Un groupe de chercheurs dirigé par Morten Allentoft et Eske Willerslev, de l'Université de Copenhague, a cherché à identifier les mécanismes migratoires, socio-économiques et génétiques, qui ont favorisé l'émergence de l'homme moderne en Europe. Pour répondre à la question, ils ont étudié l'ADN de 170 humains de l'âge du bronze, qui commence en Europe il y a environ 5000 ans.
Leur conclusion est que le fond génétique de la population européenne actuelle s'est probablement formé suite aux grandes migrations intervenues il y a 4800 ans, lorsque les représentants de la culture pastorale de Yamna, qui s'étendait à l'origine de la rive nord de la mer Noire jusqu'à la mer Caspienne, ont quitté les steppes de l'Ukraine et de la Russie actuelles pour se diriger, soit vers la Sibérie occidentale, soit vers des territoires situés au nord ou à l'ouest. Ces populations nomades se seraient mêlées aux populations locales, ce qui aurait donné naissance en Europe centrale, puis dans le nord de l'Europe, à la culture de la céramique cordée (dite aussi « culture des haches de combat », qui s'est étendue jusqu'à la Scandinavie méridionale, en passant par le nord-est de la France et des Pays-Bas). À l'est, les représentants de la culture de Yamna, qui utilisaient des chariots et des chevaux, se seraient installés au-delà de l'Oural jusque dans les montagnes de l'Altaï, entre la Sibérie, la Chine et la Mongolie, où ils auraient formé la culture d'Afanasievo après avoir remplacé les chasseurs-cueilleurs de la région.
Les nouveaux arrivants, qui furent eux-mêmes remplacés il y a 3800 ans par la culture d'Andronovo, enterraient leurs morts en position recroquevillée, après les avoir recouverts d'ocre, dans des tumulus ou des kourganes. Les chercheurs précisent que leurs migrations doivent également être mises en rapport avec la diffusion d'une peau de couleur claire permettant de maximiser la synthèse de la vitamine D (par modification des gènes SLC24A5 et SLC45A2), elle-même souvent associée aux yeux bleus (gène HERC2/0CA2) et, sur le plan linguistique, avec celle des langues indo-européennes. La thèse d'une importante transformation des populations de l'âge du bronze a également été confirmée par une autre enquête, menée sous la direction de Mark Jobling, de l'Université de Leicester, qui a porté sur le chromosome Y de 334 individus de sexe masculin. Cette seconde enquête montre que la majorité des Européens actuels descend probablement d'un très petit nombre d'individus ayant vécu entre il y a 7300 et 3500 ans.
Une autre découverte, faite par une troisième équipe, dirigée par David Reich, de l'Université Harvard, concerne le moment où les Européens adultes ont acquis la capacité à digérer le lactose (la substance contenue dans le lait). On pensait jusqu'ici que cette capacité s'était généralisée dès la révolution néolithique, comme une conséquence du développement de l'agriculture et de l'élevage du bétail. Mais l'examen de l'ADN de 101 humains auquel les chercheurs ont procédé montre qu'au début de l'âge du bronze, 90 % des Européens étaient encore intolérants au lactose et que c'est seulement vers la fin de l'âge du bronze que cette capacité a été acquise, toujours sous la lointaine influence des gènes de la culture de Yamna.
Sources : Nature Communications, 19 mai 2015; Nature, 10 juin 2015.