Marion Maréchal a été longuement interrogée sur Atlantico. Extrait :
[…] S’il y a eu une recomposition de la vie politique depuis 2017, elle ne me paraît pas définitive. Jusque récemment, deux grands partis structuraient la vie politique française, le PS et le RPR. Dans ces deux partis, toutes les strates sociales étaient représentées. Au PS comme au RPR, vous aviez des ouvriers, des classes moyennes, des classes populaires, une partie de l’élite, une partie de la haute administration.
Cela contraignait ces partis à avoir une vision relativement globale de la société, à porter un projet qui puisse être équilibré pour tous et englober tout le monde. Avec la mort de ces partis, nous avons connu une recomposition totale des motifs de vote. Ce qui fait que les grands partis qui dominent aujourd’hui avec LREM et le Rassemblement National sont des partis qui sont construits sur une mécanique sociale. Une forme de lutte des classes s’est réinstaurée qui je trouve est absolument dramatique car la lutte des classes c’est la mort de la Nation. On ne mobilise plus les gens sur une vision commune de la société et de la Nation mais par rapport à leurs intérêts de classe, classe supérieure ou classe populaire. Et le drame, c’est que, sur ce constat Jérôme Sainte-Marie a raison, nous avons d’une part un bloc élitaire porté par Emmanuel Macron et regroupant une partie de la haute administration, une partie de la haute finance, des retraités et des cadres et de l’autre un bloc dit populaire que porte en partie le Rassemblement National mais qui est très disloqué puisque le bloc populaire est beaucoup plus hétérogène sur le plan idéologique, sur le plan social, sur le plan territorial. Tandis que le bloc élitaire est plus homogène socialement et son vote est moins éparpillé. Par ailleurs le bloc populaire s’abstient bien davantage que le bloc dit élitaire. Cette configuration se fait donc au bénéfice d’Emmanuel Macron qui se garantit un socle d’environ 25 % renforcé par des alliances quant le RN isolé tourne autour de 25-30 % sans réussir à réunir l’ensemble du bloc populaire ( objectif qui me semble utopique) ni à pénétrer le bloc élitaire.
Le problème, c’est que les partis en question au lieu d’essayer de casser cette structuration par classes sociales de la vie politique l’ont alimentée. Certains ont joué la campagne contre la ville, la métropole contre la France périphérique, les bourgeois contre les pauvres. C’est ce que fait Emmanuel Macron en jouant le progressisme contre le populisme qui n’est que la traduction dans sa bouche de la fracture entre les élites et le peuple.
Nous sommes dans une phase antinomique qui donne l’impression que nous ne pouvons pas réconcilier les gagnants et les perdants de la mondialisation.
Je pense pourtant que ces blocs peuvent être remis en cause aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que je suis absolument convaincue qu’une partie des CSP+, des cadres supérieurs, une partie des retraités, une partie de la haute administration peuvent se retrouver dans un discours national et identitaire. Le combat identitaire va être à mon avis le grand levier de la recomposition politique de ces prochaines années. Sur la question économique, je pense que l’on peut tout à fait défendre une forme de libéralisme entrepreneurial dans un cadre national préservé des excès de la compétition internationale. C’est là où à mon avis il y a un point d’équilibre à trouver qui peut rassembler une partie des électeurs de droite ayant voté Macron avec ceux de la droite populaire. Moins d’Etat à l’intérieur des frontières, plus d’Etat à l’extérieur, c’est la vision qui peut réunir des droites divisées.
Une fracture peut-être plus difficile à dépasser est celle qui s’est installée entre la France du public et la France du privé. Car il n’y aura pas de redressement de la France sans que nous soyons capables de rendre nos entreprises plus compétitives. La réponse est à la fois macroéconique et microéconomique. Comment baisser les charges qui pèsent sur les entreprises si nous continuons à entretenir voire à développer une bureaucratie, notamment une fonction territoriale obèse ? Comment continuer avec un Etat social qui par le poids qu’il a atteint (environ 700 milliards d’euros par an) est en train de rogner à la fois l’Etat régalien et l’Etat stratège en annihilant toutes nos marges de manœuvre budgétaires ?. Nous ne pourrons pas échapper à ces choix. Soit nous voulons un Etat nounou -avec toute l’administration qui va avec- et qui distribue des chèques à tout va, notamment aux populations issues de l’immigration et dans ce cas-là, il ne faudra pas se plaindre d’avoir moins de stratèges et moins d’Etat régalien. Soit on réduit l’Etat social notamment par les marges de manœuvre que nous pourrions regagner sur la question migratoire et de la fraude sociale. Et dans ce cas-là, nous nous donnons les moyens de reconstruire le régalien et l’Etat stratège. Mais il faut être lucide et ne pas faire de démagogie, cela veut dire remettre en cause une partie de l’administration publique et du périmètre du statut de la fonction publique. Si vous ne réduisez pas en partie les dépenses publiques vous ne pouvez pas espérer un peu libérer les énergies du privé.
La vraie fracture politique, celle autour de laquelle va finir par se réorganiser la vie politique française, c’est celle-ci. Nous devons définir un nouvel équilibre entre la France publique qui est évidemment nécessaire et la France privée, celle des forces vives de la Nation et de la création de richesses. Curieusement, c’est une tentation très française que de d’oublier que c’est le privé qui fait la création de richesse et qui permet de financer le public.