Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Les grandes migrations ne détruisent que les citées mortes 2/3

Les grandes migrations ne détruisent que les citées mortes.jpeg

Quel est l'effet des grandes migrations sur les empires en déliquescence ? Leur rôle ne saurait être exagéré. En effet, même si certains facteurs comme les traversées maritimes ou le filtre du désert peuvent aiguiser la vitalité-agressivité des migrants, l'effondrement d'une civilisation s'explique fondamentalement par une raison intérieure : la perte du sens des réalités par ses élites. Lorsque les migrants nomades, qui ont traversé mers ou déserts, prennent pied sur les rivages sédentaires où ils se fixent, ils se positionnent dans la société d'accueil en fonction de sa vitalité propre. Le Haut-Empire romain par exemple est précédé d'un temps de troubles remontant aux guerres d'Annibal où la société cesse d'être créatrice pour entrer en déclin; déclin que l'établissement de l'empire romain arrête pour un temps, mais qui se révèle, en fin de compte, le symptôme d'un mal incurable.

C'est dans ce contexte que l'apparition de migrants goths est présentée par l'entourage de l'empereur Valens comme une grande opportunité. Ammien écrit que « cette affaire causa plus de joie que de peur et les flatteurs éduqués insistèrent auprès du Prince sur sa bonne fortune qui lui amenait autant déjeunes recrues venues des extrémités de la Terre ». L'empereur finit par consentir à leur requête en 376. Des milliers de Thervingues et autres réfugiés se présentent ainsi aux frontières du limes. Sans doute avait-on sous-estimé du côté des Romains le nombre de ces réfugiés que l'on négligea de désarmer. Les autorités chargées d'organiser l'accueil des Goths, plus préoccupées par les possibilités de tirer un profit immédiat de la situation que de gérer la crise au mieux, sont vite débordées. Le comes de Mésie, Lucipinus, revend par exemple à un prix exorbitant les matières premières et les ressources alimentaires que l'Empire a mises à sa disposition pour la construction de centres d'hébergement, si bien que les Goths sont rapidement réduits à la famine et qu'au début de 377, ils se révoltent contre les Romains.

[Le coup de grâce à un suicidé expirant]

Pour Friedrich Ratzel, la première erreur d'un empire déclinant consiste à abandonner la maîtrise du sol. En effet, la politique des puissances commerciales passe par une dépréciation du sol, auquel elles préfèrent les biens meubles, faciles à acquérir et à échanger : l'essor de la Grèce fut par exemple celui d'une puissance commerciale mondiale; lorsqu'elle ne le fut plus, son sol propre se découvrit trop étroit et trop pauvre, et l'esprit du commerce, l'art et l'intelligence désertèrent les cités grecques. Or, il est possible de subjuguer un peuple de bien des manières, mais on ne peut pas prendre le sol d'un peuple à forte densité démographique : quoi qu'on fasse, un sol investi de tous côtés est inexpugnable. Se détournant de la maîtrise du sol intérieur, les empires déclinants se lancent souvent dans une expansion militaire démesurée qui leur est fatale. Le plus souvent, l'expansion est concomitante avec le déclin et coïncide avec un temps de troubles. De fait, le militarisme a été, de beaucoup, la plus fréquente des causes d'effondrement des sociétés durant les quatre à cinq derniers millénaires. Ainsi, les périodes de dépossession du sol national, d'expansionnisme militaire et de désagrégation sociale sont contemporaines. Aussi les migrants ne sont-ils le plus souvent que les simples témoins d'un effondrement intérieur Dans tous les cas, ce qu'un ennemi du dehors a perpétré de plus grave fut d'apporter le coup de grâce à un suicidé expirant. Dans les civilisations agonisantes, les élites peuvent toutefois apporter un sursis dans le déclin. En effet, lorsqu'une civilisation se décompose, elle s'octroie généralement un délai de grâce.

Le plus souvent, l'effet normal des migrations sur la partie assaillie apparaîtra non pas comme destructrice, mais comme positivement mobilisatrice. En effet, la conséquence normale des chocs et pressions extérieures est celle d'une stimulation. L'art politique consiste simplement à savoir mobiliser ces mouvements au profit de sa propre croissance étatique. Face à une menace extérieure omniprésente, l'empire romain opte tout d'abord pour une défense aux frontières en constituant le limes. Pourtant, face à la pression migratoire, Rome est forcée de privilégier un autre type de défense : une défense en profondeur. Conscients de la supériorité romaine en bataille rangée, les Barbares s'infiltrent, de leur côté, par petits groupes qui évitent le combat. Les fantassins lourds en ordre serré s'avèrent inefficaces pour chasser des brigands. Les troupes frontalières sont les premières à s'adapter à la guérilla. L'une des façons de neutraliser les Barbares consiste à les intégrer dans l'armée romaine : dans le dernier quart du IVe siècle, les Barbares forment désormais plus de la moitié de l'armée romaine. L'arrivée des Goths en 376 accentue la barbarisation de l'armée. Intégrés tardivement et dans des conditions honteuses pour les Romains, les Goths deviennent un foyer permanent de sédition. La première rupture intervient en 391 Alaric et les Wisigoths désertent.

Quid au IXe siècle ? Les mesures de mise en défense militaire réapparaissent pendant la deuxième grande période de migrations. Après une phase de passivité face aux invasions des Normands, les populations mettent en place une défense territoriale pour empêcher les pillages. Entre 862 et 879, c'est Charles le Chauve qui prend l'initiative. Au cours de plusieurs assemblées, il s'efforce de convaincre ses sujets de la nécessité de défendre le royaume contre l'agresseur. L'effort est porté sur les vallées de la Seine, de la Marne, de l'Oise, en vue de protéger la région parisienne. De leur côté, les Anglo-Saxons barrent l'accès de rivières et édifient des ponts. Alfred, roi du Wessex, s'affaire à la défense civile et militaire de son territoire, sur terre et sur mer : il réorganise les milices paysannes, les fyrd, lève une armée qui reste mobilisée en permanence, équipe une flotte pour affronter les Vikings en haute mer; et surtout, il fait ériger une série de forteresses, les buhrs, d'un bout à l'autre du royaume. Toutefois, la mise en défense militaire doit être accompagnée d'une politique d'assimilation pour être pleinement efficace.

À suivre

Les commentaires sont fermés.