Cette année-là, la seizième de son règne, Louis VI le Gros, quarante-trois ans, avait déjà bien nettoyé le royaume des turbulences féodales. Nous l'avons vu à l'oeuvre tandis qu'ayant rétabli la sûreté dans les campagnes et les villes, il favorisait l'éclosion de ces remparts des libertés françaises qu'allaient être pour toujours les communes. Retrouvons-le aujourd'hui en 1124 dans son rôle tout aussi éminemment capétien de défenseur de l'intégrité française.
Les Capétiens commençaient à peine d'affermir leur souveraineté quand en 1066, au temps d'Henri Ier, Guillaume de Normandie avait conquis l'Angleterre. Toujours vassal du roi de France, celui-ci ne s'était quand même guère gêné pour donner les pires soucis au roi Philippe Ier, lequel avait tout entrepris pour affaiblir la Normandie et la pousser à se détacher de l'Angleterre. On eût pu croire la chose faite quand à la mort de Guillaume le Conquérant (1087), la Normandie revint à l'aîné, le flasque Robert Courte-Heuse (court de cuisses) et l'Angleterre au cadet Guillaume le Roux. Sur ces entrefaites les deux frères s'étaient plus ou moins réconciliés pour partir ensemble à la première Croisade, laissant respirer Philippe Ier. Mais pas pour longtemps ! Guillaume le Roux mourant en 1100 avait alors laissé le champ libre à son autre frère Henri Beauclerc qui s'était proclamé roi d'Angleterre et n'avait fait en 1106 qu'une bouchée de la Normandie si mal tenue par Robert Courte-Heuse.
En 1124, il y avait déjà dix ans que Louis VI le Gros s'acharnait sans succès à couper en deux le monstre anglo-normand. En 1113, au traité de Gisors, il avait dû reconnaître la souveraineté d'Henri Ier Beauclerc même sur la Bretagne. En 1119, nouvelle déroute, et le roi français avait dû de ne pas perdre la face au seul fait que le roi anglais, se souvenant qu'il était duc de Normandie, donc vassal du roi de France, n'avait pas trop poussé son avantage. En 1120, Henri Beauclerc avait perdu ses deux fils dans un naufrage. Il ne lui restait plus qu'une fille, Mathilde, laquelle avait épousé l'empereur germanique Henri V. L'alliance entre gendre et beau-père prenait ainsi la France comme dans une tenaille... Louis VI allait-il se laisser impressionner ?
Les premières provocations
vinrent de l'Empereur en 1124, mais dans cette "doulce France" où le sentiment national perçait déjà autour du Capétien, et où l'on savourait des écrits éveillant l'idée de patrie, comme la Chanson de Roland, il se produisit l'extraordinaire : la mobilisation spontanée de toutes les forces vives ! Louis VI se rendit à Saint-Denis pour y prendre l'oriflamme rouge et or, tandis que l'abbé Suger s'émerveillait de « cette armée pareille à une nuée de sauterelles ». Les troupes de chevaliers, le comte de Blois, le duc de Bourgogne, le comte de Nevers, le comte de Vermandois et les bourgeois de Saint-Quentin, de Pontoise, d'Amiens, de Beauvais et d'ailleurs arrivaient en effet de toutes parts.
Devant un peuple aussi décidé, l'Empereur n'osa même pas dépasser Metz et rebroussa chemin sous prétexte d'aller réprimer une insurrection à Worms (où il trouva la mort). Quant au roi d'Angleterre il n'avait même pas eu le temps de bouger, tandis que Louis VI revenait à Paris sous les acclamations ; il avait, dit Suger, « fait briller l'éclat qui appartient à la puissance du royaume lorsque tous ses membres sont réunis ». Ce fut la première grande manifestation de cette cohésion populaire qui, devant un grand danger, allait désormais permettre plus d'une fois le "miracle capétien". On devine que de tels sursauts allaient être souvent nécessaires quand on sait qu'en mourant onze ans plus tard (1135), Henri Beauclerc donnait tout espoir de devenir roi d'Angleterre à son gendre, Geoffroy Plantagenêt, dont la lignée allait faire longtemps parler d'elle...
Une autre leçon de l'événement de 1124 a été tirée par Jacques Bainville : « Allemagne, Angleterre : entre ces deux forces, il faudra nous défendre, trouver notre indépendance et notre équilibre. C'est encore la loi de notre vie nationale. » Les Capétiens allaient avoir la sagesse de toujours s'en souvenir.
MICHEL FROMENTOUX L’Action Française 2000 du 19 juin au 2 juillet 2008