Éric Zemmour considère que la société se féminise. Au regard de la progression des femmes dans les professions de l’éducation, de la santé, de la justice, de la police, etc., on ne peut pas lui donner tort. Si l’on ajoute le développement des cosmétiques pour hommes et l’essor du totem « papa poule », nous voilà dans l’obligation de lui donner raison. Michel Onfray, lui, oppose au diagnostic d’Éric Zemmour celui de l’infantilisation de la société. Et s’ils avaient raison tous les deux ?
Une analyse de Laurence Maugest, essayiste.
Un homme ne doit-il pas être infantilisé avant d’être féminisé ?
En effet, comment imaginer que les caractéristiques de la virilité, vieilles comme le monde, naturelles comme le petit garçon qui transforme en balle tout ce qui peut éventuellement rouler et voit dans le premier bâton venu une arme redoutable, comment imaginer que ces qualités vantées dans bon nombre de romans et d’écrits fondateurs puissent ainsi laisser place à l’envahissement des expressions féminines ?
L’infantilisation de la société, en éradiquant ce qui sert à la construction de l’homme mûr et notamment ses expressions sexuées innées, n’a-t-elle pas permis ce processus de féminisation ? Plus clairement, il est indispensable de revenir à l’ère de l’enfance, où tout est encore mouvant, non fixé, où le petit est attaché vitalement à sa mère (au monde féminin), pour avoir une telle influence sur la modélisation des esprits.
Faut-il encore prouver que l’homme moderne est sans cesse infantilisé dans cette société du loisir permanent, des aliénations constantes sur écran et des assistanats en tout genre ?
C’est bien cette infantilisation décrite, avec talent, par Philippe Muray qui prépare la dévirilisation des hommes. Ce retour constant à l’esprit de l’enfance où l’identité, en cours de construction, est encore indéterminée.
Cette infantilisation chronique de l’ensemble de la société, quel que soit l’âge des individus concernés, est un outil opérant de déliquescence de nos identités, c’est un retour au flou et à la plasticité du jeune âge. Les masses sont ainsi considérées comme des pâtes molles, encore façonnables comme le sont, bien heureusement, les entendements en construction des enfants. Mais ici, c’est fâcheusement l’ensemble du monde adulte qui est concerné, nous sommes bien loin du petit homme en devenir. Nous sommes face à une déconstruction de ce qui s’est élaboré d’âge en âge, la transmission : il faut que l’homme devienne une femme comme les autres.
Il serait heureux que le 8 mars soit vraiment « la journée de la femme » mais, par pitié, l’unique. C’est bien loin d’être le cas. Sur les ondes, c’est tous les jours la fête des femmes ; à chaque heure, nous sommes abreuvés de preuves par a + b que l’homme est nuisible et que la femme est une victime magnifique. Les âneries se succèdent, les hommes affament les femmes depuis les cavernes (1), coûtent cher à la société (2), leurs débordements obligent une révolution comptable aberrante : le « budget genré » (3)… En définitive cette féminisation et ses arguments qui relèvent si souvent de la débilité nous infantilisent par leurs bêtises.
Il y a bien un lien entre l’infantilisation et la féminisation de la société et cela n’est pas terminé.
Féminiser les hommes, c’est infantiliser toute une communauté
À la lecture de Jung, nous sommes bien obligés de constater que les figures masculines et féminines sont la base de la construction de toutes les sociétés. À la lecture de Freud, nous savons que les images et la place respective du père et de la mère sont indispensables à l’élaboration de l’identité des futurs adultes. Faut-il rappeler que la position extérieure du père au couple mère-enfant représente la notion de la loi, des règles de la société que le jeune doit intégrer ? Le brouillement des rôles parentaux brise ces repères fondamentaux. Comment ne pas voir ici l’explication de l’augmentation exponentielle de la violence chez les jeunes ? Lorsque l’enfant ne rencontre pas l’incarnation de la loi dans son quotidien intime, le risque n’est-il pas grand qu’il devienne « hors la loi » ?
Le silence des psychanalystes, ethnologues et autres sociologues est criminel face à ce basculement anthropologique qui provoque une confusion des sexes. Ce bouleversement artificiel nous est imposé par un matraquage médiatique qui ne peut qu’entraîner des troubles de la personnalité en quantité. C’est l’évolution des individus et des collectivités qui est ainsi mise à mal par cet anéantissement de ce qui nous a construits depuis des siècles. La perturbation des transmissions naturelles, due à l’ingérence de ces doctrines préfabriquées, donne naissance à des êtres qui ne parviennent jamais à la maturité nécessaire c’est-à-dire à « l’éclosion de leurs particularités ». C’est pourquoi ils viennent constituer des sociétés infantilisées et standardisées. Les diktats obsessionnels à l’égalité nuisent à l’émergence des individualités singulières et seront source de sociétés nivelées.
En vérité, lorsque l’on fête les droits de la femme, que fêtons-nous au juste ?
