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Court-circuit ou circuits courts ? Où vont les paysans ? (texte de 2015)

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Entretien avec Michel Collin

La tension monte dans nos campagnes. Des centaines d'éleveurs ont engagé depuis le début de l'été des actions coup de poing. Ils protestent contre l'effondrement des prix de vente de leurs produits et appellent le gouvernement à agir. Un plan d'urgence de 600 millions d'euros est mis en place… Mais cela n'arrêtera pas pour autant l'endettement à outrance et les exploitations trop grosses. Et si la vraie (et moins onéreuse) solution se trouvait dans un changement de modèle économique ? Est-il possible à l'heure de la toute puissance européenne, de changer, en France, de modèle paysan ? Certains, de plus en plus nombreux, ont de bonnes raisons d'y croire. Rencontre avec l'un d'entre eux, Michel Collin, ingénieur agricole.

Monde&Vie : Les productions de lait de vache, de viande de porc et de viande de boeuf sont en crise. Aujourd'hui, ces éleveurs ne parviennent plus à couvrir leurs coûts de production, et encore moins à se payer. L'agriculture paysanne est-elle étranglée par l'Europe ? La réforme de la PAC (Politique Agricole Commune) a-t-elle servi à quelque chose ? Où sont les vrais coupables ?

Michel Collin : L’agriculture dominante aujourd'hui en France n’est pas l'agriculture paysanne. D'ailleurs, le terme de paysan est rejeté par beaucoup de producteurs qui ont voulu être appelés agriculteurs. À une époque, le métier a tenté de se revaloriser socialement en mettant en avant sa technicité, son lien à la machine et cela au détriment du lien avec le terroir, le pays.

Mais à la fin des années 90, des paysans « alternatifs » fédérés dans l’association FADEAR (liée à la Confédération Paysanne ont donné une définition de l'agriculture paysanne : une agriculture respectueuse de l’environnement, qui partage la gestion et la valorisation des ressources naturelles entre un maximum de paysans cherchant à créer de l'emploi), qui vise l'autonomie des fermes, la production d'aliments de qualité, raisonne à long terme et de manière globale, etc. Aujourd'hui, c'est souvent l'agriculture biologique ou celle que l’on retrouve dans les circuits courts ou la vente directe qui a adopté ce modèle paysan.

Pour répondre à votre question, on ne peut pas dire que l'Union européenne étrangle l'Agriculture paysanne puisque l'Europe de Bruxelles a toujours méprisé et délaissé cette forme agriculture. L'idéal de l'agriculture paysanne, c'est de créer le plus de richesse, dans un système durable, sur une surface la plus petite possible, de manière à partager la terre. La PAC, depuis 2003, paye des subventions en fonction des surfaces : il faut acquérir (ou cultiver) le plus de terres possibles pour toucher le plus de subventions de la PAC. De plus, les fermes trop petites, en deçà d'une superficie minimale, sont exclues de différentes subventions. Stéphane Le Foll, notre ministre de l’Agriculture, a récemment communiqué sur une surprime qu'il a voulu mettre en place pour les premiers hectares : cette mesure est censée favoriser les petites fermes. Mais la surprime est faible, et la différence ridicule, sans effet notable.

Aujourd'hui, c'est la logique libérale qui étrangle l’agriculture conventionnelle, et ceci, malgré une PAC dispendieuse. On est simplement à un palier, dans une continuité vers une agriculture dont les principaux bénéficiaires sont les banquiers et les multinationales ! On fait croire aux agriculteurs que pour s'en sortir, ils doivent s'agrandir pour faire des économies d'échelles; s'endetter pour avoir de meilleures machines pour gagner en productivité travailler plus, pour gagner plus. Les légions d'agriculteurs qui ont fait faillite, et plus tragiquement, ceux qui se sont suicidés après l'échec de leur entreprise, sont là pour démontrer la stupidité de ce système, dans lequel tout gain de productivité est capté par les banques (se ré-endetter pour échapper, ensuite, à l'impôt) ou par les acheteurs. De toutes façons, les agriculteurs n ont qu'un pouvoir de négociation très réduit, y compris dans les coopératives qui sont devenues des multinationales, oubliant tout de l'idée de la coopération.

