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Le syndicalisme révolutionnaire : une spécificité française 1/2

Dans l’histoire du mouvement ouvrier européen, le syndicalisme révolutionnaire français tient une place à part du fait de l’originalité de son organisation et de son mode d’action.

Ses origines

La confiscation par la bourgeoisie à son seul bénéfice de la Révolution de 1789 entraîna la mise en place de sa domination. Une de ses priorités fut d’empêcher que les ouvriers puissent s’organiser pour se défendre contre son exploitation. Sous le fallacieux prétexte d’éliminer les corporations de métiers de l’Ancien Régime, la loi « Le Chapelier », en juillet 1791, interdit toute entente entre travailleurs pour assurer leurs intérêts. Toute tentative de leur part étant jugée un « attentat contre la liberté et la Déclaration des droits de l’homme ».

En conséquence, le mouvement ouvrier naquit dans la clandestinité. Le développement croissant des organisations d’entraide des travailleurs fut reconnu sous le Second Empire qui mit fin au délit de coalition en 1864. Mais la sanglante répression de la Commune entraîne la disparition des meilleurs cadres révolutionnaires ; fusillés, exilés ou déportés vers les bagnes d’Outre-Mer à la suite de la Semaine Sanglante. La classe ouvrière sera alors sous la surveillance draconienne des gouvernements successifs. La bourgeoisie, craignant à chaque instant un soulèvement général contre son pouvoir, encouragea la plus dure fermeté. On ne peut comprendre l’égoïsme bourgeois sans prendre en compte la peur permanente de se voir contester les biens qu’ils ont raflés ; l’État devenant pour les travailleurs l’outil répressif du Capital. En 1831, 1848 et 1871, les classes dirigeantes ont répondu par la violence aux légitimes revendications de la classe ouvrière. Cette expérience de la répression forgera la conviction dans l’avant-garde prolétarienne que face à l’autorité, on ne peut pas négocier, mais seulement lutter. L’anti-parlementarisme du syndicalisme révolutionnaire s’explique par la conviction qu’il n’y a aucune réforme possible dans un système né et dominé par le capitalisme. L’anti-militarisme vient aussi de là. L’armée n’étant plus la défenseuse de la Nation, mais la briseuse de grèves ; l’envoi de troupes étant la réponse des pouvoirs publics aux attentes populaires. L’intense propagande anti-militariste des syndicalistes révolutionnaires rencontra un écho favorable dans les couches populaires contraintes de voir leurs fils embrigadés au service du régime répressif.

Les Bourses du travail

La proclamation de la IIIe République ne mit nullement fin à la répression. La désorganisation des structures syndicales vit l’apparition de groupes réformistes, prêchant l’entente avec l’État et la bourgeoisie, qui ne firent que confirmer l’inutilité du dialogue avec l’oppression ; ce qui se traduisit par une poussée des syndicats d’orientation révolutionnaire.

Durant cette période, dans le but de contrôler la circulation de sa main-d’œuvre, le patronat encouragea les municipalités à créer des bourses du travail, dans le but de réguler le marché du travail au niveau local. Elles se multiplièrent à une vitesse prodigieuse (la première vit le jour à Paris en 1887, et une autre dès 1890 à Toulouse).

Très vite leur réappropriation par des militants révolutionnaires s’effectua, et ces derniers firent des bourses des centres de luttes sociales. Organisant la solidarité ouvrière, elles furent un laboratoire des futurs modes d’action des syndicalistes français. Ce mouvement fut mené par un homme exceptionnel, Fernand Pelloutier, qui fut l’un des inspirateurs de Georges Sorel, qui le qualifiait de « plus grand nom de l’histoire des syndicats ». Il impulsera la création de la Fédération des bourses du travail de France. C’est à lui que le mouvement ouvrier français doit l’idée de la grève générale et de l’indépendance des syndicats à l’égard des partis et de l’État. Il est alors en totale opposition avec Jules Guesde, fondateur du Parti ouvrier français, d’inspiration marxiste, qui affirmait la prépondérance de l’action politique de son parti sur les luttes syndicales.

Les bourses menaient en parallèle deux axes d’action :

– En premier lieu, une action sociale, qui consistait au placement des salariés, à les aider à se qualifier professionnellement et à se cultiver ; par des cours d’enseignement professionnel et d’enseignement général, des dispensaires médicaux chargés de lutter lors d’accidents du travail contre les compagnies d’assurances trop complaisantes avec le patronat, des bibliothèques destinées à la formation idéologique et à la distraction des ouvriers ou encore les services de renseignements juridiques, afin de renseigner les travailleurs sur les nouvelles lois à caractère social de la IIIe République, les bourses du travail furent des applications concrètes du programme socialiste révolutionnaire. La dimension d’éducation populaire fut une des priorités de Pelloutier selon sa fameuse formule « éduquer pour révolter ». L’émancipation des travailleurs devant d’abord passer par la prise de conscience de la réalité de leur exploitation. Comme le déclara Émile Pouget :

« La besogne des révolutionnaires ne consiste pas à tenter des mouvements violents sans tenir compte des contingences. Mais de préparer les esprits, afin que ces mouvements éclatent quand des circonstances favorables se présenteront. »

– En second lieu, l’action de liaison et de solidarité avec les syndicats ouvriers. L’implantation des bourses impulsa le développement des syndicats qui pouvaient s’appuyer sur leur réseau. Elles furent des lieux de regroupement pour les ouvriers grévistes, des fonds de solidarité se constituèrent avec des souscriptions dans les usines pour aider les travailleurs en lutte. CGT et Fédération des bourses du travail fusionnèrent en 1902, lors du congrès de Montpellier, constituant ainsi une seule organisation centrale composée de deux sections, celle des Fédérations de métiers et celle des Bourses du travail. Mais avant cela eu lieu un événement fondateur pour le mouvement syndicaliste français : la naissance de la CGT.

1895 : la CGT

Quand, en 1884, la loi autorise la création de syndicats, la République tente de séduire la classe ouvrière pour lui faire oublier son alliance objective avec le grand capital. La majorité des travailleurs restèrent méfiants, considérant que cette loi était conçue pour permettre de contrôler l’existence de structures jusque-là clandestines. Après des négociations préalables, c’est à Limoges, en septembre 1895, que voit le jour la Confédération générale du travail, qui se fixe comme objectif principal « d’unir sur le terrain économique et dans les liens d’étroite solidarité, les travailleurs en lutte pour leur émancipation intégrale ».

Après des premières années encore chaotiques, l’organisation, sous l’impulsion de Victor Griffuelhes, va connaître une période d’intense activité. Nommé secrétaire général de la CGT, cet ancien ouvrier qui fut un militant blanquiste acharné, se consacre à faire de l’organisation une machine de guerre des classes. Avec Émile Pouget, son fidèle camarade, on le retrouve partout où des grèves éclatent. Peu habitué aux palabres interminables, il impose son autorité d’une main de fer. Cela lui sera souvent reproché et lui vaudra de nombreux ennemis, mais on ne pourra jamais remettre en cause son désintéressement. Grâce à son caractère sans concession, les querelles entre courants furent mises en sourdine et le syndicat put garder une totale indépendance vis-à-vis de l’État qui tentait de corrompre les dirigeants syndicaux.

À suivre

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