Le télétravail, c’est presque devenu le jardin d’Éden. Des publicités nous montrent de jeunes cadres dynamiques devant leur ordinateur, à la campagne, près de leur piscine. La crise sanitaire n’a-t-elle pas du bon, puisqu’elle a permis à un grand nombre de personnes de pratiquer plus souvent ce mode de travail, de libérer du temps personnel gagné sur les transports, d’acquérir une plus grande liberté ? Sans compter qu’il permet des gains de productivité. Seulement, voilà ! On commence à se demander si cette vision idyllique n’est pas un prélude à l’Enfer.
Le journal Libération, qui vaut la peine d’être lu quand il s’abstient de militantisme politique, est, pour une fois, lucide. « Le télétravail, baiser de la mort pour les cadres français ? », s’interroge-t-il. Quand on revient sur Terre, on s’aperçoit que cette nouvelle organisation du travail, si on a pu y voir des aspects positifs, pourrait bien menacer à terme des millions d’emplois. Une étude effectuée, au début du mois de juillet, par la société d’assurances COFACE explique que sa généralisation pourrait entraîner des délocalisations en cascade.
Il est étonnant que nos gouvernants n’y aient pas pensé plus tôt : c’est pourtant facile à comprendre ! Si le télétravail remplace des heures passées dans des bureaux, si l’on peut faire chez soi la même chose que dans une tour de la Défense, en économisant au passage des mètres carrés de location, pourquoi ne pas se transporter loin de la France ? « Il y a quelque 30 millions de postes qui peuvent être réalisés en télétravail [en France, au Royaume-Uni et en Allemagne] », analyse la COFACE, ajoutant qu’« une poignée de pays émergents en périphérie européenne […] ont suffisamment de personnes pour absorber en télétravail ces 30 millions ».
Ce n’est pas nouveau. Tous les Français font quotidiennement l’expérience du phoning, anglicisme pour désigner le démarchage téléphonique, où des opérateurs, se présentant avec un prénom bien français sont trahis par leur accent exotique. Mais, cette fois, c’est toute une économie qui est concernée. Des services entiers, dans la banque, l’assurance, l’information, la communication, etc., pourraient être exportés à l’étranger : « Les DRH pourront alors piocher dans une classe moyenne mondialisée, en allant à ceux qui sont le moins payés, et au diable les conséquences sociales », écrit Libération.
Voilà qui n’est pas pour déplaire aux mondialistes, pour qui l’argent gagné n’a pas d’odeur. Ils ne raisonnent pas dans le cadre national. Tous les habitants du monde sont, pour eux, des consommateurs en puissance, tous sont employables pourvu qu’ils aient les compétences recherchées, leur choix se portant sur ceux qui coûtent le moins cher. Il paraît que Macron, leur modèle, rectifie ses positions et se préoccupe aujourd’hui davantage des intérêts de la France : c’est, comme par hasard, à l’approche de l’élection présidentielle. Imprudent qui s’y fierait !
Il y a bien des manières de détruire un pays et son emploi. On dirait que les prétendues élites qui nous gouvernent veulent en trouver d’autres. La France n’a, pour eux, de valeur que si elle peut rapporter gros !
Philippe Kerlouan