Le titre du dernier ouvrage de Michel Maffesol est énigmatique écosophie. Ce professeur de sociologie à la Sorbonne expliquerait sans doute les choses autrement. Mais disons pour simplifier, que l’écosophie, c'est l’écologie de droite.
L’écologie de droite, qu'est-ce que c'est ? Une défense de la maison commune, si on suit l'étymologie de ce néologisme, il faudrait parler d'une sagesse de la maison, à cultiver ensemble. Dès les premières pages de son ouvrage, Maffesoli critique la politisation de l'écologie : « En devenant politique et donc "de gauche" l'écologie s'inscrit dans une forme, la forme "parti" dont les esprits les plus aigus savent l'inanité et dont les jeunes générations pressentent l'aspect daté ». L'écosophie, c'est l'écologie sans Parti et donc l'écologie de droite.
Mais il faut entrer un peu plus profondément dans ce nouveau concept que nous propose Michel Maffesoli. Que dit-on quand on parle d'écosophie ? « L’écosophie se contente d'exprimer quelle est la véritable sagesse (sophia) de la maison (oikos). On pourrait dire sagesse de l'habiter. Ce qui revient à dire que l'homme ne se sent pas comme dominant mais comme participant à la chose, participation mystique, participation magique, qui, dans les sociétés traditionnelles étaient cause et effet du respect envers l'environnement, minéral, végétal, animal. En ce sens la sensibilité écosophique est une forme d'empathie avec l'espace dans lequel on se situe ». Où l'on s'aperçoit qu'avec cette écologie de droite, ce respect de l'espace dans lequel on se situe, on touche très vite à deux thèmes bien connus : celui de l'identité (même si Maffesoli n'emploie pas ce terme), qui n'est rien d'autre au fond que ce « respect de l'espace dans lequel on se situe », parce que cet espace a fait de nous ce que nous sommes, notre culture, notre mémoire, notre regard… On touche aussi au thème du paganisme, tel qu'il apparaît dans le vieux livre d'Alain de Benoist, Comment peut-on être païen, dans l'œuvre philosophique de Jean-François Mattéi ou encore dans La morsure des dieux, le dernier film de Cheyenne Carron. Il ne s'agit pas d'une « religion » païenne, mais d'un sentiment du sacré « le sacral » dit Maffesoli) qui naît du spectacle de la nature. Soulignons au passage que le dernier numéro de la revue Krisis est consacré au paganisme il comporte d'ailleurs un long entretien, justement, avec Michel Maffesoli sur « chrétien et catholique ». Michel Maffesoli explique pourquoi il se sent plus « catholique » que « chrétien ». La réponse fuse : parce que le catholicisme est enraciné.
L'écosophie selon Michel Maffesoli n'est pas seulement un concept pour les intellectuels de sa trempe, c'est une tendance profondément enfouie dans ce qu'il appelle assez fréquemment notre vécu « postmoderne ». Et de donner plusieurs exemples de cette tendance lourde qui nous pousse à réhabiter (à respecter) l'espace dans lequel nous sommes voici pêle-mêle, « l'attrait pour le bio sous toutes ses formes, mais également la mode ethnique, le patrimoine culturel, le respect des paysages et autres manifestations quotidiennes, du souci des racines traditionnelles permettant une harmonie sociétale et naturelle ». Plus profondément, dans l'ordre intellectuel, Maffesoli note comme manifestation de l'écosophie « la recherche au-delà de la bienpensance et des divers conformismes intellectuels d'une pensée authentique, engendrant une nouvelle radicalité ». Ce qu'il décrit, sous le nom d'écosophie, avec une sorte de sixième sens qui lui avait déjà fait anticiper ce qu'il avait génialement nommé « le temps des tribus » (ouvrage de 1991), c'est une culture nouvelle, une tendance profonde de la pensée, du goût, des modes et de l'action… Il y avait une culture libérale et de gauche, qui considérait que la nature n'existait pas, qu'il n'y avait donc pas besoin de la respecter, que l'homme était comme maître et possesseur de son environnement, inventeur de sa vie, créateur de son habitat. Le livre de Maffesoli est un long appel au respect, un hymne à la mère nature, une exaltation de « l'homme souterrain » qui est aussi « l'homme enraciné ». Il présente une critique systématique de ce qu'il nomme « idéosophie » cette gouvernance des « principes abstraits » au nom desquels l'homme semble avoir divorcé de la et de sa nature. Pour Maffesoli, ce n'est pas seulement une question abstraite de respect pour la planète, c'est un problème de respect de l'homme, de respect de la vie de l'homme, confisquée par des idées stériles et par des idéologies mortifères.
Bref Ecosophie nous explique pourquoi le monde est en train de virer à droite et ce que représente ce fameux « mouvement dextrogyre » cher au politologue Guillaume Bernard : un mouvement que l'on ne retrouve pas forcément dans les urnes, en ces temps de macronisme aigu, mais qui est en train lentement et sûrement de faire en sorte que la culture du XXI siècle soit une culture de droite dont les maîtres-mots seront respect, radicalité, authenticité, nature et enracinement.
Michel Maffesoli, Ecosophie, éd. du Cerf, 254 p., 19 €.
Joël Prieur monde&vie 29 juin 2017 n°942