Enfin, on va pouvoir parler d'autre chose que des restrictions sanitaires sans éprouver le sentiment de prêcher dans le désert.
Or, la tentative assez grossière, pour ne pas dire grotesque, d'un Darmanin tendant à récupérer la mobilisation syndicale des policiers ce 19 mai, ne doit pas nous impressionner. Le pouvoir, et la classe politique, se trouvent interpellés désormais de façon massive sinon radicale, sur la question de l'insécurité. Associée aux deux autres "i" lancinants qui pourrissent notre société française, l'islamisme et l'immigration, cette question semble appelée à produire les résultats prévisibles aux élections locales de juin.
Que 2 ou 3 présidences régionales échappent dès cet été à la bien-pensance constituerait un avertissement salubre. Et si des remèdes effectifs ne sont pas apportés au malaise de l'ensemble des forces de l'ordre, policiers, gendarmes, fonctionnaires de la pénitentiaire et jusqu'aux pompiers, il ne faudra pas s'étonner si les présidentielles de 2022 se présentent sous un jour complètement inédit. Le coup d'État que le cloaque redouté ne viendrait pas, dès lors, des armes, mais tout simplement des urnes.
Car à la question des trois "i", cités plus haut, s'ajoute la question "j" comme "justice", sans laquelle aucune solution n'a de sens. À quoi servent des lois que l'on n'applique pas ? Le pouvoir que l'on appelle exécutif, d'abord ne les exécute pas. De son côté, notre administration ubuesque nous encombre de textes réglementaires paralysant le pays. En même temps elle-même demeure paralysée pendant des mois et des années, au contraire, quand il s'agit de publier les décrets d'application sans lesquels la loi reste lettre morte. Et bien sûr, la magistrature syndiquée entrave à son tour la doctrine pénale, déjà incertaine, d'une chancellerie déjà faisandée.
Or, quels que soient les reproches qu'encourt légitimement un Dupond-Moretti, quelque maladroites que puissent se confirmer, l'une après l'autre, ses interventions, quelque méritoires qu'adviennent demain les sanctions politiques, et notamment le désaveu que ne devront pas manquer de lui infliger les électeurs du Pas-de-Calais, il serait trop facile d'en faire, comme dans l'Ancien Testament, le seul bouc émissaire chargés de tous les péchés d'Israël.
Le mal vient, une fois de plus, bien évidemment de beaucoup plus loin. L'étendue des responsabilités doit très fermement être dénoncée de manière beaucoup plus large.
Il y a plus d'un demi-siècle, qu'un Georges Pompidou, que personne ne pouvait accuser de laxisme, et encore moins d'inculture, pouvait se permettre, sur ce sujet, de citer le royaliste Chateaubriand. Celui-ci observait en son temps que "la liberté qui capitule et le pouvoir qui se dégrade n'obtient point merci de ses ennemis."[1]
Et le même défunt président osait ajouter, à juste titre selon ma modeste expérience : "je ne crois franchement pas que nos prisons soient pleines d'innocents".
À cette époque montait en puissance le mouvement maoïste français qui allait prendre le nom de Gauche prolétarienne. Admirateurs de la soi-disant Grande révolution culturelle prolétarienne lancée en mai et août 1966 par Mao Tsé-toung, ses militants avaient rompu violemment avec le PCF, jugé "révisionniste", et ils avaient participé activement à la crise française de 1968. Leur organisation première l'UJCml faisant partie des 11 mouvements dissous le 12 juin. Mais à la différence des autres, qui se reconstituèrent très vite sous une façade légaliste, ils adoptèrent une ligne systématiquement violente. "On a raison de séquestrer les patrons" imprimait leur journal La Cause du Peuple. Ils agissaient en fidèles disciples de Mao qui avait théorisé l'exercice de la Terreur par les "masses". Il s'exprime ainsi par exemple dans un texte trop méconnu et pourtant si précis "à propos des excès". Sans aucune ambiguïté le Grand Timonier, dont le portrait immense orne toujours la place Tian An-men au centre de Pékin, justifie tous les crimes commis par la "justice du peuple" qui a toujours raison, à l'encontre des très méchants propriétaires fonciers...
Parmi leurs exploits nos maoïstes français pilleront en mai 1970 la fameuse épicerie Fauchon, et cherchant se présenter tels de modernes Robin des Bois, ils distribueront une partie de leur larcin sur les marchés de banlieue.
Deux d'entre eux furent arrêtés : l'un des deux, placé sous mandat de dépôt à la salle Cusco de l'Hôtel-Dieu, avait été pris à partie par les passants et reconnu par un ouvrier des cuisines comme l'ayant frappé d'une barre de fer. Il fut remis en liberté.
La seconde, une étudiante en sociologie de 20 ans, devint une accusée vedette. Elle revendiquait hautement son action et fut jugée très vite. L'action avait été commise le 8 mai. Le 19 mai, elle était condamnée en première instance à 13 mois de prison et 3 000 francs d'amende. Hurlements dans les chaumières de gauche, du journal protestant Réforme ("un jugement scandaleux") au Nouvel Observateur ("une justice de classe"). La Cour d'appel de Paris statuera le 14 juin en seconde instance et accorda le sursis c'est-à-dire la liberté à cette jeune maoïste, voleuse "expropriatrice", activiste devenue "martyre", victime de l'oppression et du capitalisme. Entre-temps, on lui avait accordé le régime spécial auquel seuls avaient droit, en principe, les condamnés de la Cour de sûreté de l'État, créée en 1963 pour juger les défenseurs de l'Algérie française. Le 15 juin, elle était libre.
Autrement dit, le pouvoir judiciaire, réputé conservateur et répressif, avait craqué devant les plus provocateurs et les plus violents des gauchistes. Et cela dure depuis un demi-siècle. Les admirateurs de la dictature maoïste se présentent en défenseurs des opprimés, des détenus comme des immigrés.
Or, depuis 1970, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts de la Seine, devant le Quai des Orfèvres comme devant le vieux Palais de justice. Le fleuve a suivi le sens unique que l'on cherche à nous présenter pour celui de l'histoire. Et l'on compte désormais en France plus de criminels en liberté que d'enfants de chœur en détention. C'est pour cela que même la Grande Muette est tentée de ne plus l'être. On peut espérer que le peuple parlera à sa place, et le plus tôt sera le mieux.
JG Malliarakis
[1] cf. conférence de presse du 2 juillet 1970