L'État, en serviteur des multinationales et du libéralisme, montre aujourd'hui, comme il l'a montré hier, qu'il n'a aucune intention d'agir de façon notable pour protéger les faibles dans le rapport de force. Ce n'est pourtant qu'une question de volonté politique puisque les moyens sont là, dans les budgets colossaux de la PAC.

Pour vous, au fond, les paysans qui manifestent souffrent d'une sorte de syndrome de Stockolm ? Ils vénèrent le système qui les tue ?

Oui exactement. Bien qu aujourd'hui je me sente solidaire des souffrances des éleveurs atteints par la crise, je dois dire qu'il est terriblement triste que ces éleveurs n'aient pas ouvert les yeux plus tôt sur l'absurdité du système dans lequel ils étaient engagés, et ne se soient pas plus intéressés aux pionniers de l'agriculture de demain qui ont aujourd'hui produit de solides références dans bien des productions. La FNSEA, syndicat majoritaire, est présidé par un homme qui est par ailleurs président du groupe multinational Avril-Sofi-protéol, notamment leader des huiles et des protéagineux (au chiffre d'affaire de 7 milliards d'euro). Ce groupe, dans la recherche de son intérêt, développe ses activités à l’étranger (pratiquant au passage le rachat de sociétés notamment africaines qui produisent sur des terres qui pourraient être cultivées par des paysans sans terre africains). Par des efforts de dialectique formidables, ils cherchent à faire passer le message que les productions de l'étranger ne" viendront pas concurrencer les productions des agriculteurs français…

Syndrome de Stockholm aussi parce que les agriculteurs se battent pour faire durer un système qui les fera mourir demain et engraisse leurs maitres. Le cas de la ferme des mille vaches montre que nous ne sommes pas au bout de la logique d'industrialisation de l'agriculture qui achève les agriculteurs. Dans cette usine, la production agricole (laitière en l'occurrence) n'est qu'un « déchet » de l'activité de production d'énergie. Le modèle économique de cette usine est basé sur la vente de l'énergie (faite à partir des bouses de vaches). Résultat ? Le lait peut être bradé, cassant totalement les prix pour les producteurs survivants des alentours.

Mais au-delà de cela, les agriculteurs doivent eux-mêmes reconnaitre que le modèle agricole n'est plus du tout en phase avec les problématiques d'aujourd'hui les enjeux pour la France sont la création d'emplois (le présent modèle continue de détruire des emplois), l'inversion de la tendance de dégradation des ressources naturelles et de l'environnement, de la perte de biodiversité. L'enjeu est aussi d'imaginer le développement des territoires en redonnant sa place au monde rural l’agriculture paysanne, qui créé de l'emploi en zone rurale, ramène la vie dans les campagnes elle peut largement contribuer à relever l’ensemble de ces défis. Les paysans qui manifestent, au lieu de défendre cette vision, ne veulent rien changer au modèle agricole, mais veulent plus d'argent, plus de subventions.

À l'inverse, les paysans en agriculture biologique et vente directe, par exemple, ne sont pas dans la rue ! Ils sont dans un système où ils maîtrisent leur prix de vente.

La course à la productivité et l'agrandissement permanent des exploitations auraient donc amené les agriculteurs à un point de non-retour ? Pourtant selon le président de la FNSEA, Xavier Beulin(1), la solution est à portée de main « il suffirait d'investir 3 milliards d'euros sur trois ans pour que l'agriculture française "retrouve la compétitivité perdue", face à certains de ses voisins européens ». Mais est-ce vraiment de cela dont le monde paysan a besoin ?

