La victoire du candidat démocrate paraît désormais, après quelques jours de flottement, politiquement acquise. Les bons esprits de l'Hexagone restent, en général, hostiles au mode fédéraliste d'élection du président des États-Unis. Dogmes jacobins obligent. Ils nous ont ainsi habitués à ne considérer comme légitimes que les suffrages directs. Raisonnons un instant comme eux et retenons les chiffres globaux : 75 millions de voix pour le ticket Joe Biden-Kamala Harris, 71 millions pour Trump, lequel en avait obtenu 63 millions en 2016. Tout, par conséquent sauf le raz de marée annoncé par les sondeurs et attendu par la plupart des commentateurs.
La carte des États ayant voté respectivement pour les deux camps souligne la différence des deux implantations : en rouge, au centre l'Amérique profonde autocentrée vote majoritairement républicain, en bleu l'Amérique côtière, de Wall Street, de Hollywood et de la Silicone Valley, maritime et mondiale vote démocrate.
Le nouveau président américain disposera d'une majorité à la Chambre des représentants, maîtresse des finances, mais probablement pas au Sénat qui, à ce jour, oscille encore entre 50/50 et 51/49 pour les républicains lesquels contrôleront sa politique mondiale. On doit aussi savoir que le Congrès des États-Unis, 100 sénateurs et 435 représentants, cela fait 535 électrons libres, reflets de leurs États et de leurs circonscriptions, très peu soumis aux appareils centraux. La Cour suprême, par ailleurs, à majorité clairement conservatrice bloque et bloquera certains excès de zèle, des élus comme du gouvernement – que nous continuons à appeler du contresens linguistique "administration".
Au total, cette situation nouvelle se révèle, à ce jour, suffisamment nette pour ne pas permettre une crise durable. Suffisamment courte aussi pour que la nouvelle équipe ne puisse pas tomber dans les excès que redoutent beaucoup d'observateurs.
Elle nous enseigne beaucoup de choses, importantes pour nous, dont il faut retenir l'essentiel.
D'abord, mentionnons ici une évidence. Elle semble trop souvent oubliée : l'Amérique et sa gouvernance appartiennent aux Américains et à eux seuls.
Il se trouve simplement que l'Europe dépend étroitement, depuis leur entrée dans la guerre en 1917, et plus encore depuis le débarquement de 1944 et les accords de Yalta de 1945, de ce qui se décide à Washington. Depuis 1949, nous faisons institutionnellement partie de l'Alliance atlantique.
Les quatre années de la présidence Trump, qui s'est déclaré nationaliste à plusieurs reprises, nous ont instruits, ou auraient pu nous instruire de la nécessité de compter un peu moins sur l'aide militaire permanente des États-Unis. Autrefois, pendant la guerre froide, cette dépendance stratégique permanente dans la défense de l'Europe séparait les points de vue français et allemands : les gaullistes parisiens imaginaient détacher l'Allemagne de l'Ouest de la protection OTAN, idée considérée à Bonn comme farfelue voire dangereuse. De ce point de vue les cercles dirigeants en Allemagne n'ont pas changé de doctrine fondamentale. On peut même observer que le groupe de 12 pays d'Europe centrale et orientale appelé "Initiative des trois mers"inspiré par la Pologne, ensemble allant de l'Estonie à la Bulgarie et à la Croatie va encore plus loin.
Mme Annegret Kramp-Karrenbauer, présidente fédérale de la CDU allemande, l'a rappelé le 2 novembre, dans un article fort nuancé et documenté, mais dont les [rares] journalistes français ne semblent avoir qu'une phrase, où, nous dit-on, elle parle[rait] d’en finir avec "l’illusion de l’autonomie stratégique européenne"[1].
Or, Mme Annegret Kramp-Karrenbauer répondait à son tour aux propos jugés excessifs d'Emmanuel Macron sur "la mort cérébrale de l'OTAN". Ils avaient déjà été contredits en leur temps par Ursula von der Leyen comme par Angela Merkel. Plus encore, "AKK" nuançait la conférence [plutôt] enthousiaste et [presque] convaincante de Charles Michel du 28 septembre président du Conseil européen pour qui "l'autonomie stratégique européenne est l'objectif de notre génération".[2]
Un acquis des années Trump ne semble cependant pas destiné à s'effacer : la rupture grandissante avec la Chine. Depuis 1971, époque des accords Nixon-Mao, puis à l'ère de Deng Xiaoping jusqu'en 1992, pendant 20 ans, de 1992 à 2012 sous ses continuateurs, l'Empire du Milieu a semblé l'eldorado de la sous-traitance et de la délocalisation pour une certaine finance occidentale, et par conséquent aussi celui des pertes des emplois industriels chez nous. Cet immense pays s'est également révélé paradis de la contrefaçon, de l'espionnage économique et du pillage technologique.
Depuis 2012 et du fait de l'accession de Xi Jinping au secrétariat général du Parti unique le gouvernement de Pékin est devenu le centre mondial du communisme au XXIe siècle[3].
Cela n'avait pas échappé à la présidence nationaliste de Trump, on peut estimer que cela échappera encore moins au règne multilatéralisme de Joe Biden de Kamala Harris. Puissions-nous le comprendre en Europe.
JG Malliarakis
Apostilles
[1] Votre chroniqueur suggère donc ses amis lecteurs de lire ce texte in extenso, disponible en anglais et non en allemand, car destiné au public américain "Europe still needs America"
[2] Ce discours au groupe de réflexion Bruegel est à lire sur le site officiel du Conseil européen/
[3] à cet égard je me permets par conséquent de renvoyer le lecteur à l'Insolent du 2 novembre : "Pendant ce temps-là en Chine".