Les historiens du futur verront d’un œil amusé cette querelle sur la déchéance de nationalité. Elle réveille en effet au sein de la pensée qualifiée « de gauche » d’infranchissables crevasses.
Il n'a pas été assez souligné que l'un des premiers hommes d'État à soutenir une telle mesure fut Jean-Pierre Chevènement. Cela est logique pour le républicain intransigeant qu'il a été. Pour lui, bon disciple de Rousseau, la nation étant un lien civique de droits et de devoirs, le refus d'allégeance vaut bannissement. C'est d'ailleurs le sens des articles 23-7 et 23-8 du code civil. Comment une application si parfaite d'une pensée classiquement républicaine, peut-elle avoir fait couler autant d'encre à gauche ?
Il faut se rappeler que ce qui informe la pensée de gauche aujourd'hui, ce n'est plus le républicanisme rousseauiste mais le droit-de-l’hommisme multiculturaliste. Dans cette gauche post-moderne, à la fois aiguillon et pointe avancée des différents courants anglo-saxons, c'est le principe même de nationalité comme celui de la famille d'ailleurs, qui doit être dissout comme nous l'expliquait il y a quelques jours, doctement, l'idéologue Jean-Loup Amselle, l'homme qui veut enseigner l'islam aux frais de l'État. Christiane Taubira n'est que le réceptacle politique de cette lente décadence libertaire.
Quand elle fait état des difficultés juridiques autour de l'apatridie, Christiane Taubira cache sa haine profonde du fait national. En réalité, elle participe d'un gouvernement qui hante plus qu'il n'habite les Palais nationaux et qui instrumenta-lise les symboles (celui de la nationalité) dans un but de strict calcul électoral. Christiane Taubira invoque les Convention sur les statuts d'apatrides de 1954, elle se retranche derrière la Convention de l'ONU de 1961, la Cour Européenne des droits de l'Homme et la CJCE. Elle démasque ainsi nos véritables ennemis et la première urgence qui n'est pas seulement d'appliquer enfin la loi française, mais de rétablir le double ordre juridique que l'ordre juridique international ne pénètre plus par effraction dans le nôtre.
État d'urgence et compagnie, on veut nous faire croire que la déchéance de nationalité fait partie d'une panoplie sécuritaire et l'on ne cesse d'épiloguer sur le caractère dissuasif ou non dissuasif de la déchéance de nationalité. Mais là n'est pas la question. La question est politique et non sécuritaire. Ce n'est pas pour les dissuader que nous devons déchoir les djihadistes, c'est pour les séparer et ressouder notre nation sur ceux de ses fils qui n'entendent pas la trahir. En les rendant dans la plupart des cas à des nationalités perpétuelles comme celles des États du Maghreb nous ne ferions qu'acter leur volonté de se séparer de nous, avec la déchéance de droits que cela doit comporter.
Déchéance ou indignité
Mais que faire de ceux des nôtres qui trahissent leur terre, les convertis à l'islam et au djihadisme ? Les juristes de la France Libre avaient réglé cette question, il y a longtemps. Pour éviter une épuration trop violente, ils avaient collecté dans le vieux fond des idées révolutionnaires la notion d'indignité nationale. Celle-ci fait de la personne condamnée quelque chose se rapprochant du statut médiéval dit de main morte, dans lequel le serf, privé du droit de tester et de transmettre, n'a que l'usufruit d'un bien qu'il ne pourra léguer qu'en ligne directe. Analogiquement, celui qui est frappé d'indignité nationale, privé des droits civiques et de plusieurs droits économiques et judiciaires, garde la nationalité, mais ne peut plus l'exercer en citoyen actif. Il est intéressant de souligner que M. Urvoas, le nouveau garde des Sceaux, n'aime pas cette peine qu'il juge trop dure, comme Marine le Pen d'ailleurs.
Malheureusement nous n'aurons pas le choix. Comme l'a montré récemment Jacques Sapir, dans un ouvrage magistral, Souveraineté, démocratie, laïcité (éd. Michalon, 2015), il nous faut redéfinir notre communauté politique pour que survive la France. Pour cela elle doit savoir qui sont les siens. Une nation c'est aussi une grande famille et il arrive pour le bien de tous qu'il faille éloigner quelqu'un, voire le renier. Ainsi le djihadiste. Bien sûr, nous pourrions dire que c'est un pouvoir très lourd dans les mains de l'État mais malheureusement le déferlement de sauvagerie qui nous guette ne nous laissera peut-être pas le loisir de ce genre de spleen. Si l'on ne veut pas laisser la France se dissoudre dans l'anarchie et la guerre des communautés, il faudra à un moment incarner véritablement l'État y compris dans sa dureté. Jacques Sapir, piochant le sociologue Max Weber, n'hésite pas à parler de la dictature, qui, chez les vieux Romains, renforçait, pour un temps, le pouvoir républicain. Il voit « le rôle positif que peut jouer pour un rétablissement démocratique l'autorité charismatique », « celle d'un grand général ou d'un grand tribun » qu'il oppose à « l'autorité bureaucratique » (p. 302-303). Il est bien évident que ce grand homme n'est pas François Hollande. Mais seule une telle autorité peut appliquer réellement la déchéance de nationalité ou l'indignité nationale.
André Ringwald monde&vie 24 février 2016 n°920