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Le syndicalisme révolutionnaire : une spécificité française 2/2

Lors de l’adoption de la Charte d’Amiens, au Congrès confédéral de 1906, on rappellera que :

« La CGT [re]groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat. (…) Le congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte des classes qui oppose sur le terrain économique, les travailleurs en révolte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression, tant matérielles que morales mises en œuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière. »

L’action directe

Dans le mouvement socialiste de janvier 1905, Victor Griffuelhes donnait de l’action directe la définition suivante :

« L’action directe veut dire action des ouvriers eux-mêmes. C’est-à-dire action directement exercée par les intéressés. C’est le travailleur qui accomplit lui-même son effort ; il l’exerce personnellement sur les puissances qui le dominent, pour obtenir d’elles les avantages réclamés. Par l’action directe, l’ouvrier crée lui-même sa lutte, c’est lui qui la conduit, décidé à ne pas s’en rapporter à d’autres que lui-même du soin de le libérer. »

Les syndicalistes révolutionnaires menaient la lutte pour l’amélioration des conditions de travail pour que la « lutte quotidienne prépare, organise et réalise la Révolution », comme l’écrivait Griffuelhes. Faite par des minorités agissantes et conscientes, l’action directe vise à frapper les esprits (comme lors de la grève générale de 1907, durant laquelle Paris se retrouve plongée dans le noir suite à une action de sabotage des syndicalistes révolutionnaires électriciens). Elle doit imposer la volonté des ouvriers au patron, l’utilisation possible de la juste violence prolétaire pouvant entrer dans cette stratégie.

« Il n’y aura, en effet, intégralité d’émancipation que si disparaissent les exploiteurs et les dirigeants et si table rase est faite de toutes les institutions capitalistes. Une telle besogne ne peut être menée à bien pacifiquement – et encore moins légalement ! L’histoire nous apprend que jamais, les privilégiés n’ont sacrifié leurs privilèges sans y être contraints et forcés par leurs victimes révoltées. Il est improbable que les bourgeois aient une exceptionnelle grandeur d’âme et abdiquent de bon gré… Il sera nécessaire de recourir à la force qui, comme le dit Karl Marx, est l’accoucheuse des sociétés. » Émile Pouget-CGT

Le mythe de la grève générale en action

Un bras de fer entre la CGT et l’État s’engage en 1904 pour la journée de huit heures ; la campagne devant aboutir à une démonstration de force le 1er mai 1906, organisée activement pendant un an. Toutes les forces de l’organisation sont lancées pour la bataille des huit heures. Le contexte est alors insurrectionnel, le monde du travail étant en effervescence à la suite du drame de la mine de Courrières, où 1 200 mineurs trouvèrent la mort. 40 000 mineurs du Pas-de-Calais se mettent en grève spontanément. La répression ne vient rien arranger et la colère se propage. Près de 200 000 grévistes se mobilisent dans le bâtiment (bastion des syndicalistes révolutionnaires), la métallurgie, le livre… le mouvement culminant avec 438 500 grévistes dans toute la France ! Le gouvernement entretient la peur d’une guerre sociale imminente et d’une collusion entre les deux forces anti-système de l’époque : le mouvement syndicaliste révolutionnaire et le mouvement nationaliste (convergences observées par le professeur Zeev Sternhell). Devant cette alliance, la République réagit rapidement. Clemenceau, nommé ministre de l’Intérieur, dirige la répression. Griffuelhes et les principaux dirigeants de la CGT sont arrêtés sans raison (dont le trésorier Lévy qui sera retourné par la police durant son emprisonnement). Le 1er Mai s’accompagne d’une mobilisation importante des chiens de garde de la République, qui multiplient les arrestations et tirèrent sur la foule des grévistes. D’un commun accord, les autorités et le patronat organisèrent le licenciement des fonctionnaires et des ouvriers les plus engagés dans l’action directe. Des listes noires de militants furent dressées pour rendre leur embauche impossible. Mais là où Clemenceau et son successeur Aristide Briand furent les plus efficaces, c’est dans le retournement de responsables syndicaux par la corruption et l’infiltration d’éléments provocateurs (les archives de la préfecture de police regorgent de leurs rapports sur les activités de la CGT), qui propagèrent le trouble dans les esprits et discréditèrent l’action des syndicalistes révolutionnaires. En plus, l’aggravation des dissensions internes et des guerres de tendances créèrent une situation explosive dans la direction.

