigration devient la plus importante, ces quartiers se caractérisant par une abstention très élevée et un fort vote Ghali.
Parmi les électeurs de ces quartiers qui sont allés voter, une partie significative s’est reconnue en cette candidate d’origine maghrébine, ayant grandi dans les quartiers nord et tenant un discours social tout en étant sensible aux questions de sécurité, enjeu important dans ces quartiers. Cette identification conduisant à un vote affinitaire s’est nouée également au travers du profil de ses colistiers. D’après l’analyse onomastique, 40 % d’entre eux étaient issus de l’immigration, cette proportion étant de 13 % dans les rangs des candidats du PM. Symboliquement, cela a joué quand Samia Ghali ne s’est ralliée que tardivement à Michèle Rubirola. L’élection de cette dernière au poste de maire n’a été possible qu’avec les voix des élus « ghalistes » . Renouant avec une théâtralisation de la politique toute méditerranéenne, Samia Ghali, endossa le costume de tribun de la plèbe pour rappeler à la nouvelle majorité issue des beaux quartiers et du centre-ville que l’alternance n’avait été possible qu’avec le concours des voix du petit peuple de Marseille. »