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L'infréquentable Marcel Gauchet 1/2

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Figure majeure de la vie intellectuelle française, l'historien et philosophe Marcel Gauchet publie Comprendre le malheur français, radioscopie saisissante du déclin français et véritable acte de dissidence.

Il se passe quelque chose d'historique dans la vie intellectuelle française, dont atteste le dernier livre de Marcel Gauchet. Le rédacteur en chef du Débat compte parmi les personnalités les plus influentes de la sphère éditoriale. Pilier de la maison Gallimard, directeur d'études à l'EHESS, il a ses entrées dans tous les médias, auprès de tous les politiciens. Anarchiste dans sa jeunesse, il s'est vite rangé à une gauche réformiste, libérale et antitotalitaire. On le présente comme un « soutien critique » du parti socialiste. Seulement voilà, ce « gendre idéal » de la gauche, qui fête tout de même ses 70 ans, manifeste ouvertement son ras-le-bol contre le système politico-médiatique ! Déjà accusé en 2002 de faire partie des « néoréactionnaires », il s'est retrouvé au centre d'une polémique en 2014 lors des « Rendez-vous de l'histoire » de Blois, sous prétexte qu'il devait y prononcer la leçon inaugurale sur le thème des « rebelles ». Libération avait bien sûr largement relayé cette vaste opération de lynchage.

Aujourd'hui, Gauchet règle ses comptes. Dans Comprendre le malheur français, il analyse la lente déliquescence politique, sociétale et culturelle entamée depuis au moins quarante ans. Étape par étape, il observe les racines du phénomène : Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy et Hollande ont tous été des fossoyeurs de la République. La France s'est vendue à la mondialisation au nom de l'européisme, entérinant une rupture définitive entre les élites boboïsées du sans-frontiérisme et un peuple toujours soucieux d'enracinement. Nos politiciens ont joué un rôle crucial dans cette débandade, ainsi que nos universitaires et nos journalistes.

Les médias « ne parlent pas des vrais problèmes, sinon sur un mode complètement biaisé » (p.14). Pour ceux d'en haut, l'immigration est un bienfait incontestable, et tous les gens d'en bas qui s'en plaignent sont des « racistes ». Mais, en réalité, les Français n'ont rien contre les immigrés : ils savent juste que « s'ils mettent leurs enfants dans une école où il y en a une proportion importante, le niveau sera misérable » (p.18). Alors que les nantis rêvent d'une vie nomade vouée à la gouvernance globale, le peuple conserve la nostalgie de structures intermédiaires et traditionnelles. Entre les élites et les citoyens de base, la fracture n'est donc pas seulement sociale, mais morale ils n'évoluent plus du tout dans le même monde. « L'antiracisme ainsi compris va être la pointe émergée d'un phénomène de mentalité beaucoup plus diffus, beaucoup plus large, où toute une série de valeurs libérales acquièrent une identité de gauche. [...] Il faut être ouvert sur tous les plans [...]. Le repoussoir par excellence, c'est la fermeture, aussi bien économique que politique ou migratoire » (p.133).

La gauche a été la tête de pont de cette bien-pensance obligatoire comme elle renonçait de plus en plus à l'idéal d'égalité, elle s'est rachetée une conduite en substituant un discours moralisateur à ses vieilles utopies économiques. Au lieu de parler de lutte des classes, elle parlait de métissage. Au lieu de défendre le prolétariat, elle détruisait la famille et l'école. Au lieu d'être anticapitaliste, elle devenait antifasciste et antiraciste. Au lieu de promouvoir la démocratie, elle lui préférait une technocratie bruxelloise autoritaire. « La greffe s'effectue sur fond d'internationalisme, lequel se recycle à merveille dans la cause européenne, puis dans le cosmopolitisme multiculturel, en pleine affinité avec le climat de globalisation économique en train de s'installer. Le libertarisme fournit le moyen d'entrer dans le libéralisme en gardant sa bonne conscience ». Comme le parti socialiste, l'extrême gauche elle-même a fini par renoncer à la révolution, dès les années 1980, mais a tenté de faire bonne figure en maintenant bien « haut le drapeau de l'antifascisme » (p.126).

On ne se soucie plus aujourd'hui de la haute culture, de l'engagement citoyen, de la République. « D'un côté, il y a le monde, de l'autre, les individus, et rien entre les deux, plus de nations, plus de peuples, plus d'institutions ». Toute idée de grandeur, d'intelligence, de dévouement au service de la cité est remplacée « par l'horizon du mélange général, de la diversité heureuse, du métissage universel » (p.128). Les bobos sont entrés en scène, « ils ont remplacé la classe ouvrière » (p.131). Cela fait écho à un changement profond dans le personnel de la gauche : « Les beautifulpeople à bons sentiments remplacent les doctrinaires un peu austères qu'on affectait de révérer auparavant. Pierre Berge et BHL plutôt que Poperen et Chevènement » (p.130). Pour le parti hollandiste, le « socialisme » n'est plus qu'une étiquette politique sans véritable contenu doctrinal. On préfère d'ailleurs parler de « gauche » plutôt que de « socialisme », y compris à la « gauche de la gauche ». « Car s'agissant de concevoir ce que pourrait être une société socialiste, la panne est générale » (p.159).

À suivre

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