Raspail n’est pas un homme de dogmes, mais un gentilhomme de principes. Tenue, geste et attitude, voilà les maitres mots de son œuvre. Avec panache, c’est le principe royal qu’il tente de ressusciter à travers Le Roi est mort, vive le roi !.
Une belle réédition de son Roi au-delà de la mer (Via Romana)
Au siècle de Louis XV les tuniques rouges patrouillaient en Écosse. La fidélité des Jacobites aux Stuarts était une foi proscrite. Leurs princes vivaient en exil en France ou en Italie. Alors, dans les banquets, lorsqu’il fallait porter le toast règlementaire à l’usurpateur, nos rebelles en tartan faisaient discrètement passer leur verre au-dessus d’une carafe d’eau, rendant ainsi hommage non au souverain félon, mais au prince légitime : le roi au-delà de la mer.
Le Roi est mort, vive le roi ! est la réédition du Roi au-delà de la mer paru initialement en l’an 2000 et agrémenté aujourd’hui d'une préface étincelante dans laquelle Raspail en dit davantage sur sa conception du royalisme. Dans ce roman épistolaire, le consul de Patagonie correspond avec le prince. Oui mais lequel ? Un certain Pharamond, comme dans Sire. La nouvelle préface, rédigée en 2019 nous apprend que ce roi moins que trentenaire, c'est en fait le prince Jean, jeune. « C’est à lui que j'ai pensé en écrivant en l’an 2000 Le Roi au-delà de la mer, et c’est aussi en pensant a lui que je réédite ce livre doté d’un second titre jumelé et de pages supplémentaires car j’avais encore beaucoup à dire… » Ce n’est peut-être pas ce coming-out en faveur du comte de Paris qui retiendra le plus l’attention du lecteur il devra encore moins fâcher les partisans des Blancs d’Espagne (dont je suis), car, au fond, l’essentiel est ailleurs.
Restaurer le principe
À la manière d’un La Varende, Raspail est un royaliste fervent qui ne tombe pas dans l’idolâtrie des princes. C’est le principe qui compte. On a eu beau couper la tête de Louis XVI, un réflexe royaliste s’est maintenu chez certains Français, en témoigne la foule du 21 janvier 1993 place de la Concorde, à l’appel de Raspail ! Mais le prince du roman, lui, est seul. Roi légitime, il n’a reçu ni l’onction du sacre, ni la sainte ampoule médiatique : les Français ignorent jusqu’à son nom. Raspail lui conte des histoires de restauration perdue, de chouannerie désespérée la charge des Jacobites à Culloden (1746), l’équipée vendéenne de la duchesse de Berry en 1832. Pharamond a encore moins de chances que ces vaincus du passé. II ne peut reconquérir d’un trait son royaume, rétablir la monarchie et s’installer dans les Tuileries, qui d’ailleurs n’existent plus. Il doit se contenter, et c’est l’essentiel pour Raspail, d’incarner le principe royal, de rendre manifeste le « royaume invisible », parallèle. En bref, à défaut de gouverner sur les hommes, le roi doit au moins régner par le geste et la geste, par l’attitude et l’altitude. Prendre de la hauteur, c’est ce que conseille Raspail à son prince de papier en lui faisant prendre un exil volontaire dans les Hautes Terres d’Écosse. Les Stuarts déchus avaient quitté Edimbourg pour Saint-Germain-en-Laye ? Un Bourbon authentique peut bien aller respirer l’air des Hébrides. La-bas, loin, si loin, le roi peut se tenir franchement à l’écart de la politicaillerie et des mondanités, de la finance et du papier glacé. La-bas, ii fait flotter ses couleurs, il assume l’héritage en même temps qu’il est ailleurs, inatteignable. Le principe est sauf les Français peuvent rêver de lui.
Le royaume n’est pas de ce monde
On le voit, ce prince n’est pas un politique. Ce n’est pas un roi de coup de force, mais c’est un peu un roi de coup de main. Depuis son exil, avec quelques fidèles, il reprend possession, symboliquement, du royaume de France en faisant parsemer les côtes bretonnes de mats aux couleurs fleurdelisées. Symboles, toujours. Le roi peut même, s’il est audacieux, tenter de reprendre un morceau de France, un confetti maritime, une petite île des Cotes d’Armor qui devient, par sa présence et par son geste, « le royaume de France ». Dans le scénario imaginé par Raspail, les choses se gâtent car la République ne comprend rien a la poésie. Elle se défend bien, elle attaque, envoie ses gendarmes et ses hélicoptères, prend d’assaut l’îlot de Saint-Trec. La résistance est magnifique, elle est aussi désespérée. Alors, pourquoi ? Pourquoi ces frémissements, ces drapeaux déployés, ces proclamations envoyées, si cette restauration était vouée à l’échec ? Ce prince n’était pas politique. Raspail non plus, finalement, il est au-dessus de ces chicanes. Le royaume n’est pas de ce monde. Raspail ne propose pas de solution, il se contente d’écrire, superbement, et d’imaginer. Il dresse pour nous un horizon bleu et blanc, maritime, baigné de brumes desquelles surgira peut-être, si la France est d’abord restaurée, le roi au-delà de la mer… Le reste n’est que littérature.
✍︎ Jean Raspail, Le roi est mort, vive le roi ! Via Romana, 2019
Francois La Choüe monde&vie 24 octobre 2019 n°977