Les peuples européens, confrontés depuis cinquante ans à l’arrivée massive de populations exogènes, sont aujourd’hui sommés de renoncer à leur identité ethnique et culturelle. Henri Levavasseur nous invite à reprendre collectivement conscience de « ce que nous sommes », afin de refonder la cité sur le socle de l’identité.
C’est sans doute l’ouvrage le plus indispensable du moment que publie aux éditions de la Nouvelle Librairie l’Institut Iliade, sous la plume d’Henri Levavasseur. L’auteur « remet les pendules à l’heure et l’église au milieu du village », ainsi que le souligne Jean-Yves Le Gallou dans son avant-propos. De quoi s’agit-il ? De rappeler que l’identité des peuples est une réalité qui se fonde sur un double héritage ethnique et culturel. Cette identité est dès lors vivante, se renouvelant sans cesse et s’incarnant dans une éthique, à travers l’expression intemporelle d’une manière d’être spécifique.
Henri Levavasseur va directement à l’essentiel. Publié dans la collection « Cartouches », son essai a la puissance et la précision d’un obus de mortier, tant il est destructeur pour la doxa « diversitaire » ennemie. Dans un style clair et incisif, mais toujours mesuré et solidement étayé, il propose une analyse en trois courts chapitres abordant la crise de la nation moderne et « l’aporie libérale » avant de poser les principes moteurs du sursaut : assurer la nécessaire réconciliation entre ethnos et polis – l’identité ethnoculturelle d’un peuple étant indissociable de la forme politique qu’il se donne.
Commencer par relire Renan
Il faut relire la célèbre conférence Qu’est-ce qu’une nation, prononcée en Sorbonne le 11 mars 1882 par Ernest Renan, pour remonter aux sources de l’hémiplégie actuelle, qui promeut stupidement un « vivre ensemble » dont toute « identité » serait niée, évacuée. Malgré le contexte très anti-allemand de l’époque, l’Allemagne étant perçue comme nation principalement « ethnique », Renan s’attache à une définition de la France que ne renierait aucun militant identitaire de ce début de millénaire. La nation y est décrite en effet comme un « principe spirituel » auquel Renan attribue deux sources, située l’une dans le passé, l’autre dans le présent : d’une part « la possession en commun d’un riche legs de souvenirs », d’autre part « le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis ». Pour Henri Levavasseur, « la célèbre formule du ‘plébiscite de tous les jours’, sur lequel Renan fait reposer l’existence de la nation, ne se conçoit donc pas sans l’héritage d’un passé partagé, ni sans la forte conscience de posséder des racines communes ».
Renan ajoute d’ailleurs : « L’homme (…) ne s’improvise pas. La nation, comme l’individu, est l’aboutissement d’un long passé d’efforts, de sacrifices et de dévouements. Le culte des ancêtres est de tous le plus légitime ; les ancêtres nous ont faits ce que nous sommes. (…) Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple. (…) On aime la maison qu’on a bâtie et qu’on transmet. Le chant spartiate : ‘Nous sommes ce que vous fûtes ; nous serons ce que vous êtes’ est dans sa simplicité l’hymne abrégé de toute patrie. »
La grande rupture idéologique et anthropologique
S’appuyant notamment sur Jean de Viguerie (Les deux patries, 3e édition, 2017), l’auteur analyse au scalpel les effets délétères de l’idéologie révolutionnaire sur la définition de la nation. Strictement contractuelle, la logique libérale ayant achevé le processus dissolvant de la Révolution, la nation moderne se conçoit par opposition à la vieille patrie charnelle qui était encore celle de Renan. Certes, il existe encore un état, un territoire, une langue et tout un « capital immatériel » qui fait penser que la France perdure malgré tout. Mais « sa population est désormais divisée contre elle-même, tout simplement parce qu’elle ne forme plus un peuple, mais un ensemble de citoyens qui ne partagent guère d’histoire commune. (…) En l’espace de deux générations à peine, le visage de la France a profondément, radicalement changé – constat sur lequel s’accordent d’ailleurs ceux qui déplorent cette situation comme ceux qui s’en félicitent. Par son ampleur autant que par sa soudaineté, un tel ébranlement, correspondant à une modification aussi profonde de la composition de la population, est sans précédent dans l’histoire de notre pays. »
Pour Henri Levavasseur, il se pourrait d’ailleurs que le modèle (français) de la nation moderne, « qui s’est progressivement répandu en Europe depuis deux siècles à la suite du cataclysme sanglant de la révolution française, soit déjà condamné, même si les nations actuelles continuent d’exister au regard du droit international. Ce modèle politique, fondé sur une conception abstraite de la citoyenneté conforme à la pensée libérale des Lumières, n’a pu prendre corps dans la réalité historique qu’en venant se greffer sur des entités politiques concrètes et préexistantes, liées à un substrat ethnoculturel lentement constitué au fil des siècles. Et c’est ce substrat que la nation moderne a vidé peu à peu de sa substance, en imposant un cadre idéologique nouveau, destructeur de toute continuité historique, qui laisse finalement les peuples incapables de résister à leur propre disparition. à plus ou moins long terme, ce phénomène entraînera à son tour la nation dans une chute inéluctable. »
Refuser notre disparition programmée
Les contradictions internes du « républicanisme », qui ne tolère aucune communauté mais reconnaît des « droits » à des groupes de pression minoritaires constitués sur des critères identitaires (homosexuels, descendants d’esclaves, etc.), sont particulièrement bien vues, expliquant que ce « modèle politique » est d’ores et déjà dépassé. Ce qui rend par ailleurs dérisoires les discours des forces politiques qui continuent de s’en réclamer, au nom d’une « assimilation » désormais impossible, comme sont non seulement malsaines mais grotesques les manifestations revanchardes et pour le coup strictement « racistes » des décoloniaux et autres adaptes de la repentance ad vitam aeternam du seul « homme blanc ».
