Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

On nous a changé toute la campagne ! (texte de 2016)

Phénomène préoccupant, le mitage désigne l’inéxoble avancée des zones aménagées ou construites au détriment des terres arables. Devant cette situation, l’agriculteur s’affirme plus que jamais le gardien de nos paysages.

Il y a plus d'un mois, ou apprenait que le château de Grignon, à 25 kilomètres à l'Ouest de Paris, occupé par l'AgroParis-Tech, risquait d'être vendu par l'État au Qatar qui envisage d'utiliser le site comme centre d'entraînement pour le club phare du Foot français, le PSG. Anecdote sans importance ?

La vente de cet immense domaine agricole aux stars du foot ne semble pas s'imposer. Le président de la Chambre d'agriculture Christophe Hillairet met le doigt là où ça fait mal : « le futur site du PSG doit consommer le moins possible de terres agricoles ». Une association de défense a été constituée. Elle s'insurge. Trop, c'est trop. « L'État veut vendre ce fleuron de notre agriculture, avec son château Louis XIII, son parc de 300 ha, ses amphis, ses laboratoires, ses champs d'expérimentation. Il faut empêcher cette énorme faute ». Vente ou pas vente : la question est aujourd'hui en débat et pour l'instant, ce sont des milliers de mètres carrés qui échappent au béton des parkings et des aménagements de toutes sortes. Pour combien de temps reculera le mitage de ce domaine agricole emblématique ? En 2004, déjà, les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) tiraient la sonnette d'alarme, en dénonçant ouvertement le mitage dans un livre blanc, intitulé « La fin des paysages ». L'étude soulignait les différents problèmes et pointait les dangers pour différentes populations, habitants ou même touristes. Le mitage ne correspond pas seulement à la disparition de la campagne : il met en jeu un certain nombre de traits de l'identité d'un pays, une identité qui passe notamment par la ruralité, qu'il s'agisse de sa gastronomie, de ses paysages ou de ses traditions. En réalité, le mitage révèle aussi l'une des évolutions notables de la population française, aussi importantes que celles qui ont eu lieu après la Deuxième Guerre mondiale. Ainsi, le terme « rurbains » s'est popularisé, à tel point que le géographe Christophe Guilluy oppose non pas les urbains aux ruraux, mais les habitants des grandes villes aux habitants de ce qu'il nomme le péri-urbain- Nous appelions cela autrefois la campagne… Tenter d'avertir sur cette inexorable gâchis des terres ? Cela ne sert à rien, le phénomène est diffus, pas vraiment organisé, ce qui rend les pouvoirs publics impuissants.

Le mitage, ce n'est pas d'abord la France profonde, mais bien ces espaces proches des villes qui ont été transformés. Les Franciliens le savent bien. Témoin, un département comme la Seine-et-Marne. Il y a encore quelques décennies, les villes situées à l'est de la ligne A du RER passaient pour de paisibles villages ruraux. Aujourd'hui, les noms des stations évoquent une vaste agglomération qui n'est pas tout à fait la ville, mais qui n'est plus la campagne… Certaines zones deviennent de véritables réservoirs. Ce qui a affecté les départements de la petite couronne, il y a quelques décennies touche maintenant le Val d'Oise, l'Essonne, la Seine-et-Marne et les Yvelines. Le mitage aboutit à des situations cocasses : les tracteurs qui roulent à petite vitesse, doivent passer par la ville pour rejoindre des champs qui se trouvent, eux-mêmes enclavés… On imagine tous les désagréments que cela peut susciter.

Arrêter le grignotage !

Comment traiter un phénomène aussi radical, lent et diffus ? Il faudrait par exemple interdir totalement les nouvelles constructions dans le domaine agricole, pour arrêter le grignotage. Mais une telle décision est politiquement inenvisageable, donc irréaliste. Bien au contraire, le pouvoirs publics, notamment confrontés au demandes de logement ou à la nécessité de faire venir des investisseurs, poussent à la construction; ils cherchent à alléger les normes relative à la constructibilité. Quant aux élus locaux, il sont obsédés par la question du foncier disponible : les zones rurales constituent un réservoir idéal pour s'étendre et s'équiper.

En fin de compte, ce sont les ruraux eux-mêmes qui cherchent à créer de petites villes à la campagne. La vraie question se pose au niveau de l'imaginaire de nos sociétés. Le consumérisme se nourrit encore d'une image de l'urbain épanoui, la campagne n'étant qu'un lieu de retrait pour les « has been ». Disons-le : la vie rural n'attire pas. C'est peut-être par une décolonisation des imaginaires que pourraient être trouvées des solutions. Mais cela suppose beaucoup de courage, et cela met en cause l'ensemble de la population.

François Hofiman monde&vie 16 mars 2016 n°921

Les commentaires sont fermés.