Nul n’a engendré autant de clichés que le roi des Huns. Une historienne montre aujourd’hui que le chef nomade, tout en combattant l’Empire romain d’Orient ou celui d’Occident, devait beaucoup à Constantinople et à Rome.
Attila ? Le sauvage venu des confins du monde, l’envahisseur sanguinaire dont le passage du cheval empêche l’herbe de repousser. Jusqu’aux années 1960, les manuels scolaires unanimes reprennent l’image d’Epinal, lointain héritage de la chevauchée guerrière qui, au milieu du Ve siècle, mena « le fléau de Dieu » jusqu’à la Loire. C’est d’ailleurs au haut Moyen Age que « la hantise de l’Autre, barbare et cruel, s’est cristallisée autour de la figure du roi des Huns », explique Edina Bozoky *. Maître de conférences en histoire médiévale à l’université de Poitiers, cette chercheuse est d’origine hongroise. Or, dans le pays de ses aïeux, Attila est un héros national dont le nom, aujourd’hui encore, est un prénom populaire.
Cet hiatus entre la vision du personnage en France et en Hongrie a incité l’historienne à écrire un livre passionnant. S’appuyant sur une lecture nouvelle des sources et sur l’examen des restes archéologiques, l’auteur donne de la figure d’Attila et de la culture des Huns une interprétation qui bouscule les clichés.
Vers l’an 370 de notre ère, les Huns franchissent la Volga, à l’est de laquelle ils vivaient jusque-là, occupent le territoire des Alains, puis s’attaquent aux Goths, entre le Don et le Danube. Si les Ostrogoths se soumettent, les Wisigoths fuient, tout comme les Vandales, les Suèves, les Burgondes ou les Alamans. C’est donc sous la pression des Huns que les peuples barbares se mettent en branle, au début du Ve siècle, déferlant sur l’Empire romain. Un empire qui, au gré des circonstances, les repousse ou leur fait place. Or, ce que montre l’ouvrage d’Edina Bozoky, c’est que les Huns n’étaient pas pires que les autres.
Avant Attila, l’empire hunnique recouvre un immense domaine aux frontières variables, où les peuples dominés sont plus ou moins autonomes. Entre Huns et Romains, entre 400 et 450, les rapports peuvent être cordiaux, les Romains utilisant parfois les Huns comme mercenaires contre les Germains. Eleveurs de bovins et de chevaux, artisans habiles, ces pasteurs-guerriers, nomades à l’origine, sont en voie de sédentarisation. Ils restent cependant des cavaliers exceptionnels et des combattants redoutables, forts de leur maîtrise de la combinaison entre l’arc, la selle et l’étrier.
Des compagnons d’origine grecque ou romaine
Né vers 395, Attila est un neveu du roi Ruga. En 434, à la mort de celui-ci, le pouvoir passe à Bleda, le frère d’Attila, qui est associé au gouvernement. Avec l’Empire romain d’Orient, les deux frères négocient d’importants traités. Une politique que poursuit Attila après qu’il a éliminé son frère, vers 444 ou 445.
Grâce au témoignage de Priscos, un ambassadeur de Constantinople, venu rendre visite au nouveau roi, en 449, nous possédons son portrait : petit, vigoureux, Attila est de type mongol. L’ambassadeur a aussi laissé une description de la cour des Huns, établie quelque part au-delà du Danube. Certaines de ses caractéristiques ont émerveillé l’envoyé de Constantinople, observe Edina Bozoky, car elles rapprochaient le monde hunnique de la civilisation romaine. Attila parlait le hunnique, apparenté aux langues turques, mais aussi la langue des Goths, le grec et le latin. Il possédait par ailleurs de nombreux compagnons d’origine grecque ou romaine.
Attila règne alors sur un territoire qui s’étend de la Pannonie, l’ouest de l’actuelle Hongrie, à la mer Caspienne. Par deux fois (441-443 et 447-449), il envahit l’empire d’Orient auquel il impose des tributs considérables. En 450, après la mort de Théodose II, le nouvel empereur, Marcien, ne veut plus s’en acquitter. Le roi des Huns se tourne par conséquent vers l’Empire romain d’Occident. Honoria, la soeur de l’empereur Valentinien III, écartée du pouvoir, cherche d’ailleurs son appui, au point de lui envoyer un anneau de fiançailles. Mais l’entourage de la princesse s’oppose à ce projet. Attila en tire prétexte, en 451, pour lancer une expédition punitive contre l’empire d’Occident.
C’est cette campagne qui a marqué l’imaginaire occidental, installant durablement la légende d’Attila, le féroce barbare. Cologne, Metz (ville incendiée le 7 avril), Reims, Paris (qui résiste sous l’impulsion de sainte Geneviève), Orléans : pendant quelques semaines, Attila et ses troupes sèment la désolation. C’est seulement fin juin, alors que les Huns sont sur le chemin du retour, que l’armée romaine, dirigée par Aetius et alliée aux Wisigoths, aux Burgondes et aux Francs, contre-attaque. Au cours de l’été ou de l’automne 451, la célèbre bataille des champs Catalauniques, qui s’est probablement déroulée à quelques kilomètres de Troyes, est un échec pour Attila. Mais si ce dernier poursuit son repli, il n’a pas perdu le gros de ses forces. L’année suivante, le roi des Huns mène donc une nouvelle campagne en Italie où, arrêté par une ambassade du pape, il épargne Rome.
Chaque époque possède son Attila
Encore l’année suivante (453), il prépare une nouvelle expédition, contre l’empire d’Orient, cette fois. Au cours de sa nuit de noces avec une des multiples épouses qu’il aura eues, Attila trouve cependant une mort sans gloire, étouffé par une hémorragie nasale.
De ce guerrier qui n’était au fond pas plus barbare que d’autres, et peut-être moins, la légende fera le monstre que l’on sait. La littérature (du Chant des Nibelungen à la tragédie de Corneille), la peinture (de Raphaël à Delacroix), la musique (l’opéra de Verdi) ou le cinéma (Anthony Quinn, 1954) prolongeront le mythe. « Chaque époque, chaque pays se fabrique un Attila à son image », souligne Edina Bozoky. Et pour nous, aujourd’hui, qui est donc Attila ?
Jean Sévillia
* Attila et les Huns. Vérités et légendes, d’Edina Bozoky, Perrin.
https://www.jeansevillia.com/2015/04/11/attila-un-barbare-civilise/