L’explosion du nombre de visiteurs oblige les parcs à subir un public souvent novice et à chercher un équilibre précaire entre activité économique et protection de l’environnement. Au point qu’une difficile question vient à l’esprit : du troupeau d’animaux ou du groupe de vacanciers, qui est le plus difficile à canaliser ? La réponse pourrait être désobligeante pour nos congénères !
Dans les parcs naturels, refuge des touristes français en quête d’espace, on fait cette curieuse expérience depuis le début de la pandémie de Covid-19 : « Autant on peut travailler avec les éleveurs pour éviter que leurs animaux aillent boire dans la rivière, autant c’est plus compliqué avec les touristes », constate Thibaut Thierry, directeur du développement du parc naturel régional d’Armorique (Finistère), qui s’étend de l’île d’Ouessant aux monts d’Arrée.
M. Thierry tente de protéger le couvert végétal et les berges de rivière dans la forêt de Huelgoat, monde de chaos rocheux, de korrigans et, désormais, de randonneurs. « Sur le littoral, cela fait des dizaines d’années que l’on gère la surfréquentation. En milieu forestier, on est moins à l’aise, ajoute M. Thierry. L’Office national des forêts avait récemment fait en sorte de favoriser la découverte de la forêt. Aujourd’hui, on doit déjà rationaliser les cheminements pour limiter la pression sur les milieux naturels. »
Les onze parcs nationaux et 56 parcs régionaux français sont aux prises avec l’explosion de leur fréquentation, souvent par une clientèle régionale saisie de passion pour la randonnée et la balade à vélo. L’attrait pour les parcs naturels n’a pas commencé avec le Covid-19 : les années 2010 avaient déjà marqué l’essor du tourisme vert, qui commençait à être exploité par les acteurs privés et encouragé par les parcs pour des raisons économiques. Mais le déconfinement de mai 2020 a fait sauter un plafond.
Cette explosion est visible à l’œil nu pour les locaux mais difficile à estimer, puisqu’il n’y a pas de porte d’entrée dans un parc naturel en France. Les éco-compteurs placés sur les chemins de randonnée enregistrent des hausses de 30 % de l’été 2019 à 2020 dans le parc national des Ecrins (Hautes Alpes et Isère) ou au cirque de Gavarnie, site majeur des Pyrénées. La hausse sera encore sensible cet été, si l’on en croit les chiffres de réservations en montagne. A l’été 2020, les stigmates du surtourisme ont fait leur apparition en altitude : parkings complets, querelles entre visiteurs, déchets, bouchons de randonneurs…
Les responsables des parcs insistent : ce n’est pas que les novices se comportent mal – ils les trouvent même de plus en plus soucieux de l’environnement –, c’est qu’ils ne sont « pas rompus aux gestes à adopter dans un milieu naturel protégé », dit poliment Michaël Weber, président de la Fédération des parcs naturels régionaux de France. Monter en tongs vers un lac de montagne ? Cueillir des fleurs ? S’approcher d’une chèvre qui paisse tranquillement ? Allumer un feu ou son enceinte portable ? Mauvaises idées. Les gardes des parcs et les services de secours de montagne ont fini l’été lessivés.
Les points de tension les plus préoccupants se situent le week-end à proximité des villes, notamment dans le Gâtinais français (Essonne), au sud de Paris, dans le Vercors (Drôme et Isère), près de Grenoble, et dans les Calanques, à Marseille. En été, ce sont les somptueuses îles d’Hyère (Var) – Porquerolles, Port-Cros, Le Levant… – qui souffrent. Pour la première fois cette année, une jauge d’accès à Porquerolles a été fixée par le parc national et la métropole toulonnaise, en accord avec les compagnies maritimes : 6 000 passagers par jour maximum, contre des pics de 12 000 constatés au mois d’août 2020. Bien assez pour ce caillou de 12,5 kilomètres carrés. Mais tout ceci donne une idée des calamités qui s’abattaient, grâce au tourisme de masse, sur les pays envahis par les touristes avant les restrictions dues à la pandémie. Et Jean Mistler avait bien raison lorsqu’il écrivait que
« Le tourisme est l’industrie qui consiste à transporter des gens qui seraient mieux chez eux dans des endroits qui seraient mieux sans eux !«
Ailleurs, on envoie des médiateurs à la rencontre des touristes, on cesse les campagnes de communication, ou on collabore avec l’application de navigation Waze pour éloigner les visiteurs des sites surfréquentés et leur recommander des alternatives. « Les solutions ne sont pas seulement réglementaires », observe Anne Legile, directrice du Parc national des Cévennes, le plus visité de France.
Chez elle, les discussions avec les professionnels du canyoning et les pratiquants de VTT ont permis de réduire la taille des groupes et d’interdire certains tronçons à préserver. Et les marques Esprit parc national et Valeurs Parc permettent de diriger les touristes vers des structures pratiquant le tourisme durable, parfois à l’écart des sentiers les plus fréquentés. Et pourtant, hormis les Calanques ou Port-Cros, aucun parc ne souhaite pourtant réduire les flux de visiteurs ! Because : L’oseille.
« Dès la création des parcs régionaux en 1967, l’idée était de maintenir la compatibilité entre les activités économiques et la préservation de l’environnement,rappelle Didier Olivry, ancien directeur du parc naturel régional de Camargue. Le tourisme était vu comme un outil majeur pour maintenir les activités authentiques du territoire. Aujourd’hui encore, l’idée est que le visiteur l’enrichisse et non qu’il l’appauvrisse, en l’aidant à maintenir sa culture, sa gastronomie, son artisanat. »
Hélas ! L’équilibre est délicat à trouver entre la protection de l’espace naturel, qui aura bientôt les atours d’une poule aux œufs d’or, et celle de l’activité économique. D’autant que les parcs n’ont aucune compétence touristique et s’étendent sur plusieurs intercommunalités, parfois plusieurs départements, dont les intérêts ne sont pas toujours convergents.
Ou comment redécouvrir la quadrature du cercle ?
Le 27 juillet 2021. Pour le CER, Jean-Yves Pons, CJA.