Il ne faut pas oublier que l'enveloppe du Pacte d'avenir pour la Bretagne, débloquée par le gouvernement l’année dernière pour acheter la paix avec les bonnets rouges n’est pas finie de dépenser et déjà la FNSEA demande plus d’argent n’est ce pas un aveu d'échec de la « solution subvention » ? Les paysans doivent et veulent vivre de leur travail ! De la vente de produits sains et bons.

Ces débats sur la compétitivité sont très malsains. Aujourd'hui, les leaders de la FNSEA en appellent au patriotisme, ou du moins, au civisme des Français en leur demandant d'acheter français pour que les éleveurs puissent s'en sortir. Mais soyons cohérents ! Notre modèle d'élevage est basé sur l’exportation. Les paysans français, concurrencés par les Allemands aujourd'hui, nous demandent de les aider à aller concurrencer les producteurs d'autres pays moins « compétitifs » ou plutôt vivant dans d'autres réalités économiques et moins subventionnés). Ainsi, j'ai rencontré des paysans sénégalais qui m’expliquaient que pour couvrir leurs coûts de production et vivre, ils vendent leur lait deux fois plus cher que le lait reconstitué à partir de poudre de lait venant de France (poudre produite avec les subventions européennes). Notre modèle d'élevage empêche les paysans sénégalais de développer leurs campagnes, de produire leur lait, de créer de l'emploi et un avenir sur leur territoire ! J'ai aussi rencontré des paysans qui ne pouvaient vendre leurs volailles aux Comores, selon la même logique.

Le modèle agricole amène une grande iniquité sur le plan international, on ne peut plus faire l’économie d'une mise à plat totale. Il est temps d'amorcer une transition vers une agriculture durable, saine, en phase avec les défis de son temps. Il y a un gisement d'emplois formidable dans l'agriculture biologique, de nombreuses études ont aujourd'hui démontré que l'agriculture biologique peut produire suffisamment dans un modèle agricole qui ne va pas concurrencer les producteurs d'autres pays, grâce à tous les savoirs acquis, notamment depuis 25 ans.

Les solutions d'un Xavier Beulin ne sont qu'une fuite en avant, ne remettant pas en cause le modèle libéral. Et comme pour achever définitivement la rupture entre les Français et le monde agricole, le voilà qui demande un moratoire sur les normes environnementales ! Pour Beulin, l’objet d'une norme est de nuire aux producteurs, de les faire payer plus et gagner moins. Comme si les normes ne venaient pas des réalités apprises par l'observation, à partir de l’évolution de nos écosystèmes, comme s'il ne fallait rien faire de la connaissance acquise concernant l’effet de certains poisons sur nos organismes, sur les bébés et les fœtus… Pour Beulin, rien ne peut se mettre en travers d'une multinationale rien ne doit s’opposer à une agriculture construite sur cette idéologie libérale, dont nous savons qu’elle est mortifère.

Le bio, les circuits courts, ce modèle dont vous parlez, peut-il être autre chose qu'un modèle alternatif ? Peut il s'appliquer à toutes les cultures / élevages sans risques de famine ?

Les circuits courts, c'est une large gamme de solution, de la vente directe à des magasins avec quelques intermédiaires. Il existe donc des solutions pour tout type de consommateurs. En ce qui concerne la crainte de la sous production en agriculture biologique, je vous renvoie aux ouvrages de Jacques Caplat qui a démontré l’adéquation entre les besoins en France et les potentialités offertes par l'agriculture biologique. Cette peur de manquer est surtout instrumentalisée depuis longtemps par les industriels bénéficiaires du modèle actuel mais est très loin des réalités étayées par la recherche. Mais soyons clair, les choses ne sont pas simples : le modèle viable du système paysan de demain est facile à imaginer, mais l’enjeu est dans la transition qui est possible, mais nécessite une volonté politique forte, la création d'un environnement favorable à ce type d'agriculture. Ce n’est pas utopique puisque les moyens de la PAC sont là (10 milliards pour la France en 2009). 

1). Journal du dimanche (JDD 23 août 2015).

Propos recueillis par Élise Canavesio monde&vie 3 septembre 2015 n°912

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