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Une thèse iconoclaste La survivance d'hominidés archaïques

L’existence d'un hominidé différent de l’Homo sapiens sapiens vivant quelque part en Asie centrale n'a pas retenu l'attention des scientifiques, à quelques exceptions près, dont les paléoanthropologues Yves Coppens et Anne Dambricourt-Malassé qui avaient encouragé les recherches du naturaliste Jordi Magraner Retour sur une aventure humaine et scientifique.

Dans les années 1990, le naturaliste et herpétologiste Jordi Magraner a conduit plusieurs expéditions dignes d'Indiana Jones - à mi-chemin de la recherche scientifique et de l'équipée sauvage - dans l'environnement extrême des montagnes de l'Hindou Kouch, entre Pakistan et Afghanistan. Accompagné d'un photographe de terrain et d'un historien (le futur écrivain Erik L'Homme), Magraner donnait corps à un rêve : partir sur les traces de l'homme pongoïde révélé en 1974 par le zoologue Bernard Heuvelmans dans son livre L'homme de Néandertal est toujours vivant.

Heuvelmans, fondateur de la cryptozoologie, est à l'origine de la thèse des hominidés reliques selon laquelle de grands hominidés et de grands singes non répertoriés auraient survécu au-delà de la préhistoire et coexisteraient aujourd'hui fort discrètement avec l'homme, dans des zones isolées.

Fasciné par cette thèse, Jordi Magraner n'a eu de cesse de monter des expéditions pour tenter de débusquer la vérité. On retrouve la description (parcellaire) de ces expéditions dans la biographie du Catalan Gabi Martinez, L'histoire vraie de l'homme qui cherchait le éti (Autrement, 2013) et dans le récit de voyage d'Erik L'Homme, Des pas dans la neige (Gallimard, 2010).

Conscient des controverses dont la cryptozoologie faisait l'objet, Magraner a mis en place une démarche scientifique rigoureuse, élaborant un questionnaire très précis sur l'anatomie présumée de l'Homme sauvage, se fondant sur les travaux d'Heuvelmans et les protocoles utilisés en zoologie. Il s'est également appuyé sur les recherches consacrées à l'« Almasty » (homme sauvage velu), effectuées au Pamir dans les années i960 par l'historien russe Boris Porchnev et sur celles plus tardives du médecin russe Marie-Jeanne Koffmann au Caucase, sans oublier les travaux du préhistorien tadjik Vadim Ranov qui a mis en évidence le cas particulier de l'Asie centrale dans les mouvements de population préhistoriques et l'existence d'isolats archaïques tardifs (Guissar-Markansou).

S'il a toujours privilégié les activités de terrain (son intention était d'entrer en contact avec un hominidé relique), il n'a pas négligé les enquêtes auprès des populations locales, ce qui a débouché sur une belle et tragique aventure humaine puisque Jordi Magraner choisit, à la fin de sa dernière expédition, de rester vivre dans les montagnes pakistanaises où il fut assassiné par les Talibans le 2 août 2002.

À quels résultats ce scientifique original et marginal est-il parvenu ? Dans la lignée des recherches de Boris Porchnev au Pamir, plusieurs dizaines de témoignages solides ont été relevées auprès des populations fréquentant les versants pakistanais et afghans de l'Hindou Kouch; témoignages qui viennent s'ajouter à une liste déjà longue évoquant, dans une vaste région dont le Pamir est l’épicentre, des hommes d'anatomie archaïque, protocromagnoïdes ou spécifiques à la zone.

Grâce aux détails fournis par les questionnaires, à d'étranges cris entendus dans les montagnes pakistanaises et à l'intuition de la paléoanthropologue Anne Dambricourt-Malassé (découvreuse du rôle central de la contraction cranio-faciale dans le processus d'hominisation), Jordi Magraner a pu développer la théorie du « sac vocal » chez le Néandertalien, un dispositif phonatoire permettant une communication (par sons gutturaux) sur de grandes distances; Dambricourt et Magraner ont exposé cette théorie en 1992 devant la Language Origin Society de Cambridge qui s'est montrée enthousiaste.

En reprenant à son compte la thèse de Bernard Heuvelmans sur la survivance contemporaine d'hominidés archaïques (hominidés qui seraient peut-être les représentants d'une humanité différente de la nôtre), Jordi Magraner s'aventurait sur un terrain doublement miné par l'idéologie et le carriérisme. Peut-être que les théories qu'il défendait étaient celles d'un rêveur d'un illuminé ? - mais elles méritent d'être posées aux scientifiques qui, dans leur grande majorité, prisonniers des modèles sur lesquels ils ont bâti leur carrière, les ignorent avec dédain.

En essayant de sortir des fantômes de la brume où beaucoup aimeraient les voir rester, Jordi Magraner, au-delà de toute ambition paléoanthropologique, a touché aux rivages profonds du mythe et de la poésie. Là où restera, à jamais sans doute, le mystère des origines.

Éric Grollet éléments N°159 mars-avril 2016

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