L’auteur tient la ligne de crête. La rupture entre communauté ethnique et communauté civique menaçant la survie de nos nations, il en appelle à un changement complet de paradigme : « Quelle que soit l’issue des crises à venir, celles-ci conduiront les peuples d’Europe à recourir à d’autres ressources que la référence à des valeurs et des systèmes politiques périmés, inadaptés aux enjeux actuels. » Or en temps de crise, quand la civilisation elle-même menace de s’effondrer, c’est dans nos traditions qu’il convient de rechercher les voies du sursaut – et du salut.
Comme tous les peuples d’Europe, les Français doivent donc réapprendre à penser leur identité propre. Pour Henri Levavasseur, ils doivent pour cela libérer leur esprit de l’idéologie universaliste, car l’identité des peuples résulte d’un double héritage, culturel et biologique : l’héritage d’une langue et d’une culture, associé à l’héritage de l’hérédité et du patrimoine génétique.
Réhabiliter l’ethnos au cœur du politique
Dans son dernier chapitre, Levavasseur propose dès lors de (re)penser l’ethnos. Certes un peuple n’est jamais réductible à une race unique et figée, et l’auteur est très clair à ce sujet. Mais il rappelle que tout peuple incarne un « type » humain particulier, lentement façonné par des siècles d’histoire sur un espace géographique donné. C’est le sentiment d’identification à ce « type » humain, porteur d’une culture spécifique, qui unit les membres d’une communauté. L’identité ethnique, c’est aussi la fidélité à une éthique, c’est-à-dire à des mœurs, à une manière d’être spécifiques. Comme le rappelle Ernest Renan, c’est la conscience d’une origine commune, conjuguée à la volonté d’un destin commun, qui assure la cohésion d’un peuple. L’identité est donc bien le socle sur lequel se bâtit la cité. Car l’homme est un animal politique, maître d’un territoire. Le Français est maître chez lui en France, et l’Européen en Europe.
Cette question de la « souveraineté » – et donc de la puissance – n’est pas le fruit du hasard, mais de la nécessité et de l’histoire. De notre légitimité à vivre selon nos lois, sur la terre de nos ancêtres. Henri Levavasseur a raison de rappeler que depuis plus de cinq mille ans, les peuples d’Europe sont porteurs d’un héritage ethnique et culturel spécifique, issu d’un creuset commun, celui de la civilisation indo-européenne. Nos peuples sont donc fondés à transmettre cet héritage sur l’espace géographique qu’ils ont façonné à leur mesure, dans le cadre civilisationnel qui est le leur. « L’institution de la famille traditionnelle, gardienne de la mémoire et de l’hérédité, est le premier garant de cette transmission. Cet héritage n’est pas un témoignage figé du passé. C’est un potentiel, qui permet d’exprimer notre génie propre. Cet héritage est donc notre avenir. »
Le modèle de l’Occident libéral, victime de ses propres contradictions et du chaos qu’il a lui-même semé, est aujourd’hui au bord de l’implosion. Mais l’Europe est plus ancienne que l’Occident libéral, et lui survivra.
Renouer avec nos sources pérennes
Il faut dès lors anticiper l’échéance de cet effondrement, pour qu’il n’entraîne pas les peuples européens dans sa chute. C’est ce que propose clairement Henri Levavasseur : « Notre génération doit aujourd’hui accepter d’assumer une responsabilité historique décisive, sans perdre de vue qu’elle se trouve confrontée à la nécessité de défendre pied-à-pied les remparts d’une citadelle déjà investie, dont le commandement ne lui appartient déjà plus, tout en préparant d’autres positions à partir desquelles les générations suivantes viendront reconquérir notre espace civilisationnel pour lui donner une forme nouvelle lorsque sonnera l’heure du kairos – du ‘moment approprié’ – que nul d’entre nous ne prévoir. Il nous faut en attendant former une avant-garde, sans cesser de batailler sur nos arrières. »
Il appartient aux jeunes Européens lucides de former cette avant-garde, enracinée dans des réseaux de communautés solidement ancrées sur leurs territoires. Dans la conformité aux objectifs de l’Institut Iliade, Henri Levavasseur incite donc les jeunes Européens à tenir toute leur place dans la vie des institutions politiques, scientifiques, économiques et sociales, en empruntant le chemin étroit de l’excellence. Il les invite à se familiariser avec le maniement des instruments de la puissance, dans tous les domaines où ils pourront exercer leur influence, sans jamais perdre ni vendre leur âme. Il leur demande surtout, en conclusion de cet essai décisif, de suivre le conseil de Dominique Venner : « cultiver en eux, chaque jour, comme une invocation inaugurale, une foi indestructible dans la permanence de la tradition européenne ».
Grégoire Gambier
Henri Levavasseur, L’identité, socle de la cité. Réconcilier ethnos et polis, Paris, La Nouvelle Librairie, 2021, 88 p., 7 €. Acheter en ligne.
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