Ce culte étriqué de la femme moderne ne lui a-t-il pas fait perdre toute sa féminité ? Il est vrai que ces slogans répétitifs qui se déroulent à l’identique visent davantage à attaquer la virilité plutôt qu’à défendre les valeurs de la féminité. Ce culte fait l’apologie d’une femme indépendante qui se suffit à elle-même comme un homme, qui travaille comme un homme, qui s’engage comme un homme… Ne peut-on pas être naturellement féminine en travaillant et en s’engageant avec détermination sans chercher à se comparer à l’homme ? La question d’un réel engagement ne se suffit-il pas à l’objet qu’il défend ? Cette compétition avec l’homme n’apporte rien à la réalisation effective des femmes.
Voilà, en calibrant ainsi l’homme et la femme, les néo féministes maltraitent tout simplement les qualités féminines et masculines. Ils tentent de réduire les complexités humaines en équations. Ils ouvrent la porte à la pire des dictatures qui s’immisce dans la construction même des individus dans ce qu’ils ont de plus intime et d’archaïque en les envisageant comme des êtres prévisibles. Leurs généralisations doctrinales parfaitement idéologiques, loin de toute approche scientifique, sont tout simplement monstrueuses.
Ce regard nivelant et despotique, gluant de certitudes, ne s’arrête pas à la différence des sexes
Écoutons Luc Ferry (4) : « L’écoféminisme est un mouvement qui apparaît aux États-Unis dans les années 80 avec cette idée qu’au fond la domination patriarcale et blanche de la nature est de la même eau que la domination des femmes. […] On ne peut pas être écologiste sans être féministe et on ne peut pas être féministe sans être écologiste. La domination des animaux, de la nature et des femmes relève du même patriarcat blanc. Donc, vous avez les néo-féministes et les dé-coloniaux qui viennent de l’Amérique du Sud, des universités américaines dans les années 90, qui vont se répandre dans le monde entier. Donc, vous avez cet écoféminisme, les dé-coloniaux et puis l’islamo-gauchisme et l’islamo fascisme (5), même face d’une médaille, qui envahissent les universités. Et là, nous avons un problème énorme qui monte en puissance progressive depuis les années 80, depuis que Sartre et Foucault ont pris fait et cause pour l’islamisme fanatique. »
Ces idéologues féministes, en définitive, ne se contentent pas d’un sexisme odieux en assimilant les femmes aux animaux, mais ils tendent, encore une fois, à mettre en équation ce qu’il y a de plus incertain en nous. En effet, Il y a le bon et le mauvais, ils plaquent une grille de lecture manichéenne de l’histoire et du monde, les rôles sont distribués, la partie est finie.
Ils semblent utiliser leurs clichés idéologiques pour faire de l’homme une donnée contrôlable qui, en éradiquant toute forme d’incertitude, sert le vœu ancien de l’humanité qui est de trouver une formule explicative du monde : « Depuis l’aube de la civilisation, les hommes répugnent à considérer les événements comme non reliés entre eux et inexplicables. Ils ont toujours éprouvé ce besoin compulsif de comprendre l’ordre sous-jacent du monde. […] Ils sont dans une véritable quête de “la théorie ultime de l’Univers”. » (6)
Il semblerait qu’il n’y ait pas que les scientifiques qui cherchent à mettre l’homme en équation mais aussi les idéologues qui envahissent toutes les sphères de notre société, de l’école à l’université, des médias au monde culturel, en stéréotypant l’homme, la femme, les races…
N’est-ce pas en bordant de mort sociale voire de terreur les trajectoires des déviants, tels ces professeurs d’université rebelles et courageux sur le dos desquels les « bien-pensants » accrochent une cible (7) que la dictature s’installe ? Dictature sournoise qui agit au nom du bien calibré par elle-même ?
Bref, l’infantilisation de la société, le néo-féminisme, l’écologisme, « l’islamophilisme » ne sont-ils vraiment que des modes ? Sommes-nous certains qu’ils ne sont pas des outils de soumission qui visent à transformer les individus en stéréotypes contrôlables, capables de se fondre en variables dans une sorte « de théorie ultime » loin de toute idée de liberté ?
Laurence Maugest 17/03/2021
(1) https://www.polemia.com/moi-lanceu-se-dalerte-a-mes-grand-e-s-soeurs-a-cro-magnon-e/
(2) https://www.letelegramme.fr/france/lucile-peytavin-la-virilite-coute-100-milliards-par-an-a-la-france-06-03-2021-12714361.php
(3) https://www.lci.fr/politique/lyon-va-adopter-un-budget-genre-en-quoi-consiste-cette-premiere-en-france-2180407.html
(4) REPLAY – L’INTERVIEW DE LUC FERRY https://www.cnews.fr/emission/2021-03-09/linterview-de-luc-ferry-1056180
(5) J’aimerais savoir ce que signifie l’islamo fascisme.
(6) Stephen Hawking, Une belle histoire du temps, Flammarion, « Champs Sciences », p. 33.
(7) https://www.tvlibertes.com/actus/iep-grenoble-lunef-a-mis-en-danger-les-deux-enseignants-juge-schiappa
https://www.polemia.com/infantilisation-et-neo-feminisme-un-melange-liberticide/