Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Du culte des grands principes à l’égo-culture

La question des droits de l’homme est au cœur du fonctionnement de notre république. On peut dire que la fameuse déclaration du même nom sert de principe à ceux qui n’en ont plus et de religion à notre société matérialiste.

C’est la découverte de l’Amérique au XVIe siècle, qui a été décisive dans la lente élaboration des droits de l'homme. En cinglant par hasard vers ces terres occidentales, Christophe Colomb a découvert de nouveaux humains, qui n'avaient aucun rapport, aucune relation ni avec l'Europe, ni non plus avec l'Orient.

Des hommes absolument étrangers au monde connu, qui font figure d'extra-terrestres, tant la surprise est grande. Ces Américains, qui ne sont rien pour les Conquistadores, ont-ils des droits de par leur nature ? Pour Cajétan déjà, pour Vittoria, Sotto et Las Casas, dominicains formés à l'École de Salamanque, la réponse est évidemment affirmative. Les Indiens sont des créatures de Dieu, ils portent en eux l'image de Dieu, leur dignité leur permet de revendiquer pour eux les lois qui prévalent pour tous les hommes quelle que soit leur ethnie. Attention ! Pour ces éminents théologiens, la nature humaine que possèdent les Indiens n'est ni un fétiche ni une idole. Elle ne se prend pas pour le centre de tout. Elle est elle-même hétéro-centrée. Elle représente, en chacun, un dynamisme moral, une raison de progresser. Elle est appelée à se réaliser, donc à se transcender en Dieu. Avec Grotius et Pufendorf, protestants au XVIe et XVIIe siècles, le droit naturel, qui est à l'origine de la théorie des droits de l'homme, change considérablement de signification. On sort de la scolastique. La nature n'est plus un dynamisme moral, avec un inné désir du bien, avec une capacité naturelle d'aimer Elle est une idée, une construction mentale, qui doit permettre de résoudre des problèmes liés au vivre ensemble (déjà !) en particulier entre protestants de différentes nuances. Parce que les hommes se sont écharpés sur leur foi chrétienne, la société doit vivre non de la foi mais de l'idée commune qu'elle se fait de l'homme. Dieu n'est pas nié, mais il est mis hors-jeu.

Une certaine idée de l'homme

Et très vite, les philosophes comprendront que la société, suspendue à cette idée de l'homme, se réalise de manière artificielle. C'est l'autorité politique qui la recrée, c'est l'État (on ne tarde pas à employer ce mot créé par Machiavel), c'est le Leviathan, comme dira Hobbes (1651), en parlant à ce sujet d'un « dieu mortel ». Face à l'État omnipotent, la société doit plier; les Églises doivent plier et l'Église catholique être interdite parce que l’on sait qu'à Rome tout du moins elle ne pliera pas). Pourquoi tout doit plier ? L'État a toute légitimité, parce que c'est lui ou le chaos. D'une certaine façon, en France, la Monarchie de droit divin va dans le même sens, Bossuet a lu Hobbes.

Lorsque Jean-Jacques Rousseau s'empare de la question (la publication du Contrat social remonte à 1763), il ne touche pas à la construction de Hobbes. L'État demeure, omnipotent. Lui, le citoyen de Genève, il a conscience que l'Ordre est plus important que tout. Il se contente de donner une finalité nouvelle à cet absolutisme de l'État : pour lui, est républicain un État qui a pour but la liberté des individus, dans le cadre de ce qu'il appelle la volonté générale. Et voilà comment peut naître la déclaration des droits de l'homme et du citoyen. « L'homme est né libre et partout il est dans les fers » disait Rousseau. « Tous les hommes naissent libres et égaux en droit » affirme la DDHC.

Très vite, cette Déclaration des droits devient pour tous « un nouvel Évangile », celui de la liberté. Il fallait bien remplacer le christianisme qui faisait le fond de l’ancienne société. En ce 26 août 1789, voici les droits de l'homme et du citoyen… Interprétant le sentiment général, le 27 avril 1792, un certain Duport de Romans propose « un mode de jubilation et d'action de grâce qui puisse être commun à tous les citoyens, qui ne laisse pas apercevoir la diversité des croyances ou l'unité exclusive d'un culte, qui, en respectant la liberté des consciences, excite le patriotisme à prendre tout son essor ». Il s'agit bien d'une nouvelle religion, quoique purement civile.

Le problème ? Avec le temps, l'individu s'est mis à enfler. Les droits de l'homme ? C'est Bibendum se rendant un culte à lui-même. Désormais, peu importe la nature de l'homme et les devoirs qui y sont afférents. Depuis Rousseau, seul compte l'individu, son caprice, ses choix. Voilà le véritable droit de l'homme, c'est le désir de l'individu érigé en loi. Je veux des vacances ? J'ai un droit aux vacances. J'ai trouvé une bonne planque ? C'est mon droit d'y rester en CDI…

Autant on pouvait être d'accord avec les droits de l'homme à leur origine chrétienne, lorsqu'ils étaient développés par les théologiens de l'École de Salamanque, autant aujourd'hui l'individualisme régnant leur a ôté toute signification positive.

Abbé G. de Tanoüarn monde&vie 9 juin 2016 n°925

Les commentaires sont fermés.