La rupture : le prolétariat contre la République

Ce fut l’affaire de Draveil-Villeneuve-Saint-Georges, montée de toutes pièces par Aristide Briand, alors ministre de l’Intérieur, qui mit le feu aux poudres. Une manifestation des terrassiers et des cheminots de la région parisienne le 30 juillet 1908 tourne à l’émeute. On relève deux morts parmi les ouvriers. La CGT appelle à la mobilisation ouvrière pour une grève générale. À la suite d’une manifestation à Villeneuve-Saint-Georges, on déplore sept morts de plus. À l’aide d’un agent provocateur, le ministre de l’Intérieur trouva là le prétexte à l’arrestation de la plupart des dirigeants confédéraux, et parmi eux le secrétaire général Victor Griffuelhes, ce qui allait permettre aux traîtres de profiter de cet emprisonnement pour tenter un véritable putsch.

La libération des dirigeants emprisonnés ne tarda pas, mais dans l’ombre des hommes de main de Briand, et notamment le trésorier Lévy (vraisemblablement corrompu) et Latapie, lancèrent une véritable cabale contre Griffuelhes, l’accusant ouvertement de détournement de fonds dans l’affaire de l’achat d’un local confédéral. Les congrès suivants lavèrent Griffuelhes de tout soupçon, mais la crise était ouverte, car le secrétaire général, ulcéré, démissionnait. Lui succéda Niel, qui fut élu le 25 février 1909, secrétaire général de la CGT avec les voix des réformistes. Mais les syndicalistes révolutionnaires ne se laissèrent pas faire : six mois plus tard, Niel était contraint de démissionner à son tour.

Il fut remplacé par Léon Jouhaux. Il n’est pas étonnant que la tension monta à nouveau avec le pouvoir à partir de 1910. En octobre, la grève des cheminots, située dans le cadre d’une grande campagne contre la vie chère, fit envisager à Briand la dissolution de la CGT. Briand décida de faire un exemple : c’est l’affaire Jules Durand. Le secrétaire du Syndicat des charbonniers du Havre fut condamné à mort pour faits de grève, auxquels il était entièrement étranger. Un vaste mouvement de protestation ouvrière se déclencha.

À ce moment crucial de son histoire, le monde du travail est largement opposé à la République libérale. Il est écœuré par le comportement des anciens dreyfusards (Clemenceau et Briand), qui hier encore appelaient la classe ouvrière à se mobiliser pour la justice, et qui une fois arrivés au pouvoir se révèlent être les assassins du peuple… Ce rejet de la démocratie se manifesta jusqu’à la guerre. Le déclenchement de la Grande guerre fut un échec pour les syndicalistes révolutionnaires. Après avoir tout fait pour arrêter la marche vers la guerre, l’élan patriotique vers l’Union sacrée les emporta. Léon Jouhaux, sur la tombe de Jaurès, appela les ouvriers à se rallier au régime. Ce ralliement marqua la fin de la période héroïque du syndicalisme d’action directe au sein de la CGT, qui, après la guerre, fut pris en main par les communistes, qui en firent l’outil réformiste que nous connaissons aujourd’hui.

« Le syndicalisme français est né de la réaction du prolétariat contre la démocratie. » Hubert Lagardelle

Louis Alexandre, Rédacteur en chef de la revue Rébellion

Egalité et Réconciliation

https://voxnr.com/918/syndicalisme-revolutionnaire-specificite-francaise

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