On savait que le gouvernement des juges était de plus en plus envahissant, mais depuis ce jeudi 15 octobre, il semble s’affranchir de toutes limites. Ainsi les forces de l’ordre ont-elles perquisitionné les domiciles d’Édouard Philippe, Sibeth Ndiaye, Agnès Buzyn, Olivier Véran et Jérôme Salomon. Dans la foulée, les bureaux des deux derniers, encore en exercice, ont subi le même sort.
Cette vaste opération fait suite à l’information judiciaire ouverte, en juillet dernier, par la Cour de justice de la République suite à neuf plaintes retenues, sur près d’une centaine, pour le délit consistant à « l’abstention de combattre un sinistre ». Lequel concerne, à en croire le Code pénal, « quiconque s’abstient volontairement de prendre ou de provoquer les mesures permettant, sans risque pour lui ou pour les tiers, de combattre un sinistre de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes ». La peine encourue ? Deux ans de prison et 30.000 euros d’amende.
On notera que cette perquisition intervient au lendemain de l’intervention télévisée d’Emmanuel Macron. Tout un symbole… que la Cour de justice de la République ne pouvait ignorer. Comme elle ne peut ignorer, non plus, que la définition même du délit plus haut évoqué est difficilement recevable. En effet, que le gouvernement ait tâtonné, fait preuve de légèreté, se soit contredit et qu’il ait même menti depuis le début de la pandémie, cela ne fait guère de doute.
Plus prosaïquement, il est parfaitement imaginable que la Justice ait voulu adresser un signe fort à l’actuel Garde des Sceaux, l’avocat Éric Dupond-Moretti, qui se verrait bien rogner les prérogatives et l’entre-soi des magistrats. Lesquels ont, par ailleurs, une sorte de revanche à prendre sur les années Chirac qui les avaient vus bafoués en permanence.
Quoi qu’il en soit, la situation est révélatrice d’un malaise autrement plus profond : la montée en puissance de l’autorité judiciaire contre ce qui demeure de pouvoir politique. Ce qui est d’autant plus grave que les uns ne doivent leur légitimité qu’à leur nomination alors que les autres la doivent à l’élection. En ce sens, les institutions sont de plus en plus oligarchiques et de moins en moins démocratiques. Ça se savait ; maintenant, ça se voit.
Le général de Gaulle avait coutume de dire que le seul souverain était le peuple. Aujourd’hui, ce sont manifestement les Conseils, constitutionnel et d’État – sans oublier leurs homologues européens –, cénacles de gens qui, une fois encore, ne sont pas élus mais dont la parole a souvent plus de poids que celle des députés, des ministres et du Président. Et, par la même, de ce peuple qui les a faits rois, fût-ce le temps d’un mandat.
Le comble de cette subversion des institutions, c’est évidemment la nature des plaignants : médecins, associations en tous genres, simples particuliers et même prisonniers. Il est vrai qu’aujourd’hui, américanisation de la société oblige, nous vivons à l’heure de la judiciarisation des rapports humains.
N’importe quel clampin qui se sent offensé fait procès au premier quidam venu. N’importe quelle association de défense des ratons laveurs porte la moindre contrariété devant les tribunaux. Et même les détenus paraissent se mêler de la partie. Pour se plaindre d’avoir été confinés en prison ? Ou de ne pas l’avoir suffisamment été alors que la pandémie gagnait du terrain ? Dans ce monde devenu fou, toutes les pistes sont désormais envisageables.
PS : au moment où cet article va être mis en ligne tombe la nouvelle de la mise en examen de Nicolas Sarkozy pour « association de malfaiteurs » dans le cadre d’un possible « financement libyen » dans la campagne présidentielle de 2007. Comme ce fut le cas pour Jacques Chirac, est-il bien opportun, ne serait-ce que pour la réputation internationale de la France, de traîner un ancien Président devant les tribunaux ? La question mérite d’être posée.
Nicolas Gauthier